En arrivant dans les quartiers réservés aux groupes armés, nous comprenons que Max a ordonné le départ d'une autre partie de la Cité. Plusieurs unités reçoivent leurs derniers ordres de mission pour encadrer la colonne et rallier le prochain campement. Les derniers partiront demain matin à l'aube. Je ne suis pas persuadée que voyager de nuit avec autant de monde soit une bonne idée, mais, après tout, ça ne me regarde pas.
Nous pénétrons dans la pièce principale, où l'ensemble du groupe de Tim s'est réuni autour du réchaud. Le repas bout au-dessus du gaz et Jeremy touille la mixture avec entrain. En nous apercevant, il se fend d'un large sourire et nous adresse un signe de tête. Tidji, Ed, Nedj, Tenten et Al jouent au tarot dans un coin de la pièce, tandis que les autres discutent des récents évènements.
Je pose mon sac et m'assieds contre le mur, me tenant le plus loin possible de Tim qui me foudroie du regard. Ce dernier se lève et attrape Khenzo pour l'emmener à l'écart dans l'une des alcôves. Même s'ils parlent à voix basse et que les autres couvrent leur conversation, je perçois le ton houleux des deux hommes. Je sens que la soirée va être longue. J'aurais peut-être mieux fait de ne pas céder à cette impulsion soudaine qui m'a intimé de suivre Khenzo.
Alors que je laisse échapper un soupir résigné, Jeremy me rejoint et s'assied à mes côtés.
— Vous étiez passés où tous les deux ?
Le gosse m'adresse un large sourire, créant ainsi deux petites fossettes sur ses joues encore juvéniles. C'est bien le seul à ressentir un peu de sympathie à mon égard. Même Camélia, qui me doit la vie, me jette des regards en coin peu amicaux.
— Khenzo m'a accompagnée pour rencontrer le Prophète.
— Sérieux ?! s'écrie-t-il, bouillonnant d'intérêt. Comment est-il ?
— C'est... je crois qu'on peut dire qu'il est étrange.
— Étrange ? C'est tout ?! s'exclame-t-il un peu déçu par ma réponse. C'est une légende par ici. On raconte qu'il a prédit la venue des forces armées du NGPP dans le coin, bien avant que les premiers soldats s'installent dans la base principale du secteur.
— Ce n'était pas très difficile à prédire, marmonné-je, peu convaincue.
— Ouais, mais il savait exactement par où ils allaient passer et combien ils étaient, continue Jeremy sans se laisser démonter par mon pessimisme.
— Il suffit d'intercepter une communication pour savoir ce genre d'information.
Le gamin m'adresse une grimace, vexé que je ne lui accorde pas le crédit qu'il aimerait.
— Enfin, reprends-je pour tempérer mon propos, je ne le connais pas suffisamment pour juger son... ses capacités. Si c'est une légende ici, ce ne doit pas être sans raison.
Jeremy hoche vigoureusement la tête.
— Est-ce que tu veux manger ? demande-t-il, soudainement. Ce soir c'est pâtes au bouillon de volaille... avec un peu de sel, rajoute-t-il à voix basse sur le ton de la confidence. J'en ai volé au marché hier, parce que sinon c'était pas dans mes moyens.
— Je ne raterai tes pâtes au sel volé pour rien au monde, lui réponds-je sur le même ton.
Tout sourire, il commence à remplir les gamelles et me sert la première. Je mange en silence, savourant ce repas chaud comme il se doit. Khenzo prend une assiette et s'assied à son tour à mes côtés. Le visage fermé, il semble furieux et contrarié, tout comme Tim, qui s'installe à l'opposé de la pièce principale. Chacun entame son dîner de bon cœur, et, bientôt, le silence est seulement troublé par le raclement de nos cuillères au fond de nos écuelles. Personne ne veut laisser la moindre miette.
Le silence s'éternise, alors que les derniers repoussent leurs assiettes vides sur le côté. Chacun jette de discrets coups d'œil à Khenzo et Tim, attendant que l'un d'eux crève enfin l'abcès. Pour une fois, le jeune homme laisse l'honneur à son aîné. Après tout, c'est bien lui le chef de tout ce beau monde.
Tim semble réfléchir à la meilleure façon d'entamer le sujet. Il finit par se racler la gorge pour attirer tous les regards dans sa direction.
— Bien. Vous le savez déjà, mais demain nous devons quitter les rangs. Max ne veut plus de notre présence à leurs côtés, après ce qu'il s'est passé avec Xalyah. Et nous n'avons pas encore eu le temps de discuter de notre prochain objectif ensemble. J'ai entendu des rumeurs disant que des militaires se seraient rassemblés, avec des civils, sur Vichy, pour résister au NGPP.
— C'est pas un peu loin de Paris pour opposer une résistance ? intervient Josh, le plus âgé après Tim.
— Ouais, c'est pas la porte à côté, renchérit Franc.
Son jumeau reste silencieux, mais semble acquiescer son propos.
— Ils ont peut-être des missiles là-bas ? s'interroge Jeremy. Ça se trouve, ils pourront anéantir Paris juste en appuyant sur un petit bouton.
— Parle pas de ce que tu connais pas, rétorque Tony.
— Parce que t'en sais plus que moi, peut-être ? répond le gosse du tac au tac.
— J'dois te rappeler à qui tu parles, là ?
Tidji s'interpose en posant une main sur l'épaule de Tony.
— C'est bon, mec. T'excite pas. C'est qu'un gamin.
— Vous en pensez quoi, alors ? reprend Tim. Ça vous branche de faire un tour là-bas, pour voir de quoi il en retourne ?
Les regards se croisent, chacun épiant la réaction des autres, attendant que le premier d'entre eux se décide à parler. C'est finalement la voix de Khenzo qui s'élève au-dessus de nos têtes.
— Xalyah doit passer par Orléans, alors je vous propose qu'on l'accompagne avant de repiquer vers Vichy.
— Non.
La réponse est sèche, sans appel. Tim plante ses yeux noirs dans les miens, pourtant ce n'est pas à moi qu'il s'adresse :
— Il me semblait avoir été clair. Il n'est pas question qu'elle reste plus longtemps avec nous. Je t'avais dit qu'elle nous apporterait des ennuis, ajoute-t-il en touchant son nez de son index. Et je ne me suis pas trompé.
— T'es lourd avec ça, s'énerve Khenzo. Elle n'y est pour rien dans l'évacuation de la Cité. Les soldats étaient déjà dans les galeries quand elle les a tués. Avec tous les signes de vie qu'ils ont dû voir ici, on était grillés dans tous les cas.
— Je veux pas le savoir, rétorque Tim fermement. Je ne veux pas d'une irresponsable dans mes pattes.
— Alors j'irai avec elle et je vous rejoindrai ensuite sur Vichy.
Le jeune homme croise les bras sur sa poitrine,défiant Tim du regard. Bordel, mais à quoi il joue ? C'était pas prévu auprogramme, ça.
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Horizons #1 - Sombre balade
Science-Fiction-- Résumé -- 2107. Deux ans plus tôt, le monde est dévasté de façon brutale et soudaine. Aujourd'hui, il ne reste plus que des ruines, de la poussière et des cadavres. Les rares rescapés tentent de subsister, tiraillés entre les milices locales et l...