Chapitre 5 - #4

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À côté de la porte par laquelle nous venons d'entrer, un panneau d'affichage est recouvert de photos d'hommes et de femmes, souvent accompagnées d'un nom, d'une phrase. Le tableau des morts, je présume, vu les bougies consommées et les fleurs fanées qui traînent au sol.

À gauche, des piles de papiers attendent d'être rangées dans différents casiers. On dirait des feuilles de route pour des missions et des rapports. En face de moi, l'immense carte de la région, qui a éveillé mon intérêt.

À droite, du matériel de transmission est aligné sur plusieurs tables. De temps en temps, des voix s'échappent des haut-parleurs, grésillant sous l'effet des interférences.

Enfin, au centre, un bureau croule sous plusieurs moniteurs. Ma tête est affichée sur l'un d'eux, mes empreintes digitales et rétiniennes sur deux autres. Éparpillés à travers la pièce, une dizaine de soldats me dévisagent avec une légère pointe de colère dans leurs pupilles.

— Alors c'est toi Xalyah ? demande l'homme qui se tient à quelques centimètres de moi.

Mon regard se pose à nouveau sur lui. Je fronce des sourcils. C'est donc lui, Max. Le grand patron des lieux. Comment une voix aussi puissante et charismatique peut-elle appartenir à un type de sa carrure ? Je retiens un sourire narquois avant de lui répondre :

— A priori, il n'y a pas beaucoup de doute à avoir, réponds-je, désignant les écrans par-dessus son épaule.

— Tu peux m'expliquer ce qui t'a pris de tuer ces types ?

Sa voix grave gronde au-dessus de ma tête comme un coup de tonnerre.

— J'ai cru entendre un enfant pleurer de l'autre côté des murs, mais...

Je suspends ma phrase, de plus en plus mal à l'aise sous les regards hostiles qui pèsent sur moi.

— Mais quoi ? s'agace le grand patron.

— Eh bien... il s'agissait d'un chat... en fait...

Un léger flottement s'empare des lieux. Putain, ce que je me sens ridicule. Je déteste ça !

— Un chat ? répète-t-il d'un ton railleur.

Max s'esclaffe, d'un rire froid, cinglant, tandis que la tension monte d'un cran chez ses hommes. Leurs poings se serrent, leurs mâchoires se contractent. Je m'empourpre. De honte. De colère. À côté de moi, Tim ne semble pas en mener plus large. D'ailleurs, son supérieur s'arrête à sa hauteur, le toisant du haut de son petit mètre soixante-dix, d'un air sévère.

— Tu connais les règles.

Tim déglutit. Ce n'est pas une question.

— Demain matin, tu auras débarrassé le plancher avec tes hommes.

— Mais... je... nous... enfin... tu..., bafouille le quinquagénaire, blême.

C'est bien la première fois que je le vois perdre ses moyens. J'aimerais m'en réjouir, mais je n'y arrive pas.

— Tu connais les règles et tu t'es porté garant pour elle, rappelle Max, d'une voix intransigeante. Alors estime-toi heureux qu'on en reste là. Je ne veux plus vous voir parmi nous. Jamais.

Sa langue claque sèchement dans son palais. La discussion est close. Accablé, Tim serre les dents et les poings à s'en faire blanchir les jointures.

— Maintenant, sortez.

Max fait un signe de tête à ses hommes qui nous empoignent pour nous jeter dehors, comme des malpropres.

La porte ne s'est pas encore refermée que Tim avance d'un pas raide vers moi. Il semble abasourdi par les paroles de son chef et c'est pourtant avec précision qu'il me décoche un formidable coup de poing. Je n'ai même pas vu son bras partir. Ma lèvre inférieure éclate sous l'impact de ses phalanges. Désorientée, je m'affale au sol. Je n'ai pas le temps de reprendre mes esprits, qu'il est déjà assis à califourchon sur moi, enserrant violemment ma gorge.

— Je vais te tuer, pétasse ! s'écrie-t-il fou de rage. J'aurais dû le faire le premier jour où je t'ai vue !

— Putain... lâ... lâche-moi... connard..., suffoqué-je tout en essayant de le frapper.

Khenzo intervient et attrape Tim par les épaules pour nous séparer. Toujours hors de lui, le quinquagénaire frappe le jeune homme au visage. Surpris, ce dernier lâche un juron et s'écarte aussitôt. Du sang coule à flots de son nez. L'air me manque de plus en plus. Je bats des jambes sans réussir à atteindre Tim. Sa prise est solide autour de mon cou.

Fébrile, je cherche une arme à portée de main. En vain. Merde. Je ne vois plus que ses yeux injectés de sang et le rictus meurtrier qui déforme sa bouche. Il est déterminé à me tuer. Putain, il me faut une arme ! Ses doigts écrasent ma trachée. Au loin, j'entends les quatre molosses débattre en pariant sur le vainqueur. Enfoirés ! Ma vue se trouble et je n'ai toujours rien trouvé pour me défendre. Bordel...

J'ai de plus en plus de mal à respirer. Le manque d'oxygène me coupe mes forces. Je n'arrive plus à me débattre. Une douleur sourde m'étreint.

Baboum. Baboum. Baboum.

Je suffoque. M'étouffe.

Baboum. Baboum.

Plus d'air.

Baboum.

Le noir...

Baboum...

Soudain, la pression se relâche. Ma vue s'éclaircit aussitôt et je roule sur le côté en toussant. Je discerne les silhouettes floues de Khenzo et Tim qui s'empoignent violemment. Le jeune homme a le bas du visage en sang et peine à maîtriser son chef qui l'injurie à l'aide de doux noms d'oiseaux.

Je rampe sur quelques centimètres pour m'adosser au mur et calmer mon cœur qui bat à tout rompre, prêt à exploser. Les idées encore embrouillées, je tâtonne autour de moi à la recherche de mes armes. Mes yeux se posent sur mon fusil d'assaut. Près de la porte. De l'autre côté du tunnel. Les gardes de Max décident d'intervenir à ce moment-là pour séparer les deux hommes.

— Je te l'ai déjà dit, gamin, mais t'es vraiment con quand tu veux ! crache Tim avant de disparaître dans le tunnel.

Khenzo donne un coup de pied rageur dans une gaine en plastique qui court le long du sol, avant de se laisser tomber à mes côtés. Ses mains s'agitent furieusement dans ses cheveux avant d'essuyer le sang qui macule sa mâchoire à l'aide de son écharpe.

— Je suis désolée..., murmuré-je d'une voix éraillée.

— Ouais, moi aussi.

Khenzo se relève et attrape mon sac.

— Allez, viens.

Je me remets sur pieds, époussette mon pantalon, ramasse mes armes. Des étoiles dansent toujours sur les bords de mon champ de vision, mais le jeune homme est déjà parti en tête, tendu comme un arc. Alors je le suis, les jambes encore tremblantes. S'il n'avait pas été là, je serais morte ; j'en ai la certitude. Tim avait eu cette lueur assassine dans les yeux, celle qui ne ment jamais, et les quatre hommes qui montaient la garde devant les quartiers de Max l'auraient sans doute regardé m'étrangler sans broncher.

Un long frisson me parcourt l'échine alors que je les imagine, balançant mon corps sans vie dans une décharge remplie de cadavres en putréfaction, dévorés par les charognards.

Mes doigts touchent le bord de ma lèvre fendue, m'arrachant une grimace, avant de s'attarder sur mon cou. La sensation des mains de Tim m'enserrant la gorge avec violence est encore vive et me retourne l'estomac. Pourtant, je me force à mettre un pied devant l'autre, comme si ce n'était rien. Après tout, j'en ai vu d'autres, pensé-je, un poil cynique.

Durant tout le chemin, je garde les yeux rivés sur les rangers noirs de Khenzo. Pas envie de croiser les regards des réfugiés. Pas le courage surtout.

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant