Je ne suis pas particulièrement claustrophobe, pourtant je me sens oppressée dans ces boyaux sinueux et humides. Si on me demandait de choisir, je pense que je préfèrerais me les peler dans l'air glacial que croupir ici.
Une fois dans les quartiers de Tim, Khenzo fait chauffer les restes du repas sur le réchaud. J'en profite pour m'éclipser quelques instants afin de me laver et de changer de vêtements. La salle de bain est aussi grande qu'un placard à balais, uniquement pourvue d'un lavabo minuscule, d'un pommeau de douche et d'une évacuation au sol. Le fil du néon qui éclaire la pièce serpente sur le plafond pour rejoindre un amas de câbles qui traversent la salle d'eau de haut en bas. J'ai l'impression qu'ils pompent l'énergie sur le réseau électrique des transports en commun. Curieux qu'il soit toujours alimenté. Je hausse les épaules, puis commence ma toilette.
Une fois récurée des pieds à la tête, je retourne dans la pièce principale. Khenzo me tend une gamelle peu ragoûtante. Je le remercie quand même et m'assieds en tailleur contre le mur, dans un angle. Quelques ronflements s'élèvent des alcôves desservies par le petit couloir. Le jeune homme garde ses distances pour l'instant. Je crois qu'il n'a pas trop apprécié mon attitude dédaigneuse envers son Prophète. La lumière émise par les flammèches du réchaud ondule sur son visage, lui donnant un air sinistre.
Après avoir englouti mon assiette, je la pose à mes pieds et ramène mes genoux vers ma poitrine, repensant à la mort des quatre jeunes soldats de l'IPOC. Ce qu'il s'est passé aujourd'hui dans cette cité est révélateur. Marche ou crève. Il n'y a plus de place pour autre chose. Pourtant, si nous le voulions, toute cette situation absurde pourrait prendre fin. Il nous suffirait de croire en nous, de nous rassembler, et d'affronter la vermine, tête haute, comme l'ont fait nos ancêtres à maintes reprises.
Voir le monde se déchirer pour de l'argent, une parcelle de terre, le pouvoir et bien d'autres choses encore ; c'est le fardeau des Hommes depuis des milliers d'années. Parfois, nous avons réussi à endiguer nos vices. Jamais bien longtemps... N'ouvrirons-nous jamais les yeux sur ce qui importe vraiment ? Ce que j'ai vu ici me pousse à croire que non. Que nous ne changerons pas. Si seulement...
— Tout va bien ?
Khenzo s'est rapproché de moi sans que je m'en aperçoive. Je ne sais pas comment il fait pour se déplacer aussi silencieusement et c'est assez... perturbant. Il se laisse choir à mes côtés, basculant sa tête en arrière pour fixer le plafond.
— Ça va, oui. Je repensais à ce qu'il s'est passé un peu plus tôt.
— Tu sais, les gens ne sont pas aussi mauvais que tu sembles le penser, dit-il avec un soupir, devinant à quoi je faisais allusion.
— J'aimerais en être aussi certaine que toi. Mais ce que j'ai vu prouve le contraire. On ne peut pas agir comme ça, répliqué-je, secouant légèrement la tête de droite à gauche.
— Parce que tu penses être meilleure qu'eux ? Tu penses que tuer quatre hommes de sang-froid est plus juste que de balancer des cadavres à la décharge ?!
L'amertume qui filtre dans sa voix me serre le cœur. Je baisse les yeux pour fixer un point invisible entre mes chaussures.
— Je n'ai jamais dit que j'étais meilleure qu'eux. J'ai fait des choses dont je ne suis pas fière et que je préfèrerais oublier, mais je ne me voile pas la face. Ce que j'ai vu ici, ce sont des gens qui se complaisent dans leur merde. Ils subissent sans agir. Avec un peu de volonté, ils pourraient cesser de jouer les martyrs et de se cacher sous terre. Avec un peu de volonté, ils pourraient reprendre leur vie en main, et reconquérir leur dignité, martelé-je. Traîner des cadavres par terre comme des trophées de guerre ne les aidera pas dans cette voie-là, bien au contraire. Leurs véritables ennemis se trouvent à une centaine de kilomètres d'ici. Tu le sais aussi bien que moi.
— Tu ne crois pas que c'est un peu idéaliste comme vision du monde ? rétorque-t-il d'un ton railleur.
— Sûrement, murmuré-je, mais pas plus que de croire en un illuminé qui se fait appeler « le Prophète ».
Khenzo serre les dents, mais préfère ignorer ma dernière remarque.
— Il ne suffit pas de vouloir pour parvenir à ses fins.
— Non, je suis bien d'accord. Mais c'est le premier pas pour trouver des solutions. Les choses n'arrivent jamais par hasard et nous pouvons les influencer. À nous de faire les bons choix au moment opportun.
Je jette un regard vers lui. Un sourire discret s'est installé au coin de ses lèvres alors qu'il passe une main dans ses épais cheveux bruns. Je ne sais pas si c'est du mépris ou de l'indulgence. Peut-être un mélange des deux.
— Si tu le dis.
— À attendre que les choses se passent, on finit par tout perdre. Le jour de la Rupture en est le plus bel exemple ! Je pense qu'à se terrer sans ne jamais rien tenter, on devient faible. On ne survit pas longtemps de cette façon.
— Donc selon toi, tous les gens présents ici sont des êtres faibles ?
— Je n'en sais rien, soupiré-je. Ce serait présomptueux de ma part de porter un tel jugement. Mais tout le monde semble si résigné... À ce rythme-là, le NGPP ou l'IPOC ne fera qu'une bouchée de vous.
Les yeux de Khenzo se posent sur moi. Je n'arrive toujours pas à déchiffrer son expression.
— Tu me fais rire.
Je ne sais pas comment je dois le prendre, alors j'en reste là.
Le silence retombe entre nous. Khenzo n'a pas tort. Après tout, qui suis-je pour juger les autres aussi cruellement ? Pourtant, je n'arrive pas à me débarrasser de l'idée que nous pouvons rester maîtres de nos vies. Les sacrifices peuvent parfois peser lourd, mais la liberté n'a pas de prix.
Le sommeil me gagne peu à peu. Je bâille à plusieurs reprises, puis, harassée et fourbue, je finis par m'assoupir, la tête posée sur mon bras.
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Hello la compagnie !
Nous voici arrivé au bout de ce quatrième chapitre ! Qu'avez-vous pensé de cette Cité Souterraine ? Cela vous plairait d'habiter dans un endroit pareil dans des circonstances équivalentes ? J'avoue que pour ma part, je me pose la question !
D'après vous, est-ce que les choses vont s'améliorer entre Tim et Xalyah ? Pour le moment, les relations sont plutôt tendues entre les deux zigotos ^^
Je vous dis à bientôt pour un petit bonus en image :)
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Horizons #1 - Sombre balade
Science Fiction-- Résumé -- 2107. Deux ans plus tôt, le monde est dévasté de façon brutale et soudaine. Aujourd'hui, il ne reste plus que des ruines, de la poussière et des cadavres. Les rares rescapés tentent de subsister, tiraillés entre les milices locales et l...