Chapitre 4 - #5

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Les personnes que nous croisons sont toutes armées jusqu'aux dents, se déplaçant la plupart du temps en petites unités. Beaucoup portent le même type de tenue que les gardiens de la Cité : des vêtements militaires récupérés ou des vêtements civils renforcés de pièces de protection.

Tous les dix mètres, une porte donne sur des sortes de pièces communes desservant des dortoirs. Certaines sont vides, d'autres occupées par des groupes qui partagent leur repas ensemble. Un système de double porte de sécurité a été installé au-dessus de chaque ouverture, mais j'ai du mal à comprendre comment il est censé fonctionner.

Il nous faut une petite dizaine de minutes avant d'arriver aux quartiers de Tim. Camélia et Timothée m'abandonnent à leur tour : la jeune femme doit passer la nuit sous surveillance médicale. Elle ne mangera donc pas avec nous. Je les remercie et les regarde disparaître dans la foule qui commence peu à peu à s'éparpiller.

J'observe un instant la porte fermée qui se trouve devant moi, puis je finis par appuyer sur ce que je pense être le bouton d'entrée : un petit rond en plastique, qui imite le béton, incrusté dans la paroi. Il s'enfonce et la porte métallique s'ouvre avec un bruit de vérin pneumatique rouillé. Identique aux autres quartiers, la pièce principale est meublée d'une petite armoire métallique et un couloir, au fond, dessert plusieurs alcôves pourvues de couchettes. Un néon accroché au plafond diffuse une lumière jaunâtre.

Khenzo se tient accroupi au milieu de la pièce, essayant d'allumer le réchaud. Je ne vois personne d'autre. Le jeune homme me fait un signe de la tête tandis que je pose mon sac et mes armes dans un coin.

— Tu as trouvé ce que tu voulais ?

— Oui, Jeremy m'a accompagnée. J'espère que l'autre sera content, parce que ça m'a coûté une petite fortune.

Khenzo ne relève pas mon commentaire acerbe et prépare le dîner. Il sort une grande marmite de l'armoire et s'absente quelques instants avant de revenir avec le récipient rempli d'eau.

— Il y a une salle de bain commune juste à côté, m'explique-t-il.

Et en plus, ils ont l'eau courante... Un vrai paradis, cette cité.

— Au fait, tu m'avais dit que tu connaissais une personne suscept...

Un signal sonore, strident, m'interrompt. Surprise, je jette un œil en direction de Khenzo qui se lève aussitôt. Le signal s'arrête, puis, d'un coup, tous les appareils électriques en fonctionnement dans la pièce s'éteignent. Seul le réchaud nous éclaire encore. Une intense agitation s'empare alors des lieux. J'entends quelques ordres qui proviennent de l'autre côté du mur, des bruits de course, des portes qui s'ouvrent et se ferment.

Le jeune homme éteint rapidement le feu qu'il s'était évertué à allumer, nous plongeant définitivement dans le noir. Je n'ai toujours pas bougé lorsqu'un mécanisme faisant descendre un mur d'acier devant la porte d'entrée se déclenche, nous enfermant à l'intérieur. Une autre porte s'ouvre dans la paroi de droite, découvrant une pièce minuscule, faiblement éclairée par une lumière de secours.

— Mais qu'est-ce que... ?

— Tais-toi et viens ici !

Il m'attrape par le bras et me pousse brutalement dans la cellule, avant de me rejoindre. La porte se referme aussi sec. Si on pouvait m'expliquer ce qu'il vient de se passer...

— Qu'est-ce qui... ?

— Tais-toi, répète Khenzo dans un murmure. Des unités ennemies sont dans le secteur. Si ces cellules masquent notre présence sur les détecteurs de chaleur, elles n'absorbent pas les bruits.

Heureusement, j'ai eu la présence d'esprit de prendre mon sac et mes armes avant d'être poussée dans ce cagibi. J'allume mon détecteur et contourne le brouillage électrique qui a éteint tous les appareils en appuyant sur un petit bouton à l'arrière du boîtier pour activer un mode spécial.

— Arrête ça tout de suite ! Ils pourraient nous repérer, chuchote-t-il en me saisissant le poignet avec violence.

Agacée, je me dégage de son étreinte et le bouscule légèrement dans l'espace exigu :

— T'inquiète pas, il est équipé d'un système fantôme, répliqué-je en lançant une analyse des environs.

— Tu me marches dessus, souffle-t-il.

— Désolée.

Deux minutes auparavant, l'effervescence était à son comble, mais, à présent, un silence de plomb s'abat au-dessus de nos têtes. Je n'aime pas ce genre de silence. En général, cela n'annonce rien de bon. Je regarde mon détecteur. J'ai lancé un scan de chaleur thermique en réglant l'affichage en vue aérienne. Lorsque l'icône de chargement disparaît, seuls deux points rouges apparaissent au centre de l'écran.

Je réalise alors avec stupéfaction que mon détecteur ne perçoit rien d'autre que la chaleur dégagée par nos deux corps avec Khenzo. Il ne voit pas les habitants qui se sont réfugiés dans les cellules semblables à la nôtre. J'ai beau lancer des scans à répétitions, zoomer, dézoomer, pas une seule trace d'eux. Je tourne la tête dans l'obscurité, admirative : ces installations sont d'une efficacité redoutable, car le petit bijou que je tiens entre les mains est à la pointe de la technologie.

Une fois remise de ma surprise, je change de mode pour détecter les puces GPS. L'attente est plus longue et lorsque les points apparaissent, ils sont de toutes les couleurs. Cependant, je me serais attendue à voir beaucoup plus de points rouges, mais il n'y en a qu'une trentaine, presque tous en mouvement et assez éloignés de notre position pour l'instant. Il faut croire que le brouillage électrique est aussi efficace pour masquer les signaux GPS de toutes les armes se trouvant dans la Cité.

Je me concentre sur les points rouges et affiche les informations de plusieurs d'entre eux. Le matériel correspond à ce que les unités de NGPP que nous avons observées portaient. Khenzo se penche au-dessus de mon épaule et regarde attentivement l'écran pendant de longues minutes.

— Tout ça, ce sont des soldats ? demande-t-il à voix basse, inquiet.

— Oui.

— Putain..., jure-t-il. Ça ne sent pas bon.

Mon attention se reporte à nouveau sur les points rouges. La plupart d'entre eux semblent s'écarter progressivement de la Cité, sauf quatre. D'après la disposition des boyaux que nous avons empruntés, ils ne devraient pas tarder à passer par ici et d'ailleurs les points se mettent à grésiller, comme si le signal était perturbé. Qu'est-ce qui pourrait attirer des troupes du NGPP dans le coin ? L'incident d'hier s'est déroulé dans une ville limitrophe et d'après les renseignements du groupe de Tim, aucune enquête ne sera ouverte à ce sujet. Alors pourquoi viennent-ils fouiner ici ?

Pendant que je me concentre sur leur progression et que je réfléchis aux récents évènements, un autre point apparaît sur le cadran de mon appareil. Je n'y fais pas attention jusqu'à ce que Khenzo me tire la manche pour me le montrer. Il est gris et juste à côté de nous. Je pose mon doigt dessus et le pop-up m'affiche les informations d'un doudou à musique. Je colle mon oreille contre la paroi humide de la cellule. Il me semble entendre les sanglots d'un enfant. Khenzo m'imite et écoute attentivement les bruits qui troublent le silence. À la lueur de l'écran de mon appareil, je vois son visage s'assombrir et sa mâchoire se contracter.

— Est-ce que..., commence-t-il à voix basse avant que je l'interrompe.

— On dirait une fillette.

Je baisse à nouveau les yeux sur mon détecteur. À en juger la progression des quatre points lumineux rouges qui vacillent de plus en plus, la petite patrouille devrait atteindre cette partie de la cité souterraine dans quelques minutes. Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines. Je ne peux pas rester là à ne rien faire.

— J'y vais !

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant