Partie 23 Yuri

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Ded et moi attendions en silence, l'air lourd de tension. Andy était assis face à nous, le regard rivé sur la feuille devant lui. Il la lisait avec une concentration presque obsessionnelle, comme s'il s'efforçait de maîtriser un puzzle impossible. La pièce semblait se resserrer autour de nous, le bruit des ventilations au plafond amplifiant le silence écrasant.

Je détournai les yeux vers Ded. Elle était immobile, les bras croisés, le visage impassible, mais il y avait une ombre dans son regard, une anticipation silencieuse. De mon côté, je ne pouvais m'empêcher de m'agiter, assis en tailleur sur le sol froid et inconfortable. Je sentais mes jambes s'engourdir, et avec elles, mon courage.

Quand Andy leva enfin les yeux de la feuille, ce fut comme un choc. Son regard... Il était intense, presque transperçant, d'une profondeur que je n'avais jamais remarquée. Mon cœur rata un battement. Pourquoi me faisait-il peur à cet instant ? Pourtant, une petite voix me soufflait qu'il n'était pas une menace pour moi, pas vraiment.

Puis, sans prévenir, un souvenir me traversa : Victor. Son visage, son sourire. L'espace d'une seconde, je fermai les yeux pour chasser la douleur de son absence. Il me manquait. Si seulement il pouvait être là...

Andy prit enfin la parole, sa voix brisant le silence comme un coup de tonnerre :

- Tout d'abord, je suis né en octobre, le 4, pour être précis. 

Sa voix était calme, mais je sentais un poids derrière chaque mot.

Il fit une pause, son regard s'éloignant légèrement, comme s'il revivait chaque mot qu'il prononçait. Ded restait impassible, attentive, mais son immobilité trahissait une certaine tension. Moi, je me concentrais sur Andy, dévorant ses paroles comme si elles contenaient une vérité essentielle.

- Je n'avais ni frères ni sœurs. Fils unique, choyé par mes parents, à l'époque, tout semblait parfait. Mon père travaillait dans une usine, ma mère était au foyer. Ils s'aimaient, et moi, j'étais leur petit prince. 

Un sourire amer effleura ses lèvres.

- Puis tout s'est effondré. L'usine a fermé, les revenus ont disparu, et les disputes ont commencé. J'avais huit ans. Ma mère avait peur pour moi, elle me gardait à la maison pour éviter que je subisse ce que d'autres enfants auraient pu me faire. Peut-être qu'elle avait raison, mais... ça m'a laissé seul. Toujours seul. 

Chaque mot semblait alourdir l'air autour de nous. Je voulais dire quelque chose, n'importe quoi, mais je n'osais pas. Andy reprit, sa voix légèrement tremblante :

- Et puis... j'ai découvert que j'aimais observer le ciel. Les étoiles, les constellations, la lune. C'était mon refuge. Mais cette paix n'a pas duré. 

Son regard, auparavant brillant face a ces souvenirs, se durcit. Je sentis une boule se former dans ma gorge. La tension montait, et je savais qu'il allait aborder la partie sombre de son récit.

- Tout a changé après la mort de ma grand-mère. Mes parents étaient inquiets que je ne pleure pas, mais ils n'ont jamais vu ce qui se passait quand j'étais seul. J'ai toujours été comme ça : je garde tout à l'intérieur. Personne ne me voit m'effondrer. 

Sa voix trembla légèrement, mais il la stabilisa rapidement, comme s'il refusait de se laisser aller devant nous.

- Quand je suis seul, c'est autre chose. C'est là que ça sort. Les crises d'angoisse, les larmes qui ne s'arrêtent pas, les pensées qui tournent en boucle... Et parfois, je ne me reconnais même plus. J'ai l'impression d'être... ailleurs. 

Il passa une main dans ses cheveux, un geste nerveux qui trahissait plus qu'il ne voulait montrer.

- Mais devant les autres, je reste neutre. Toujours. C'est plus facile comme ça. Moins de questions, moins de regards, moins de jugement. 

Mauvais départsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant