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Et puis, je me rends compte que je n'en ai pas envie. Du tout. Je n'ai jamais voulu me fâcher avec elle. Je la trouvais merveilleuse, la vie. À chaque fois que je posais mon regard sur elle je souriais à pleines dents ou riais à gorge déployée. C'était sacrément beau, toutes ces couleurs, tous ces nuages, toute cette eau qui ne s'habillait jamais de la même facon. Mon monde était magique parce que rien de tout ça ne l'était finalement. C'était la nature et c'était exceptionnel.

Être passionnée était le meilleur des sentiments et j'aurais voulu finir ma vie en étant seulement capable de faire sourire n'importe qui.

Mais j'ai dû faire quelque chose de travers, de trop douloureux pour elle, au point qu'elle ne m'a plus porté aucune attention. Elle m'a laissé me débrouiller sans garantie et s'est éclipsée dès que je suis tombée. Il n'y avait plus rien pour m'aider à me relever, alors j'ai erré pendant longtemps, jusqu'à être assez perdue pour n'avoir plus le choix que d'emprunter le mauvais chemin.

Je me souviens du jour où j'ai vu ce chemin pour la première fois. Il a fait s'arrêter mon coeur pour quelques minutes, le temps de me faire cinglée au point de le trouver attirant. Je me disais qu'il fallait explorer ce sentier pour ne rien regretter, qu'après tout, vivre c'était aussi faire des expériences sans savoir si ça valait vraiment le coup.

Elle m'a regardé m'engager sur le chemin tout gris qu'elle avait créé pour les gens qui en voulaient tellement qu'ils posaient problème, les gens comme moi, elle s'est assurée que je ne reviendrai jamais sur mes pas et a disparu.

J'ai traversé ronces, orties, chardons. J'ai subi tout ce que j'ai croisé sur ce  chemin qui rejoignait, bien entendu, une forêt désorganisée et j'ai fini par me méfier même des arbres. J'ai appelé au secours un million de fois, j'ai hurlé, supplié mon être de se contenter de n'importe quelle issue, j'ai pleuré, fait couler de mes yeux toute l'humidité que mon corps gardait secrètement à l'intérieur.

J'ai finalement compris que ce chemin menait à un cul de sac qui aurait dû paraître évident. Je n'ai jamais trouvé de sortie. Je devrais me faire à l'idée qu'il s'agissait de mon quotidien. Qu'à défaut d'échapper à cette prison, je devais m'y habituer pour l'accepter, vivre avec. Seulement rien n'était moins humain que de se résigner à être brisée.

J'en suis là. À imager, dessiner d'effrayants physiques à ma prison émotionnelle. À ne plus trouver d'espoir de secours dans aucune de mes poches. À m'excuser du peu de noirceur que j'extériorise.

Ma tête crie sans ma voix, noyée dans une mer d'angoisse, sans mes lèvres, qui deviennent bleues d'avoir froid pour mon âme. Âme émoussée, inutilisable, moisie.

Je ne me raccroche plus qu'à ce plongeon infini dans l'obscurité que produit mon esprit sans répit et me désole que cela soit le cas car je pense chaque jour à cette joyeuse moi-même des années disparues que j'ai tristement laissé derrière.

En espérant qu'elle perçoit mes excuses.

Bouche cousue - deuxième èreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant