Chapitre bonus - Khenzo Eneour - #8

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— Ce n'est pas parce que tu as soigné Camélia que tu dois te croire chez toi ici. Alors prend tes affaires et fous le camp !

Bordel, le voilà qui remet ça... Et Xalyah n'a pas l'air décidé de mettre de l'eau dans son vin non plus...

— Ce n'est pas la gratitude qui t'étouffe, toi !

— Ne fais pas ta maligne avec moi !

Tim l'attrape violemment par le col de son manteau et la plaque contre le mur le plus proche. Ses affaires tombent à ses pieds et un silence assourdissant ponctue sa chute. Son avant-bras se presse contre la gorge de la jeune femme et il se rapproche dangereusement de son visage, l'air vraiment furax.

— Tu n'es pas la bienvenue ici. Alors, je ne te le dirais pas trois fois, prend tes affaires et barres-toi !

— Je ne suis pas là pour...

— J'en ai rien à foutre ! s'écrie Tim. Ferme-la ! Je t'ai dit de te casser !

Xalyah commence à glisser une main sous son manteau et je décide d'intervenir sans plus attendre avant que ça ne dégénère. Tim ne se laisse pas faire et je suis obligé d'user de toute ma force pour le faire lâcher prise et reculer. Les autres ne bronchent pas, sachant pertinemment que dans cet état, il est juste impossible de discuter avec lui et de lui faire entendre raison. Néanmoins je ne peux pas rester passif devant son excès de rage qui n'a aucun sens. Ma voix reste calme, mais mon corps est tendu comme un arc.

— Tu fais chier Tim. Elle a sauvé la peau de Camélia et c'est comme ça que tu la remercies ?

— J'aime pas cette gonzesse. Elle va nous attirer des ennuis, je le sens.

Il commence à sérieusement me gonfler avec cette histoire.

— Arrête ta paranoïa, tranché-je sèchement. Elle restera ici aujourd'hui, si elle le souhaite. La nuit a été rude pour tout le monde. Alors n'en rajoute pas.

— Non... je...

— Arrête, je te dis ! le coupé-je en le repoussant vivement.

Je lui fais signe de s'asseoir près du feu et il s'exécute, légèrement surpris de me voir réagir de cette manière. D'ordinaire, j'aurais sans doute laisser couler, mais cette fois je ne peux pas. Xalyah est avec nous en partie à cause de moi, je me sens donc redevable envers elle, surtout après qu'elle ait soigné Camélia de cette façon. Elle avait plus d'une occasion de partir et encore plus de raisons d'ignorer l'état de santé de ma camarade, ce qu'elle n'a pas fait. Elle ne mérite pas l'attitude de Tim, d'autant plus que la faire quitter les lieux maintenant pourrait tous nous mettre en danger.

— Les Balayeurs ne sont pas encore venus ramasser les cadavres. Tu veux qu'elle se fasse prendre ? Tu veux qu'ils remontent jusqu'à nous ? Jusqu'à eux ?! m'exclamé-je, plus vivement encore. Si tu veux jouer à ça, on va tous y rester. Alors arrête de nous faire chier.

— Tu m'emmerdes, me répond Tim en grinçant des dents alors qu'il a la tête baissée.

— Je sais.

— Ce n'est pas à toi de prendre ce genre de décision.

— Certes.

Je débats encore un moment avec lui et Tim finit par abdiquer devant ma détermination. Frustré et vexé que j'ai pris l'ascendant sur lui devant tout le monde, il se laisse choir sur une cagette.

— Tu sais gamin, mon flair me trompe rarement, conclut-il en posant son index sur son nez. Cette fille ne nous apportera rien de bon, je le sais.

— On en reparlera quand tu te seras reposé. Tu auras peut-être les idées plus claires.

Un peu dérouté par le spectacle minable que nous venons de donner, je passe une main frénétique dans mes cheveux tout en revenant vers Xalyah. Elle n'a pas bougé d'un pouce, attendant de voir ce qui allait sortir de cette dispute avec Tim. Je m'arrête devant la jeune femme et la dévisage plus longuement que je ne le devrais. Elle finit d'ailleurs par briser le silence pesant qui s'est écrasé sur nous.

— Écoute, commence-t-elle doucement, j'ai mieux à faire que de m'embrouiller avec un vieillard, alors je vais ramasser mon sac, reprendre mes armes et m'en aller. Ce sera plus simple comme ça.

— Non, je ne pense pas, répliqué-je un peu vivement. Les Balayeurs devraient être sur place dans moins d'un quart d'heure. Ça ne te laissera pas assez de temps pour partir d'ici.

— J'en ai vu d'autres, ne t'en fais pas. Je saurais les gérer et les détourner de cet endroit.

Elle a l'air sûre d'elle, mais je ne la laisserai pas nous mettre en danger, si bien que mon ton devient plus sec encore.

— Il est hors de question de courir ce risque. Et puis vu ta tête, une journée de sommeil ne te ferait pas de mal. Ici tu ne risqueras rien, je te le promets.

Je me trouve soudain bien ridicule de lui avoir fait cette promesse. Ne s'apercevant pas de mon trouble, elle jette un regard en biais en direction de Tim.

— Il ne faut pas lui en vouloir, continué-je dans l'espoir idiot de la rassurer. Tim est un bon chef d'escouade, mais ces derniers jours ont été un peu éprouvants.

— Sans doute.

Sa tête bascule en arrière et elle glisse le long du mur pour s'asseoir. Elle a l'air épuisé et je crois que mon offre est finalement la bienvenue car ça lui donne la possibilité de se reposer sans être sur le qui-vive en permanence. Son front se pose sur ses genoux et ses mains se glissent dans ses cheveux humides. Ouais, cette fille a beau vouloir se montrer forte et porter un masque d'impassibilité, elle est vraiment sur les rotules.

Je décide de la laisser tranquille et d'aller chercher le thermos de café pour faire le tour des troupes. Un bon moyen de faire redescendre la tension qui est à son comble. J'attrape la pile de timbales en fer blanc et revient vers Camélia pour la servir en premier alors qu'elle finit d'échanger quelques mots avec Xalyah. Je m'agenouille à ses côtés et pose une main sur son bras.

— Tu veux un peu de café ? lui demandé-je doucement.

— Je veux bien.

Je pose le thermos et les tasses à côté de moi et l'aide à se redresser avant de la servir. Camélia s'installe plus confortablement contre le mur et croise les jambes. Son regard fatigué et triste se pose sur le corps de Samuel. Elle se met à trembler et des larmes se pressent sous ces cils qui tentent de les contenir. Je préfère la laisser à ses souvenirs, comprenant que pour le moment je ne lui serais d'aucune aide. Le cœur lourd devant sa détresse, je me force à me relever et faire le tour des autres en affichant un visage affable. Ces quelques minutes me permettent de me reprendre et d'enfouir ma propre tristesse face à la mort de Samuel. C'était un chouette type, il ne méritait pas de partir si vite. Enfin, j'imagine que c'est le cas pour la plupart d'entre ceux qui sont morts avant même d'avoir pu vivre leur vie.

Lorsque j'arrive au niveau de Xalyah, il ne me reste plus qu'une timbale. Même si je trouve qu'il a un goût dégueulasse, j'aurais bien apprécié boire ce café pour me réchauffer, mais quelque chose me dit qu'elle en a plus besoin que moi. Je la remplis et lui tends la tasse fumante.

— Et toi, tu n'en veux pas ? s'enquiert-elle.

— J'aurais l'occasion d'en boire plus tard. Prends-la.

Je lui fourre la timbale dans la main et rebouche le thermos.

— Merci.

Je hoche la tête et prends place à côté d'elle. Les larmes de Camélia coulent toujours en silence sur son visage et je me renfrogne. Peut-être que si j'étais resté avec eux, les choses auraient pu tourner autrement. C'est sûrement prétentieux de ma part de penser que j'aurais pu faire la différence, mais je ne peux empêcher ce sentiment de culpabilité de gonfler dans ma poitrine. Je ressasse mes derniers souvenir en compagnie de Samuel et me retiens de lâcher un soupir à fendre l'âme.

Horizons #1 - Sombre baladeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant