Pour un grain de sable

5.1 Le Désertique

En sortant de la gare, Talitre huma à pleins poumons l'air vicié par les pots d'échappement. Elle toussa comme une asthmatique. Elle se moucha bruyamment et se débarrassa illico de son mouchoir, qu'elle savait être noir. Autant ne pas penser à l'état de ses bronches.

-Bienvenue à Désert-City ! sourit Akhenaton.

Les automobilistes klaxonnaient à tout-va, jamais d'accord sur les règles de priorité. Une femme hurlait des obscénités à la figure de son mari, le frappant à l'aide d'un torchon à la propreté douteuse. Un chien errant urinait au pied de la devanture d'un préteur sur gages. Des adolescents éméchés tanguaient dangereusement sur les trottoirs crasseux. Une sirène de camion de pompier, de fourgon de police ou d'ambulance résonnait toutes les dix minutes.

Les deux amis marchèrent vers le centre ville. Ils se laissèrent engloutir par la foule qui les recracha devant Le Désertique. Ses néons clignotaient si violemment, qu'on pouvait craindre la crise d'épilepsie au moindre regard. Le duo entra dans le bar, la tête baissée.

Une serveuse trop maquillée leur proposa des boissons alcoolisées. Ils ne se firent pas prier, ne pouvant résister à l'attrait de la gratuité. Sur scène, des danseuses se déhanchaient sur un rythme endiablé, pendant qu'un chanteur régurgitait des paroles inintelligibles. Les deux complices se faufilèrent vers la table du fond. Écho les y attendait, sirotant un simple thé à l'orange.

-Akhenaton ! Quelle surprise...

-Heureux de te voir, susurra le jeune homme. C'est toujours un réel plaisir.

-Tout le monde sait que vous ne pouvez pas vous blairer, râla Talitre. Alors arrêtez de faire semblant.

La jeune fille se laissa tomber sur une chaise, manquant de renverser son cocktail. Akhenaton s'assit face aux deux sœurs. Écho semblait lasse de cette situation qui durait depuis maintenant six années.

-Ayant prévu que tu accompagnerais Talitre, je t'ai déjà inclus dans mes plans.

La jeune femme sortit une carte de son sac qu'elle déploya sur la table.

-J'ai bien inspecté l'itinéraire. Dans deux jours, la chaise partira de la capitale à bord d'une camionnette. À 22h30, le conducteur et les deux passagers seront relevés par l'équipe de nuit, à La Palmeraie. C'est à ce moment que nous interviendrons. Talitre et moi nous ferons passer pour le nouveau chauffeur et un des deux gardes. Nous nous dirigerons tranquillement vers l'Oasis, selon le trajet arrêté. Akhenaton nous rejoindra un peu plus loin dans le désert, aux alentours du Buisson aux dingos. Nous ferons croire au deuxième garde à une attaque de bandits. Nous l'assommerons et le laisserons dans la camionnette. Nous chargerons la chaise dans le véhicule d'Akhenaton et rejoindrons le lieu de la vente au petit matin.

Akhenaton et Talitre la dévisagèrent, le temps d'assimiler leur mission. Ou alors, ils ne l'avaient même pas écoutée. Ce ne serait pas la première fois et loin d'être la dernière. Écho soupira.

-Qu'est-ce qu'on fait en attendant ? se réveilla sa cadette.

-Vous vous occupez de dénicher une voiture. Je me charge des gardes.

Elle rangea la carte et sortit une bourse replète.

-L'acheteur m'a donné une avance de 2500 gers. Vous en aurez peut-être besoin.

Akhenaton voulut s'emparer du sachet mais Écho l'en empêcha d'un revers de la main.

-Pour le moment, cet argent est réservé à nos activités professionnelles. N'en dépensez que le strict nécessaire pour obtenir cette voiture. On partagera la récompense après la vente.

Elle lança la bourse à sa sœur qui la réchappa au vol. Talitre apprécia grandement le tintement des pièces. Elle les rangea soigneusement dans son propre sac avant de lever son verre.

-L'affaire est donc entendue. À Louis XIV !

Ils trinquèrent et portèrent leurs verres à leurs lèvres. Akhenaton recracha aussitôt son cocktail sur les deux sœurs.

-C'est infect. Je comprends mieux pourquoi c'est gratuit !

D'un commun accord, elles jetèrent leurs boissons – dont le thé encore chaud d'Écho – sur le torse du colosse.