Petit Goémon marchait dans la forêt, sans trop s'éloigner du camp où il y avait son père et sa mère. Ils lui avaient bien dit de ne pas s'éloigner, de ne pas se perdre. Et aussi de ne pas s'enfoncer trop loin dans le territoire. Il aurait pu tomber sur le territoire de leurs ennemis.
Leurs ennemis, c'était les grands méchants pas beaux chefs des Clans, ceux qui "tyrannisent de la manière la plus vile et la plus abjecte qui soit les chats du Clan et qui bafouent les vrais principes moraux d'un Clan", comme sa mère aimait tant le répéter.
En vrai, Petit Goémon ne comprenait pas grand-chose à cette phrase, mais il aimait à la répéter, pour faire comme maman.
Et, aussi pour faire comme maman, il récitait ce poème qu'elle aimait tant :
Depuis des décennies que nous sommes dirigés
Par une bande de rouquins et de souris mouillées
Leurs beaux pelages flamboyants leur donnerait le droit
De nous voir devant eux s'agenouiller bien bas
Mais un seul cri s'élève dans les rangs des guerriers :
Ces sales rouquins doivent disparaître de la Forêt !
Il y avait une semaine, maman l'avait réveillé au beau milieu de la nuit pour lui dire qu'il ne devait pas poser de questions et venir avec eux se cacher dans la forêt. Il avait plus ou moins compris qu'ils étaient en fuite. Il y avait une petite dizaine de guerriers avec eux.
De toute façon, il n'y avait pas de risque, pensait Petit Goémon. Eux, ils étaient les gentils, dans cette histoire, non ? Alors ils allaient vaincre les grands méchants pas beaux et tout irait bien.
Pour l'instant, il se promenait dans la forêt pour enrichir sa collection de plumes. Il adorait collectionner les plumes. Plumes de geai, plumes de corbeau, plumes de moineau... il les connaissait toutes.
Soudain, un bruit l'alerta. Un rouquin, assez joli, d'ailleurs, jaillit des fourrés, courant comme jamais. Il percuta Petit Goémon, qui s'effondra sur le sol.
- Aaaïïe !
Par réflexe, l'apprenti roux s'arrêta. Petit Goémon pleurnicha :
- Tu m'as fait mal !
L'apprenti avait un air paniqué, presque terrorisé, quand il murmura :
- Je... je n'ai pas le temps, je... ils veulent m'empêcher de retourner chez mes maîtres... je dois les revoir ! Ils ne veulent pas me laisser retourner dans la ville !
Et il se remit à courir. Mais il n'alla pas bien loin.
- ATTRAPEZ-LE ! " hurla une voix.
Et, sous ses yeux, le rouquin se fit impitoyablement plaquer au sol par toute une bande de chats.
- Nuage de Feu Follet, tu y as vraiment cru, pas vrai ? " ricana une voix qui n'était en fait qu'un murmure bas et sinistre.
Le Nuage de Feu Follet en question se mit à trembler. De toute évidence, le chat devant lui, un grand mâle sombre, le terrorisait. Et il y avait de quoi. Il se lisait une telle froideur dans les yeux de ce chat...
- Laissez-moi partir ! gémit Nuage de Feu Follet. Vous n'avez pas le droit ! Pourquoi voulez-vous m'empêcher d'être heureux ? Pelage Sombre, laisse-moi !
Le dénommé Pelage Sombre s'approcha de lui, et, toujours avec la même froideur, il répondit :
- Heureux ? Chez une bande de Bipèdes ? Tu déshonores la lignée d'Étoile de Feu !
- JE M'EN FOUS, DE LA LIGNÉE D'ÉTOILE DE FEU ! " Nuage de Feu Follet hurla soudainement, explosant de révolte et de haine.
Il y eut des sursauts choqués dans la patrouille des chats. Tout d'abord, Pelage Sombre ne réagit pas. Petit Goémon crut même qu'il n'allait rien dire. Et effectivement, il ne dit rien. Non, il se contenta de s'approcher de Nuage de Feu Follet et de le frapper sur le museau si violemment qu'une giclée de sang jaillit du nez de l'apprenti et que celui-ci hurla.
- Redis ça encore une fois et je t'assure que je te couperai la queue. " grinça entre ses dents Pelage Sombre. Ciel Indigo, ramène ce petit... morveux au camp.
- Je... vous... déteste... " pleurnicha le chaton en gémissant de douleur, du sang plein le visage.
Petit Goémon était pétrifié. Il tenta un mouvement, mais il fit craquer une feuille sous sa patte. Tous se retournèrent vers lui.
- Mais... c'est...
- Petit Goémon, le fils de Pelage Noir ! attrapez-le ! " Ciel Indigo hurla avant même qu'il puisse comprendre la situation.
Petit Goémon s'enfuit juste à temps. Il courut de toutes ses forces dans la nuit, en hurlant :
- AU SECOURS, MAMAN !
Devant lui, il entendait Ciel Indigo hurler :
- Suivez-le ! Suivez-le !
Petit Goémon commettait la pire des erreurs. Il se rendait droit au camp des rebelles. Quand il entra dans la clairière, il hurla :
- Ils arrivent, ils arrivent !
Il vit Pelage Noir, son père, lever les yeux de la souris qu'il mangeait.
Et ensuite, tout se passa si vite qu'il ne vit plus grand-chose. Il sentit qu'on l'attrapait, qu'on le maintenait contre le sol, et il entendit des feulements et des bruits de bataille autour de lui.
Il s'évanouit sans doute, car il serait incapable de se souvenir par la suite de ce qui arriva.
Quand il reprit ses esprits, il vit les renforts qui étaient arrivé et ses deux parents cloués contre le sol par deux guerriers dont il ne connaissait pas le nom.
Devant eux, Pelage Sombre souriait, utilisant les mêmes mots qu'il avait employé avec Nuage de Feu Follet :
- Pelage Noir, Patte de Jonc, vous y avez réellement cru, n'est-ce pas ?
Son sourire était si sinistre que Petit Goémon crut voir sa mère frissonner. Mais non, bien sûr que non ! Sa mère était la plus belle et la plus courageuse, c'est bien connu ! Elle ne tremblait devant rien ni personne.
- Votre petite insurrection est terminée. La voix de Pelage Sombre ne jubilait pas réellement, elle marquait simplement un manque d'émotions. Maintenant, vous allez mourir. Quant à votre petit... comment s'appelle-t-il, déjà ? Oh, peu importe. Lui aussi, il sera tué. C'est une leçon que j'ai appris tôt. Ne jamais laisser les descendants en vie si vous ne voulez pas avoir un futur rebelle prêt à venger ses parents.
Petit Goémon vit le regard de sa mère se poser sur lui. Elle semblait réellement terrorisée, maintenant.
- Tuez-les. " ordonna Pelage Sombre.
Soudain, Petit Goémon sentit le regard du chat qui le tenait sur lui. Ciel Indigo. C'était un vétéran au pelage gris, très grand, aux yeux d'un bizarre bleu-gris. Ciel Indigo semblait presque le regarder avec compassion...
- Petit, lui murmura-t-il, ne regarde pas ça.
Mais rien à faire. Le regard de Petit Goémon, persuadé que tout ça n'était qu'un vaste cauchemar, revenait éternellement sur ses parents.
- Ne regarde pas. " la voix de Ciel Indigo se fit plus autoritaire, mais aussi plus douce.
Petit Goémon ne fit même pas attention à lui. Mais, enfin, il finit par trouver la force de baisser les yeux. Un tout petit peu trop tard. Il vit, en un éclair, du sang gicler sur le sol. Et ce fut tout.
Goémon Noir se réveilla en sursaut. Encore ce cauchemar...
Voilà les seuls souvenirs qu'il gardait de la mort de ses parents. Pauvres souvenirs. Mais il n'en avait pas d'autres. Et, quand on se ressasse ces souvenirs fixement, presque chaque nuit, on finit par y retrouver une consolation.∞∞∞Affamé comme jamais, Étoile du Tigre monta sur le promontoire. Autour de lui, dans le camp du Clan de l'Ombre, les chats qui se traînassaient sur le sol, mourant de faim, ayant à peine la force de se relever, étaient plus nombreux que les chats bien-portants.- Bilan du jour ? " demanda-t-il à son lieutenant, Pierre de Granit.- Bah... c'est pas très joyeux. Deux morts, un apprenti qui n'a même plus la force de manger, et encore un autre taré qui a piqué une crise de folie et qui a poursuivi les chatons de la pouponnière en les prenant pour des lapins bien dodus.- L'apprenti qui n'a plus la force de manger, je le compte parmi les morts ?- Ouais, vaudrait mieux.- Et mon Petit Lionceau, il va bien ?- Parfaitement bien.- C'est l'essentiel !Encore une longue journée qui commençait, pour Étoile du Tigre. Depuis qu'il était chef, il se levait tôt, se couchait tard, et il n'avait presque aucun temps pour lui. Il n'aimait pas être chef, il détestait ça, même, mais c'était son travail, et il devait le faire. Il appela au rassemblement d'une voix lasse.- Bien... chats du Clan de l'Ombre, hier, à l'Assemblée, le Clan de la Rivière, comme vous le savez, nous a confié une portion de leur territoire. Grâce à ça, nous allons pouvoir manger à notre faim. Lesquels d'entre vous sont encore assez en forme pour marcher jusque là-bas et chasser du gibier ?Un silence désolé lui répondit.- Bon... je vois qu'il faut que je décide moi-même. Fleur Rouge, Pelage de Marbre, Éclat d'Or et Nuage d'Araignée.- Euh... Nuage d'Araignée est mort, chef. " balbutia un guerrier dans la foule, gêné.- Quoi ? Mais depuis combien de temps ?- Ben... depuis bientôt trois jours, chef.- Oh, excusez-moi de ne pas être au courant du nom de tous les chats qui meurent ici ! " rétorqua Étoile du Tigre, piqué au vif.Il s'aperçut que la mère de Nuage d'Araignée, Fleur Rouge, était dans la foule, et ajouta :- Toutes mes condoléances, Fleur Rouge. Je le connaissais bien, c'était un chasseur intrépide, ce petit rouquin.- Il avait le pelage noir. Et il détestait chasser.-... - Et c'est le fils de Pierre Grise, pas le mien.-... OUI BEN, EUH... et d'abord, pendant qu'on papote, le gibier nous échappe. Alors allez-y, et ramenez-nous des proies, plus vite que ça !Les trois chasseurs désignés s'éloignèrent en traînant la patte. Ils étaient seulement un peu moins morts de faim que les autres.- Bref... d'autres affaires dont j'ai à m'occuper, aujourd'hui ? " demanda Étoile du Tigre.- Beuh... tu te souviens des corps qu'il y a dans la Combe d'Entraînement, chef ?- Oui, je me souviens, et puis... ?- Et puis, personne n'a pensé à les dégager. Ils continuent à pourrir là-bas, chef. - QUOI ? Mais... mais j'avais chargé Nuage d'Araignée de les enlever !- C'est-à-dire qu'il est mort avant de pouvoir le faire. Chef, il faut faire quelque chose, pour les cadavres, ça commence à puer... - Eh bien, qu'est-ce que vous attendez, partez les enlever !- Mais... mais si on les touche, on va sûrement s'infecter, ou attraper une maladie...- Oh, crotte de souris... vous avez tous décidé d'être pénibles aujourd'hui, hein ?Et, à bout de forces, il descendit du promontoire en poussant un long soupir :- Pierre de Granit, sois gentil, remplace-moi ce matin, s'il te plaît. Moi, je suis épuisé...Et, se fichant complètement de ce que les guerriers diraient de son manque de professionnalisme, il se dirigea vers la pouponnière.À l'intérieur, Petit Lionceau l'attendait, la truffe humide, les yeux pétillants, comme d'habitude.- Papa !Et il se précipita en ronronnant sur lui, se frottant contre ses pattes. Étoile du Tigre, se sentant apaisé, le serra contre lui. Et il se prépara à l'afflux de questions.- Alors, comment ça va, papa ? T'as encore fait le chef, aujourd'hui ?- Comme tous les jours, oui...- T'aimes ça, être le chef, papa ?- Non.- Ben alors pourquoi t'es chef, papa ?- J'suis obligé, mon petit coeur.- Mais c'est pas drôle, hein ?- Non, pas du tout.- Mais alors, pourquoi t'es chef ? Tu m'as toujours pas répondu !- Parce que mon père l'était avant moi.- Il était chef aussi, ton papa ?- Oui.- C'était un gentil chef ?- Pas vraiment...- Pourquoi t'arrêtes pas d'être chef, papa ?- J'aimerai bien.- Alors pourquoi ?- J'peux pas.- Pourquoi ?- Parce que... parce que j'ai des devoirs, des obligations. Et aussi parce que c'est une manière d'honorer la mémoire de mon père et sa lignée, en me montrant digne du grand chef qu'il a été.- C'était un grand chef, ton papa ?- Oui.- Mais tu m'as dit que c'était pas un gentil chef...- Bah, tu sais, en général, l'un va avec l'autre...Petit Lionceau ne comprenait pas grand-chose à toutes ces histoires compliquées. Alors, il changea de sujet, sa truffe posée tout contre le pelage d'Étoile du Tigre :- Elle revient quand, maman ?Crotte de souris.- Beeuh... à mon avis, elle ne va pas revenir tout de suite. Elle est bien, là où elle est.- Je pourrais lui rendre visite ?- NON ! Euh, je veux dire... non, mon petit coeur, ce ne serait pas une très bonne idée.- Ça fait combien de temps, déjà, qu'elle est partie la faire, cette partie de chasse ?- Trois semaines.- C'est long...- Ça prends du temps, les parties de chasse...- Pourquoi elle revient pas ? Elle m'aime plus ?- Mais si, mais si, elle t'adore, mon coeur, mais... mais voilà, elle ne peux pas revenir pour l'instant.- Papa ?- Hm ?- Y'a Petit Scarabée qu'a été méchant avec moi.- Ah bon ? Et qu'est-ce qu'il t'a dit ?- Un truc horrible... il m'a dit que maman, en vérité, elle était morte de faim, et que toi, papa, tu m'avais menti, et que j'étais le seul de tout le Clan à pas savoir que maman, elle était morte...Double crotte de souris.- Ah oui ? Eh ben, il raconte n'importe quoi, Petit Scarabée. Ta mère, elle est vivante, et elle va y revenir, de cette partie de chasse.- On ira l'accueillir, hein ?- Promis, mon coeur.- Elle me manque...- Moi aussi.Faudra que j'aille penser à aller en coller une à ce Petit Scarabée, tiens.Soudain, de l'extérieur de la pouponnière lui parvint des cris et des feulements.- Papa, qu'est-ce qui se passe ?- Je... je ne sais pas.Sa voix était devenue blanche.- Reste ici, Petit Lionceau, il faut que j'aille voir.- Je peux venir avec toi ?- Non.- Mais...- NON !La panique dans sa voix suffit à convaincre Petit Lionceau de se taire. Étoile du Tigre se rua dehors.Ce qu'il vit l'horrifia. Des guerriers du Clan du Tonnerre, partout dans le camp, se jetaient sans pitié sur les chats du Clan, attaquant même les blessés et les plus affamés. Terrorisé, Étoile du Tigre se retrouva comme cloué sur place. Son pire cauchemar venait de prendre vie. Il avait toujours redouté cet instant fatidique, où son Clan serait en danger, et où lui, Étoile du Tigre, ne pourrait rien faire. Il savait déjà être un chef faible. Il savait qu'il n'aurait jamais le quart de la moitié des qualités de son père, ni le courage d'un vrai chef. Alors, il priait tout simplement pour que des "vrais" ennuis ne lui arrivent pas.Mais là, il ne pouvait plus rien faire. Son Clan se faisait massacrer sous ses yeux.On finit par le remarquer, un jeune chat bouche bée et tremblant, juste devant la pouponnière, et on se rua sur lui. En un rien de temps, il se retrouva plaqué contre le sol, sans même avoir le temps de se défendre.- On tiens leur chef ! "hurla le guerrier qui le maintenait au sol, et le combat, ou plutôt le massacre, s'arrêta aussitôt.Un silence s'installa. Étoile du Tigre regarda autour de lui. Tous les guerriers de son Clan s'étaient soi rendu, soit enfui. Sa peur était palpable, mais il s'efforçait de n'en rien laisser paraître. Il vit Pelage Sombre se détacher de la masse des guerriers du Clan du Tonnerre et s'approcher de lui :- Étoile du Tigre, cracha-t-il, la colère perçant dans sa voix, le fils de notre chef, Nuage de Feu, est mort.
- Toutes mes condoléances. " répondit Étoile du Tigre d'une petite voix, tentant d'amadouer l'agresseur.
C'était la pire réponse qu'il pouvait donner. Il avait dit ça sans aucune arrière-pensée, mais les chats du Clan du Tonnerre le virent comme une provocation.
- Ne te fiche pas de nous, Étoile du Tigre, tu sais très bien de quoi je parle ! " feula Pelage Sombre.
Non, il n'en avait pas la moindre idée.
- On a retrouvé son corps derrière votre frontière, avec votre odeur ! Vous l'avez tué !
Étoile du Tigre en resta d'abord bouche bée. Pour un peu, il en aurait ri.
- Mais... mais... mais... de quoi vous parlez ? Écoutez, je... je suis prêt à vous jurer que je n'y ai pas touché, à votre Nuage de Feu.
- Il ment ! C'est un menteur, comme tous les chats du Clan de l'Ombre ! " cracha Plume Brune.
- Mais... mais regardez-moi cinq secondes. Je vous paraît le genre de chat à ordonner la mort d'unenfant ? " bégaya Étoile du Tigre, de plus en plus terrifié.
En voyant que cette raison-là ne semblait pas les toucher, il opta pour des arguments plus pragmatiques :
- Et, je veux dire... d'accord, d'accord, admettons que je sois réellement le genre de chat à ordonner la mort d'un enfant. Je n'aurai jamais pris le risque de déclarer la guerre à un Clan quatre fois plus fort que le mien !
Et, dans un geste désespéré, il désigna les chats de son Clan, tous faméliques, tous pathétiques :
- Vous croyez réellement que mon Clan aurait été en état de soutenir une guerre contre vous ? Ça aurait été du suicide de tuer le fils de votre chef, ça aurait été du suicide de vous déclarer la guerre !
Les arguments d'Étoile du Tigre étaient effectivement très sensés. Mais même les arguments les plus sensés du monde ne peuvent rien contre une foule de guerriers en délire, qui réclame absolument un coupable.
- Il ment !
- Ne l'écoutons pas !
- Il est comme tous les chats du Clan de l'Ombre, vicieux et fourbe !
- Mais enfin, écoutez-moi, au moins ! gémit Étoile du Tigre. Et même si je l'avais tué, je n'aurai pas laissé l'odeur de mon Clan bien en évidence sur le corps, je ne suis pas stupide ! Vous voulez tout savoir ? Et si c'était l'un des vôtres, le coupable ?
Là encore, c'était la pire chose qu'il aurait pu dire.
- Tu oses insulter les guerriers du Clan du Tonnerre ? " tonna Pelage Sombre.
- Comment ose-t-il nous accuser ?
- Pour qui se prends-il, ce sale matou du Clan de l'Ombre ?
Pelage Sombre se rapprocha encore un peu plus d'Étoile du Tigre. Celui-ci se tassa sur lui-même et tressaillit devant son regard froid.
- Cet acte doit être puni. Le Clan de l'Ombre ne s'en sortira pas comme ça.
Mais le cœur d'Étoile du Tigre fit un bond dans la poitrine lorsqu'il entendit une petite voix fluette venant de la pouponnière :
- Hé, papa ?
Il tourna la tête. Petit Lionceau était là, juste devant la pouponnière, regardant avec stupéfaction toutes ces choses bizarres qu'il ne comprenait pas.
- Papa, c'est qui, ces gens ? Et pourquoi Tornade d'Ailes elle est dans une flaque rouge et elle bouge plus ? Elle dort ? " demanda le petit chaton de sa voix fluette.
Étoile du Tigre fut pétrifié quand il vit Pelage Sombre s'approcher de son petit trésor :
- NE LE TOUCHE P-PAS ! " sa voix ressemblait plus à un cri terrorisé qu'à un ordre.
- Très intéressant. Lança Pelage Sombre. C'est ton fils, ce petit chaton ? Très mignon.
Petit Lionceau ne comprenait rien. Tout ce qu'il comprenait, c'est que devant lui, il y avait un grand monsieur aux yeux qui faisaient peur et que son papa ne pouvait pas l'aider. Il fut encore plus terrifié en voyant que le grand monsieur aux yeux qui faisaient peur sortait les griffes et que son papa faisait une tête un peu comme si il allait se mettre à pleurer.
Pelage Sombre saisit le chaton par la gorge, mais ne se servit pas de ses griffes. Pas encore.
- Bien... lança-t-il de sa voix froide et impassible, en exécuteur de la justice qu'il était. Étoile du Tigre, tu connais les principes des Clans. Oeil pour oeil, dent pour dent, vie pour vie. Tu nous a tué notre futur chef, il est normal que nous te rendions la pareille, non ?
- NON ! Je ne l'ai pas touché, votre Nuage de Feu, je le jure sur la vie de mon fils, je le jure sur tout ce que vous voudrez ! Je... je vous en prie, Petit Lionceau n'y est pour rien !
Étoile du Tigre gémit :
- Écoutez, Petit Lionceau est la seule chose sur terre qu'il me reste, sa mère est m... s'est en allé faire une partie de chasse, je m'étais promis de prendre soin de lui, il est la chose la plus précieuse au monde pour moi... Pelage Sombre, si tu as la moindre petite pitié en toi, je t'en supplie, ne le tue pas !
Mais Pelage Sombre n'avait pas la moindre petite pitié en lui.
- Pauvre Étoile du Tigre... dit-il avec un sourire en coin, tenant toujours Petit Lionceau qui se débattait. Tu as donc si peu de dignité ? Mais que dirait donc papa si il te voyais implorer la pitié d'un guerrier ennemi simplement pour sauver la vie d'un mioche ? Lui, Étoile de Lynx, était un grand chef. Lui, il t'aurait sacrifié sans même regarder une seule seconde en arrière si ça avait été pour l'intérêt de son Clan... c'est justement ça, qu'on doit abandonner, si on veut être chef. Toute idée de pitié. Mais ça, le petit gamin si sensible et si fragile que tu es ne le comprendra jamais, n'est-ce pas ?
Étoile du Tigre, plus terrorisé que jamais, fouilla la foule des guerriers du Clan du Tonnerre du regard, pour tenter de se trouver un allié.
Et son regard tomba sur Étoile de Taches.
- Étoile de Taches, lança-t-il, Étoile de Taches, tu... tu ne vas pas laisser faire ça ? Je... je sais que tu n'as aucune envie de tuer Petit Lionceau, tu ne peux pas laisser passer ça, je t'en supplie, fais quelque chose !
Troublée, Étoile de Taches se raidit.
- Et pourquoi je ferai ça ?
Étoile du Tigre, soudain furieux, cracha :
- Tu n'es même pas une vraie chef ! Si tu étais une vraie chef, tu ferais ce que toi, tu veux faire, et pas ce que ton lieutenant veux !
Étoile de Taches recula comme si il l'avait giflé. Elle luttait pour ne pas perdre le contrôle d'elle-même.
Ses yeux allaient d'Étoile du Tigre, jeune chat plaqué contre le sol et terrorisé, à Petit Lionceau, tenu par le cou par Pelage Sombre, qui ne comprenait rien à la situation, mais qui était tout de même mort de peur.
Elle revoyait cette solitaire... quel était son nom, déjà ? Buttercup, oui, c'était bien cela, Buttercup. Elle revoyait l'air digne de cette Buttercup qu'elle avait conservé juste avant de mourir, elle revoyait Pelage Sombre la tuer, mais surtout, surtout, elle se revoyait, elle, Étoile de Taches, rester muette, sans oser intervenir...
Ce n'est pas ma faute. Tenta-t-elle de se convaincre. Même si j'avais tenté quelque chose, il l'aurait quand même tuée, cette pauvre solitaire. C'est peut-être triste, mais je n'y suis pour rien. Et je n'y serai pour rien non plus dans la mort du fils d'Étoile du Tigre.
Mais, malgré tout, une petite voix dans sa tête lui glissait :
C'est trop facile. C'est trop facile de prétendre qu'on n'est pas responsable. Tu n'aurais jamais dû laisser faire Pelage Sombre, tu aurais au moins dû tenter quelque chose... si tu n'as pas pu sauver Buttercup, sauve au moins Petit Lionceau.
Étoile de Taches, complètement perdue, luttant intérieurement avec elle-même, croisa le regard terrorisé de Petit Lionceau.Ce fut peut-être ce regard-là qui la fit craquer :
- Pelage Sombre, non, attends !
Pelage Sombre se retourna.
- Que se passe-t-il ? Tu ne comptais pas me donner d'ordres, j'espère ?
- Je... je ne pense pas qu'il soit nécessaire de tuer Petit Lionceau. Elle tenta de réunir son courage. Nous pourrions simplement... le garder en otage. Qu'en dis-tu ?
Pelage Sombre sembla hésiter.
- Hmm...
Oui, tiens, pour une fois que cette idiote d'Étoile de Taches n'avait pas une si mauvaise idée... c'est vrai, ils auraient pu garder le petit en otage. Déjà, ça aurait empêché la moindre résistance de la part du Clan de l'Ombre, et, de plus... élever Petit Lionceau comme un chat du Clan du Tonnerre, le faire devenir un guerrier du Clan du Tonnerre, lui faire oublier son passé, lui faire oublier qu'il avait un jour été le fils du chef du Clan de l'Ombre était, en un sens, bien plus cruel que de le tuer.
- Pourquoi pas ? dit-il. Oui, c'est même une excellente idée... Étoile du Tigre, je crois que le Clan du Tonnerre va garder ton Petit Lionceau. Tu verras, dans quelques lunes, il ne se rappellera même plus de ton existence... ça oublie vite, les chatons. Et si un jour, il te recroise lors d'une bataille, il n'aura même pas conscience d'attaquer son père.
Il ajouta avec un sourire :
- Et, au fait, mais ça, je crois que ça va de soi... si un jour, tu essaie de nous attaquer, ou de te venger, ou même si tu créé le moindre petit souci au Clan du Tonnerre... on te renverra le cadavre de ton fils.
Sur le moment, Étoile du Tigre fut tellement soulagé que ce cœur de pierre ait épargné la vie de son Petit Lionceau qu'il en aurait pleuré de joie. Mais, très vite, il fut horrifié à la pensée d'être séparé de son fils pour toujours.
- Bien. Marché conclu, Étoile du Tigre. Lança Pelage Sombre. Tu t'en tires plutôt à bon compte. Estime-toi heureux qu'on ne massacre pas ton Clan entier. Guerriers du Clan du Tonnerre, rentrons !
Les chats qui tenaient Étoile du Tigre le lâchèrent. Les chats du Clan du Tonnerre, Pelage Sombre à leur tête, sortirent triomphalement du camp. En voyant Pelage Sombre emmener son fils, Étoile du Tigre s'avança :
- Attendez ! Laissez-moi lui dire au revoir, au moins !
La réponse de Pelage Sombre fut brève, mais catégorique :
- Non.
Et Étoile du Tigre ne put que regarder les guerriers du Clan du Tonnerre s'éloigner du camp jusqu'à devenir invisible.
Quand il fut sûr que Pelage Sombre soit hors de vue, il hurla soudainement :
- SALE CROTTE DE RENARD ! SALE CROTTE DE RENARD ! TU VAS ME LE PAYER ! TU VAS ME LE PAYER !
- Étoile du Tigre, calme-toi, tenta Pierre de Granit qui se relevait péniblement, que veux-tu qu'on fasse ? Ils l'ont emmené, ils l'ont emmené, c'est tout. Tu sais très bien qu'on ne peut rien faire.
- Petit Lionceau... Petit Lionceau... " gémit Étoile du Tigre, sans parvenir à dire autre chose.
Dans tout le camp, les guerriers meurtris et blessés s'échangeaient des regards gênés.
- C'est triste, mais, que veux-tu...
- C'est comme ça... on ne peut pas leur résister, de toute façon.
- Tu en auras d'autres, des enfants, va.
Étoile du Tigre, résistant à l'envie de les bousculer au passage, courut jusqu'à sa tanière. Il ne voulait pas que ses guerriers voient leur chef pleurer.
Pendant ce temps, Nuage de Chenille était revenue, comme d'habitude, comme si sa vie n'existait que pour ça, trier ses plantes en s'estimant heureuse de ne pas avoir eu plus d'ennuis. Le cas de Nuage de Pivoine avait complètement été oublié après la mort de Nuage de Feu, et ils avaient tous attendu l'aube pour partir venger sa mort. Mais elle ne se faisait pas d'illusions, elle savait que dès le retour - triomphal, bien évidemment - des guerriers du Clan du Tonnerre au camp, Pelage Sombre s'occuperait de Nuage de Pivoine. Nuage de Pivoine lui avait dit lui-même, Pelage Sombre ne voulait pas du fils de Feu Follet comme futur chef. Mais, d'un autre côté, la loi lui interdisait de tuer l'héritier du promontoire... Nuage de Chenille tenta de ne plus penser à ça et de trier les différentes baies par forme, couleur et date de cueillette. Elle était experte là-dedans.
Elle était surprise de voir à quel point la mort de Nuage de Feu l'indifférait. Pourtant, ses visions l'en avaient averti, mais... mais en général, chers amis, après avoir vu une solitaire innocente se faire exécuter de sang-froid par un lieutenant sans scrupule, après avoir attaqué une guerrière de son propre Clan et après avoir vu son... amoureux, faute d'un meilleur mot, se faire presque condamner à mort, après avoir vu tout ça, donc, il y a de quoi oublier de vagues visions.
Mais, au moment précis où Nuage de Fraise était entrée dans le camp en hurlant le nom de Nuage de Feu, elle s'était souvenue de tout, et avait paniqué plus que jamais. Et, lorsqu'elle avait appris par les balbutiements de Nuage de Fraise que son frère était réellement mort, elle s'était évanouie sur le coup. En un sens, c'était tant mieux. Les gens avaient réellement cru que c'était à cause du choc d'avoir perdu son frère, et elle n'avait donc pas eu à simuler la tristesse. Effectivement, c'était bien par choc qu'elle s'était évanouie, mais pas à cause du choc que lui avait causé la perte de son frère, non, mais le choc de savoir que ses visions étaient vraies. Nuage de Flamme, puis Nuage de Feu... une fois, ça pouvait encore passer pour du hasard, mais deux fois ? Le doute n'était plus possible. Elle devrait vivre en anticipant la mort de chacun de ses proches, chaque catastrophe, chaque malheur.
Et cette idée était terrifiante.
Juste au fond de la tanière, sur les litières réservées aux blessés, il y avait Perce-Neige, toujours inconsciente. La chatte qu'elle-même avait mis dans cet état. Quelle ironie...
Elle était surprise de se découvrir si insensible à la mort de son propre frère. Certes, il n'avait jamais fait attention à elle, tout occupé qu'il était à séduire toutes les femelles de la pouponnière et à tenter d'attirer l'attention de leur mère... elle l'avait d'ailleurs toujours méprisé pour ça. Comme si il ne pouvait pas comprendre que ça ne servait à rien. Elle, au moins, elle n'avait même pas essayé, et au final, ça lui avait épargné du temps et de l'énergie. Elle avait très vite compris qu'Étoile de Taches ne l'aimerait jamais.
Mais la mort de Nuage de Feu ne l'avait même pas fait pleurer. Pas une larme, rien. Et si elle était aussi froide et insensible que sa mère, elle aussi ?
Depuis quelques minutes, elle entendait des clameurs venir du camp. Elle vit Brin d'Herbe, trois merles à la gueule, rentrer dans la tanière :
- T'as fini de trier les baies ?
Ou plutôt :
- Chkafnichmmtriergnébaies ?
- Presque fini. " répondit-t-elle, comme d'habitude.
- Et l'état de Perce-Neige ?
Ou plutôt :
- GnétchtaPrcenémm ?
- Encore instable... elle se réveille, par moments, mais on ne sait pas si elle va s'en sortir.
Brin d'Herbe avala sa bouchée de merle, et lança, cette fois sans qu'il y ait besoin de traduction :
- J'espère qu'elle s'en sortira... si elle pense qu'elle va mourir, je serai obligé d'écouter ses bêtises avant qu'elle meure...
- Et c'est si pénible que ça, d'écouter les dernières paroles des gens ?
- Tu n'as pas idée à quel point. Brin d'Herbe enfourna l'équivalent de quatre bouchées de merle dans sa gueule. Pourquoi tu crois que je mange autant ?
- Je ne vois absolument pas le rapport...
- Un de ces jours, tu verras.
Ou plutôt :
- Mundjours,chtmvéra.
Pendant que Nuage de Chenille triait ses plantes, que Petit Lionceau était arraché à son Clan, pendant qu'Étoile du Tigre suppliait le Clan du Tonnerre, bref, pendant la bataille contre le Clan de l'Ombre, que faisait donc Nuage de Pivoine, me demanderez-vous ?
Il était à la chasse avec son mentor. Nuage de Pivoine aimait la chasse pour la même raison que Nuage de Chenille aimait trier des plantes : ça le détendait.
Goémon Noir lui avait proposé d'aller faire une partie de chasse, tous les deux, "pour que tu oublies un peu ton choc". Nuage de Pivoine avait un immense choc à oublier, en effet. Il avait frôlé la mort et manqué se faire tuer. Alors, il faisait la seule chose qu'il est possible de faire pour oublier la mort : chasser des musaraignes.
Il aimait ces parties de chasse avec Goémon Noir, où il pouvait tout oublier, et surtout, où il pouvait retrouver Goémon Noir comme il l'aimait, cette sorte de grand frère, toujours prêt à le protéger des hurlements d'Étoile de Taches et à écouter ses petits problèmes.
- Tu te rends compte, disait Nuage de Pivoine en enterrant son campagnol, Nuage de Feu, mort... j'arrive pas à y croire. J'arrive pas à croire qu'un taré du Clan de l'Ombre ait été capable de le... COUIC !
Goémon Noir, qui avançait furtivement, sous l'ombre d'un arbre, pour tuer un moineau, ne répondit qu'après avoir tué sa proie.
- Oui, horrible. Pour que toi, tu en viennes à être choqué de la mort de Nuage de Feu...
- D'un autre côté... reconnut Nuage de Pivoine, bon, c'est vrai qu'il était tellement insupportable... du genre...
- ... du genre petit surdoué incroyablement fort en chasse et en combat qui aligne les triomphes et qu'on est obligé de regarder dans un coin de la Combe faire les enchaînements les plus compliqués alors que nous, on en est encore aux leçons basiques parce qu'on se bat à peu près aussi bien qu'une souris mouillée ? Oui, je vois le genre.
Goémon Noir se mit à rire, de ce rire que Nuage de Pivoine aimait tant, ce rire qui lui rappelait le rire de son père.
- Alors t'en as connu, un comme ça, toi aussi ? " s'exclama Nuage de Pivoine.
- Bien sûr. Sourit Goémon Noir. Je crois que chaque apprenti en a connu au moins un...
- Et il s'appelait comment, le tien ?
- Nuage de Sable. Doué en tout, celui-là. Il maîtrisait parfaitement la position de chasse au bout d'une semaine, et il pouvait affronter des guerriers en duel dès ses huit lunes !
- Quelle horreur ! Et il a fini comment ?
- Il s'est pris une branche sur la tête et il est mort. Fracture du crâne.
- Bien fait ! " ricana Nuage de Pivoine.
Goémon Noir alla enterrer sa proie à côté du campagnol de Nuage de Pivoine.
- Tu n'as pas tort, dit-il en riant, moi aussi, je l'ai pris comme une revanche personnelle !
Nuage de Pivoine regarda à l'horizon, vers le ciel bleu. Il se sentait détendu. Voilà comment il aimait Goémon Noir, léger, serein, détendu... mais il n'était pas très juste de penser ça. En vérité, Goémon Noir était toujours serein et détendu. Et c'était justement ça le problème : il était serein et détendu y compris dans les situations où il n'aurait pas dû l'être. Il était tout aussi serein et détendu pendant leur partie de chasse que la veille, quand il disait en riant à Nuage de Pivoine que Pelage Sombre allait les faire payer cher ce qu'ils avaient fait.
- Au fait... demanda Goémon Noir. Sans vouloir être indiscret... tu avais fait quoi à Étoile de Taches l'autre jour, pour qu'elle soit aussi furieuse ? " il avait un sourire en coin sur le visage.
Nuage de Pivoine regarda de tous les côtés, comme si il avait peur qu'on l'entende :
- Ben... je peux pas vraiment le dire tout haut... je vais te le murmurer à l'oreille...
Aussitôt dit, aussitôt fait. En entendant ça, Goémon Noir éclata de rire :
- Oh, crotte de souris ! Je comprends mieux pourquoi elle était dans un tel état... " articula-t-il entre deux hoquets de rire.
Nuage de Pivoine éclata de rire avec lui. Il avait tellement de chance d'avoir un mentor qui avait peu d'écart avec lui, qui l'encourageait dans ses bêtises, qui lui conseillait parfois même celles qu'il avait personnellement testé, plutôt qu'un vieux, sage et ennuyeux mentor sans aucun sens de l'humour qui l'aurait sévèrement réprimandé pour manquer de respect à sa chef.
Mais son rire mourut dans sa gorge quand il repensa à Inigo. Inigo, le premier à qui il avait raconté ce qu'il avait fait à Étoile de Taches. Inigo, à qui il n'avait même pas pu dire au revoir, qu'il avait vu fuir sans rien pouvoir faire.
Goémon Noir, respectueux de son silence, s'arrêta.
- À quoi tu penses, Nuage de Pivoine ? " demanda-t-il doucement.
- Je... je... " Nuage de Pivoine se surprit à avoir les yeux qui piquaient, comme si il allait se mettre à pleurer.Nuage de Pivoine murmura d'une voix étranglée :- Tu n'étais pas là, toi, quand ils ont tué Buttercup...Non, effectivement, mes chers amis, comme vous le savez, Goémon Noir n'était pas là. Lui, c'était Nuage de Feu qu'il tuait.- La mère de ton ami le solitaire ? " la voix de Goémon Noir s'était faite plus grave.Goémon Noir donna à son apprenti une petite pichenette amicale sur l'oreille :- Ne pense plus à ça. C'est justement pour ça que je voulais qu'on parte chasser ensemble, non ?Nuage de Pivoine sourit à travers ses larmes. Il n'aimait jamais autant Goémon Noir que dans ces instants-là. Le reste du temps, il pouvait être effrayant, voire même très effrayant, mais... même si Nuage de Pivoine n'arrivait pas à le cerner, il essayait de se convaincre que malgré tout, Goémon Noir devait tenir à lui.- Un de ces jours, murmura-t-il, je me vengerai d'eux...Goémon Noir acquiesça gravement. Ils s'étaient compris. Nuage de Pivoine eut l'impression, en cet instant, que Goémon Noir était de son côté. Et jamais il ne se sentit plus proche de lui.Mais, chers amis, revenons au camp, où le retour triomphal des guerriers battait son plein. Et suivons ici les évènements à travers les yeux de l'innocence, par l'un des principaux concernés : Petit Lionceau.Petit Lionceau avait peur, très peur. Il s'était fait emmener dans cet endroit étrange, plein de chats inconnus, loin de son papa et de tout. Il ne comprenait toujours pas ce qu'il se passait.Quand on est enfant, en général, la vie se divise en deux catégories : les "gentils monsieurs" et les "méchants monsieurs". A cette époque-là, tout est simple. On décide de qui est gentil et qui est méchant, qui vous veut du bien et qui vous veut du mal, d'un seul coup d'oeil.Avant de continuer ce récit, l'humble narrateur que je suis se doit de vous avertir : voir des évènements par les yeux d'un enfant est une chose assez particulière.Alors, ne m'en voulez pas, chers amis, si, pendant tout le temps que durera ce récit vu à travers les yeux d'un enfant d'une lune et demi, Pelage Sombre ne sera plus référé que par "le méchant monsieur aux yeux qui faisaient peur", Étoile de Taches par "la méchante madame qui faisait mal aux oreilles", Brin d'Herbe par "le gros monsieur que sa maman ne lui avait pas appris à manger proprement", et Nuage de Chenille par "la grande fille qui triait des plantes".Petit Lionceau, encore pétrifié de peur, dans la gueule du méchant monsieur aux yeux qui faisaient peur, se laissa porter jusqu'à une petite tanière. Il avait à peine le temps de voir autour de lui. Tout tourbillonnait, les gens hurlaient trop fort, l'odeur de ce Clan ne sentait pas bon, il voulait son papa et ses larmes lui brouillaient la vue, bref, il aurait pu tout aussi bien être sourd et aveugle qu'il n'aurait pas mieux distingué les choses autour de lui.Quand le méchant monsieur aux yeux qui faisaient peur peur le déposa, ou plutôt le laissa tomber sans aucune précautions, sur le sol de la tanière, Petit Lionceau couina :- J'veux rentrer chez moi...Mais le méchant monsieur ne lui répondit pas, car il était méchant, bien évidemment.- Nuage de Chenille, dit-il à une grande fille d'environ six lunes de plus que lui qui triait des plantes, je t'amène ce petit. C'est notre otage. Le fils d'Étoile du Tigre. Je veux que tu vérifie si il est en bonne santé. Brin d'Herbe n'est pas là ?- Non, il est parti cueillir de la bourrache.- Très bien... quoi qu'il en soit, tu examineras l'état de ce petit et tu le ramèneras à la pouponnière.- Mais j'aime pas les visites chez le guérisseur ! " pleurnicha Petit Lionceau.Le méchant monsieur aux yeux qui faisaient peur ne prit même pas la peine de répondre et quitta la tanière. La grande fille qui triait des plantes n'avait pas l'air ravie de le voir là. Elle grommela en s'approchant de lui :- Bon... viens là, petit. Tu as souffert de maladies récemment ? Mal noir, mal blanc, quelque chose ?- Tu vas pas me donner des remèdes pas bons, hein ? " pleurnicha Petit Lionceau.La grande fille qui triait des plantes soupira d'exaspération. Pas gentille, celle-là.Pendant qu'elle l'examinait, il eut le temps de se rendre compte qu'elle n'était pas bavarde. Elle était renfermée sur elle-même et semblait incapable de dissimuler le fait que sa présence la gênait. Alors, il tenta de faire la conversation. Voilà à peu près, mes chers amis, ce que donne la conversation entre une fille introvertie et mutique et un chaton inlassablement bavard et babillard :- T'as un papa, toi ?- Hm.- Et une maman ?- Hm.- Pourquoi t'es guérisseuse ?- Hm.- Je vais rester là longtemps ?- Hm.- Pourquoi je peux pas revoir mon papa ?- Hm.- Il est gentil, mon papa.- Hm.- Il est chef, moi, mon papa.- Hm.- C'est le plus fort guerrier de tout le Clan, d'abord !- Hm.- Ma maman aussi, je l'aime beaucoup beaucoup beaucoup.- Hm.- Mais je la vois plus souvent.- Hm.- Elle est partie.- Comme c'est triste.- Elle est partie faire une partie de chasse.La grande fille qui triait des plantes sembla enfin réagir. Elle dressa les oreilles, plissa les yeux, et demanda :- Euh... et depuis combien de temps elle est partie la faire, cette partie de chasse ?- Trois semaines.- TROIS SEMAINES ?- C'est que c'est long, une partie de chasse...La grande fille qui triait des plantes eut un sourire triste.- Pauvre gosse... " commenta-t-elle tout bas.- Dis... c'est qui la madame dans le camp qui crie et qui s'agite en faisant des grands gestes et qui fait mal aux oreilles ?- Ça ? Oh, tu viens de faire connaissance avec Étoile de Taches.Petit Lionceau vit un gros monsieur entrer dans la tanière en portant trois souris dans la gueule. Et, visiblement, sa maman ne lui avait pas appris qu'il fallait manger proprement, parce qu'il mangeait aussi salement qu'un renard affamé.Le gros monsieur demanda à la fille qui triait des plantes :- Mckesceptitundemmichfildefleuchgrmnoire ?
La fille qui triait des plantes sembla comprendre le langage étrange du gros monsieur que sa maman ne lui avait pas appris à manger proprement et répondit :
- Non, Brin d'Herbe, ce n'est pas un des fils de Fleur Noire. Celui-là, c'est le fils du chef du Clan de l'Ombre, apparemment. Ce serait notre otage.
Le gros monsieur que sa maman ne lui avait pas appris à manger proprement avala sa bouchée et rétorqua :
- Mouais... en tout cas, j'espère qu'il va être solide, celui-là. Pas comme les fils de Fleur Noire. Toujours à attraper le mal blanc au moindre choc.
- Et je suppose que ces proies que tu as dans la gueule, elles étaient pour eux, au départ ? » fit remarquer la fille qui triait des plantes d'un ton un peu étrange.
- Bah... ils peuvent bien encore téter leur mère, non ?
- Oui, je sais. Et je suppose que si demain, ces pauvres gosses meurent sur un coup de froid parce qu'ils n'avaient pas pu reprendre assez de forces avec du gibier, tu te sentiras parfaitement en paix avec ta conscience ?
- Parfaitement. « pas de culpabilité, pas de problèmes ».
- Oui, je commence à le connaître, ton vieux credo.
- C'est quoi, un credo ? » demanda Petit Lionceau d'une petite voix, et ils se tournèrent vers lui, se rappelant enfin de sa présence.
- Je hais la compagnie des gosses. Soupira le gros monsieur. Pas supportables, toujours à poser des questions... enfin, au moins, je suis guérisseur, je n'en aurai jamais. C'est l'avantage, non ?
-Hm. » grommela la grande fille qui triait des plantes.
- Allez, reconnais-le, ma petite chenille... toi non plus, tu n'aimerais pas en avoir, pas vrai ? Tu n'as jamais supporté la compagnie. Même de tes propres chatons, tu t'en lasserais vite. Tu es comme moi, pour ça.
- Je ne suis pas ta petite chenille, et, et... et il faut que j'aille raccompagner celui-là à la pouponnière !
La grande fille lança à Petit Lionceau :
- Allez, viens, toi.
- Pourquoi je suis ici ? C'est quand que je retourne chez mon papa ? » couina Petit Lionceau.
- J'te l'avais bien dit, que les gosses, c'est énervant.
- Tss... bon, Petit Machin, suis-moi à la pouponnière.
- Mais... mais...
Au regard de la fille, il comprit qu'il valait mieux ne pas discuter, et il la suivit, tout en regardant en coin le gros monsieur que sa maman ne lui avait pas appris à manger proprement, qui s'enfournait d'énormes bouchées de campagnol à toute vitesse.
En arrivant dans la pouponnière, il se rendit compte que celle-là ressemblait beaucoup à celle de son Clan. A l'exception de l'odeur, peut-être... le même genre de lieu, si maternel et si rassurant...
- Je te laisse faire connaissance avec tes futurs petits camarades. » grommela la grande fille qui triait des plantes en le plantant là.
- Pourquoi j'peux pas revenir chez moi ?
En réalité, mes chers amis, je me dois de vous informer que, fidèlement retranscrite, la phrase de Petit Lionceau aurait ressemblé à ça :
- Pouuuuuuuuuuuurrquwwwaaaaaa j'jpeux paaaaaaaaaaaaaas revenir chez moaaaaaaaaaaaaaaouiiiiiiiiiiiiin ?
Il serait peut-être bon de préciser qu'en la prononçant, il était en larmes. Il était plus terrifié que jamais. Il voulait son papa, il voulait sa pouponnière, il voulait rentrer chez lui... et puis, s'il n'était pas là, qui irait accueillir sa maman lorsqu'elle rentrerait enfin de sa partie de chasse ?
Pendant ce temps, Nuage de Chenille était rentrée dans son précieux refuge, sa chère tanière du guérisseur, ses chères éternelles plantes à trier.
- Bon, fit Brin d'Herbe en grignotant une souris, dans son langage compréhensible pour elle seule, je dois y aller, ma petite chenille. Pelage Sombre organise un conseil des vétérans. Et toi... tu as trié la quatrième variété des fleurs Acanthopanax de classe B selon leurs propriétés, taille et couleur ?
- Pas encore.
- Eh bien, profites-en pour le faire.
Nuage de Chenille ne se fit pas prier. Rien ne la détendait plus, dans la vie, que de trier des Acanthopanax méticuleusement pendant des heures.
Non, chers amis, la dernière phrase n'était pas ironique.
Mais, pendant qu'elle classait avec passion toutes ces herbes, elle leva la tête de son travail en voyant Goémon Noir entrer.
- Tu viens voir Perce-Neige ? » Demanda-t-elle, intimidée devant lui sans savoir pourquoi, comme à son habitude.
- Oui. Répondit-il. Comment va-t-elle ? » Pourquoi avait-t-elle l'impression qu'il lui mentait et qu'il ne cherchait même pas à s'en cacher ?
- Elle ne s'est toujours pas réveillée.
Ses deux yeux noirs posés juste sur elle la mettaient mal à l'aise. Pas comme les yeux de Pelage Sombre pouvaient le faire, non... d'une manière un peu plus étrange. Goémon Noir lui souriait. Et, comme d'habitude, elle ne pouvait pas s'empêcher de voir quelque chose d'effrayant dans ce sourire jovial et enfantin. Très mal à l'aise, elle articula :
- Euh... je ne sais pas si ça sert à grand-chose d'aller voir Perce-Neige, et puis... et puis tu ne t'es pas beaucoup soucié d'elle, franchement !
Il ne nia pas.
- Oui, c'est vrai.
De nouveau, Nuage de Chenille eut la même impression. Comme si Perce-Neige avait été pour lui une sorte de jeu, une comédie qu'on s'amuse à jouer, mais en s'en lassant assez vite.
- Alors pourquoi tu... » commença-t-elle.
Elle chancela brusquement. Sa tête lui tournait... elle savait ce que ça signifiait. Peu à peu, elle perdit conscience, sa vue se brouillant de plus en plus... elle entendait encore les mêmes voix confuses et embrouillées lui murmurer des choses à l'oreille :
- Ta mère n'est pas la meilleure des mères, ça, ce n'est pas faux.
Elle reprit conscience dans un endroit étrange... elle était sur ses quatre pattes et sentait fermement le sol sous elle, mais... mais il faisait nuit. Il faisait nuit, et elle se trouvait près de la frontière du Clan de l'Ombre. Devant elle, Nuage de Feu pleurait silencieusement, comme si il voulait dissimuler ses larmes à tout prix. Derrière lui se tenait Goémon Noir, qui semblait presque le regarder avec respect.
- Comment tu savais que je pensais à ça ? » Renifla Nuage de Feu.
Nuage de Chenille était comme figée sur place. Elle vivait les évènements sans rien pouvoir faire. Elle appela « Nuage de Feu ! » et il n'entendit rien. Elle n'était pas là.
Elle vit Goémon Noir, les griffes sorties, s'approcher doucement de Nuage de Feu, comme on le ferait avec une proie... elle se figea, se préparant à le voir frapper ...
Elle se réveilla au moment précis où le sang lui gicla dessus. Enfin, « réveiller » ne serait peut-être pas le terme exact. En réalité, elle ne fit que revenir brusquement à l'instant présent. Elle était les quatre pattes sur le sol de la tanière, il n'y avait pas la moindre trace de sang sur son pelage, et Goémon Noir l'appelait :
- Tout va bien ?
Elle comprit que sa vision n'avait pas duré plus de quelques secondes. Quand elle revit en face d'elle les yeux de Goémon Noir, elle recula malgré elle. Un immense creux lui nouait l'estomac.
Oh, merde... merde... qu'est-ce que je fais, qu'est-ce que je fais ?
Il ne devait pas se douter... il ne devait pas savoir... elle devait faire comme si de rien n'était. Elle tenta de lui sourire et lui fit un pâle rictus qui ressemblait à une grimace.
- T-tout va bien...
Ses pattes tremblaient... elle était livide... il allait se douter, il allait forcément se douter... il fallait qu'elle se contrôle... ne pas qu'elle montre sa terreur...
- P-Perce-N-neige n'est p-pas en état d-de recevoir d-de la visite, elle...
- Quelque chose ne va pas ? » Son sourire lorsqu'il lui disait ça... pourquoi avait-elle l'impression qu'il s'amusait ?
- N-non, rien, ça doit être... un début de fièvre, ou quelque chose...
Elle fixa ses pattes. Et son regard tomba sur les pattes de Goémon Noir. Les mêmes griffes qu'elle avait vu tuer son frère... elle déglutit malgré elle. Elle ne devait rien laisser paraître, surtout pas... mais ses pattes qui ne pouvaient pas s'empêcher de trembler, sa bouche qui refusait de s'ouvrir... il allait s'en douter...
- Bon, lança Goémon Noir en remuant l'oreille, son tic, et pourquoi, nom d'une souris, avait-elle l'impression qu'il s'amusait ? Je crois que je vais y aller, alors. A la prochaine, hm... comment il t'appelle, déjà ? Ma petite chenille.
Il se rapprocha très légèrement d'elle.
- Beau surnom.
Il lui dédia son plus beau sourire, le même qu'il avait utilisé avec Perce-Neige, et, plus que jamais, elle eut l'impression qu'il savait. Ses yeux noirs riaient à gorge déployée.
Il s'éloigna enfin, et sortit de la tanière :
- A la prochaine.
Quand Nuage de Chenille fut certaine d'être seule, elle respira un bon coup. Pendant tout ce temps, elle avait comme retenu son souffle.
Pelage Sombre tenait effectivement un conseil avec tous les vétérans du Clan, et avec, en plus, évidemment, pour faire bonne mesure, Etoile de Taches (dont personne ne demanderait l'avis durant tout le conseil). La mort de Nuage de Feu avait remué pas mal de choses dans ce petit monde bien réglé. Pelage Sombre prit la parole en premier :
- Bon... comme vous le savez, nous nous sommes déjà vengés du Clan de l'Ombre pour la mort de Nuage de Feu. Maintenant, il reste avant tout la question primordiale de l'héritier.
- Je ne vois pas le problème, lança Brin d'Herbe, Nuage de Feu mort, le promontoire revient au plus proche parent d'Etoile de Taches, c'est-à-dire, son neveu, Nuage de Pivoine.
- Et tu oses dire que tu ne vois pas le problème ? Feula Plume Brune. Nous parlons du fils de Feu Follet. Feu Follet, celui qui a osé se soumettre aux Bipèdes, qui a osé devenir un chat domestique ! C'est la raison pour laquelle il n'est pas devenu chef, tu te souviens ? Etoile de Braise n'a pas pu tolérer ça et il a refusé de le reconnaître comme son fils. C'est bien la seule raison pour laquelle nous avons été obligés de mettre l'autre petite garce sur le promontoire !
En disant tout cela, aucun des vétérans présents ne semblait beaucoup se soucier du fait que l'autre petite garce en question était à côté d'eux et les écoutait.
- Pourquoi ne pas laisser sa chance au petit Nuage de Pivoine ? Après tout, ce n'est qu'un enfant. On ne sait pas quel chef il fera, une fois adulte, à la mort d'Etoile de Taches. » avança Brin d'Herbe.
Croc Noir intervint :
- Tss... Tu parles. Même apprenti, déjà, il ne fait que créer des problèmes ! Tu te souviens du coup des litières tartinées avec de la crotte de loutre ?
- Evidemment que je m'en souviens !
- C'était lui. Et le coup de la carcasse de renard mort ? Lui aussi. Et je ne parlerai même pas des crottes de lapin mises dans la nourriture... enfin bref.
- J'aurai dû apporter une souris à grignoter, je sens que ça va être long, ce conseil. Fit remarquer Brin d'Herbe. Oui, je comprends, mais on peut faire un apprenti un peu farceur mais un bon guerrier, non ?
- « Un peu farceur » ? Ca se voit que c'est pas toi qui l'as mangée, la souris pleine de crotte de lapins !
- Oh, dommage. Ca avait quel goût ? » ironisa Brin d'Herbe.
- Si vous n'avez pas de sujet plus intéressant que les crottes de lapins, trancha Pelage Sombre, j'aimerai bien revenir aux affaires sérieuses, s'il vous plaît. Je suis comme vous : je n'accepterais définitivement pas le fait de voir le fils de Feu Follet monter sur le promontoire et devenir chef.
- Je suis plutôt de l'avis de Brin d'Herbe, tenta timidement Museau Gris, on pourrait lui laisser une chance, à ce petit...
Mais il était bien le seul avec Brin d'Herbe à avoir ce point de vue.
- Tu parles ! Son père était un traître à sa race, il le sera aussi. C'est dans le sang. La loyauté, c'est dans le sang, la traîtrise, c'est dans le sang... » Rétorqua Croc Noir.
- Bref. Ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'à priori, nous sommes tous d'accord : nous ne voulons pas de Nuage de Pivoine comme héritier du promontoire. Et puis, rappelez-vous : au-delà d'être le fils de Feu Follet, nous parlons quand même du chat qui s'est lié d'amitié avec un solitaire, et qui a blessé une chatte de Clan pour sauver sa misérable vie ! Enfin, non, là, je ne suis pas tout à fait juste : c'est ton apprentie, Brin d'Herbe, qui l'a mise dans cet état. Et j'ai la délicatesse de ne même pas mentionner le fait que c'est la fille d'Etoile de Taches ! Belle génération que nous avons là. Le moins qu'on puisse dire, c'est que je ne sais pas qui, d'elle ou de lui, déshonore le plus sa lignée.
Brin d'Herbe eut un léger sourire. Ce qu'il n'avait pas dit, c'est qu'il avait surpris les deux petits traîtres à leur lignée en question à s'embrasser, c'est-à-dire, se lécher la truffe. Encore un truc qui aurait fait hurler le Pelage Sombre, pensait-t-il.
- Bref. Ce qui serait le mieux pour le Clan, ce serait que Nuage de Chenille monte sur le promontoire à la mort d'Etoile de Taches, et qu'elle se choisisse un compagnon parmi nous, les vétérans. Comme ça, la lignée serait perpétuée sans qu'on ait à impliquer le fils d'un traître là-dedans. » dit Pelage Sombre.
Pour répondre à votre interrogation muette, chers amis, non, le fait que Nuage de Chenille soit apprentie guérisseuse ne posait aucun problème dans ce genre de cas. Non, effectivement, les guérisseuses n'étaient toujours pas autorisées à avoir des chatons, mais, dans la lignée des chefs, l'aîné des enfants du chef pouvait très bien choisir d'être apprenti guérisseur, il n'en restait pas moins dévoué à être le futur chef. (Ce qui donnait parfois lieu à des situations un peu étranges, comme par exemple, Etoile de Braise II ème du nom, qui était en même temps le chef et le guérisseur de son Clan, mais je m'écarte ici de notre histoire, chers amis.)
- Oui, c'est vrai, ce serait la meilleure option pour le Clan, mais... mais elle est complètement irréalisable tant que Nuage de Pivoine est vivant. » intervint Plume Brune.
- Et on ne peut pas exécuter ou bannir l'héritier du promontoire, comme tu le sais ! Même quand c'est le fils d'un traître !
- En parlant de fils de traître... Pelage Sombre eut un sourire, et tous se figèrent. Je crois que je connais un moyen de remédier à cette situation. Allez me chercher Goémon Noir.
En sortant de la tanière du guérisseur, Goémon Noir vit Plume Brune et Croc Noir l'attendre :
- Goémon Noir, tu es convoqué par Pelage Sombre.
Qu'est-ce qu'il me veut, le vieux con ?
- Oh non... vous ne pouvez pas lui dire de remettre ça à plus tard ? » soupira-t-il.
- Suis-nous, c'est un ordre. » Lui intima Plume Brune.
- Et si je refuse ?
Ils sortirent leurs griffes.
- Nous ne voulons surtout pas avoir l'air de t'influencer...
- Bon, bon, d'accord, j'y vais...
Une fois face à Pelage Sombre, dans l'antre du chef, au beau milieu du Conseil des Vieux Cons, comme il aimait tant à surnommer le Conseil des Vétérans, Goémon Noir demanda avec un sourire en coin :
- Que me voulez-vous ?
- Nous avons une mission très importante à te confier. » Lui dit son cher ancien mentor, Pelage Sombre.
- A moi ? Vraiment ? Oh... vous êtes sûrs que vous ne vous êtes pas trompés de guerrier ? » lança-t-il.
- Tu n'as toujours pas changé, Goémon Noir.
- Toi non plus, le vieux.
En voyant l'air furieux de Pelage Sombre, Goémon Noir eut un mouvement de recul. Un vieux réflexe d'apprenti le poussait à tenir la distance de sécurité entre le poing de Pelage Sombre et sa propre gueule.
- Ecoute-nous. Cette mission est réellement capitale, et tu ne peux pas la refuser.
- A vot'service. Et c'est... ?
Pelage Sombre lui murmura quelque chose à l'oreille. Goémon Noir réagit d'un ton étonné, mais assez froid :
- Ah, je vois. Je vais le faire tout de suite, je suppose ?
- Parfaitement.
- Je ne vous dérange pas plus longtemps, les vieux.
Et il sortit de la tanière sans se faire prier. Un silence s'installa, que Croc Noir rompit :
- Je n'aime pas beaucoup ce gamin.
- C'est tout de même lui qui a eu l'idée d'ordonner à Nuage de Feu de pister Nuage de Pivoine, fit remarquer Brin d'Herbe, qui avait profité de l'attente de Goémon Noir pour aller se ramener une souris.
- Et, de ce fait, c'est grâce à lui qu'on a pu tuer cette sale solitaire. D'ailleurs, si je tenais son gamin... mais une certaine personne s'est mêlée de ce qui ne la regardait pas et l'a permis de fuir. » Pelage Sombre foudroya Etoile de Taches du regard, et elle tressaillit.
- Ne sois pas si dur avec Etoile de Taches, elle devait avoir ses raisons. » répondit Brin d'Herbe, qui s'apprêtait à mordre dedans. (Sa souris, pas Etoile de Taches)
- Tu sais, Brin d'Herbe, des fois, tu défends tellement Etoile de Taches qu'on pourrait presque croire que tu es amoureux d'elle ! » lança Plume Brune, et un éclat de rire collectif parcourut le Conseil des Vieux – que dis-je, le Conseil des Vétérans. (Sauf Pelage Sombre, qui ne riait pas. Il ne riait jamais, sauf de son rire glaçant qui ne servait qu'à paralyser de terreur son interlocuteur.)
- Mon seul amour, ce sont les souris bien dodues, tu l'as oublié ? » rétorqua Brin d'Herbe en mordant dans son seul amour.
- Bien, je crois que notre petit problème est résolu. Nous pouvons arrêter le conseil, maintenant. » conclut Pelage Sombre.
Et tous sortirent de la tanière. Tous, sauf Etoile de Taches. Etoile de Taches, qui, comme d'habitude pendant les conseils, avait été traitée comme si elle n'était pas là et qui n'avait pas ouvert la gueule. Enfin, elle n'était plus obligée de les supporter. Enfin, elle pouvait se retrouver seule avec elle-même. Elle soupira. Elle n'en pouvait plus.
Quand soudain, elle vit Brin d'Herbe juste en face d'elle, la regarder fixement.
- Qu'est-ce que tu fiches là, toi ?
- Excusez-moi, chef. » Dit-il, mais il ne bougea pas.
Etoile de Taches tenta de contenir sa colère...
- Dehors !
- Très bien...
- DEHORS !
Et Brin d'Herbe sortit.
Juste en sortant, il vit Nuage de Chenille qui semblait plus affolée que jamais :
- Qu'est-ce que tu fais ici, toi ?
- Je... je dois aller voir Pelage Sombre... ou Etoile de Taches... ou n'importe qui tant qu'il représente l'autorité dans ce fichu Clan... tout de suite ! C'est urgent ! Il le faut ! » Son ton était encore plus hagard que d'habitude.
- Hé, une minute, calme-toi, ma petite chenille... je ne crois pas que tu aies quelque chose d'assez urgent pour déranger Pelage Sombre. Rentre et retourne trier tes plantes.
- Mais il faut que... que... je...
Soudain, elle se figea. Brin d'Herbe suivit son regard. Elle regardait Goémon Noir, qui partait à la chasse avec son apprenti. Goémon Noir lui jeta un regard en coin aussi, et il lui sourit. Elle baissa la tête et dit à toute vitesse :
- Rien, rien, je vais rentrer.
Et elle courut presque jusqu'à la tanière. Elle serait amoureuse de ce Goémon Noir en plus ? Elle cache bien son jeu, cette petite...
Et, sans s'en soucier plus, Brin d'Herbe prit une souris sur le tas de gibier, en guise de petit en-cas. Et c'est à ce moment-là, mes chers amis, que je considère que je dois vous éclairer à propos du personnage de Brin d'Herbe, qui cachait bien plus de profondeur, comme vous le verrez, que de n'être qu'un gros guérisseur qui se goinfrait sans cesse. Brin d'Herbe n'avait rien dit à propos de Nuage de Chenille et de Nuage de Pivoine, non pas par intérêt ou par bonté pour eux, non, mais tout simplement parce qu'il estimait que ce n'étaient pas ses affaires. Un point c'est tout. Vous connaissez maintenant la phrase que Brin d'Herbe aimait à penser : « pas de culpabilité, pas de problèmes. » Cette phrase le définissait : il considérait que tout ce qui ne l'atteignait pas directement ne le concernait pas. S'il avait appris que Goémon Noir était le meurtrier de Nuage de Feu, il n'aurait même pas pris la peine d'en informer le Clan. Ca ne le concernait pas, ça n'influait pas sur le nombre de souris qu'il mangeait ni si sur sa vie... ce n'était pas son problème, tout simplement. N'allez pas vous imaginer que c'était purement de l'égoïsme, non, c'était autre chose, quelque chose de plus complexe, que j'aurai bien le temps de vous exposer plus tard, mes amis.
Pendant ce temps, Nuage de Pivoine était aux anges. Rien ne lui plaisait plus qu'une partie de chasse, et Goémon Noir venait encore de lui en proposer une. Il fallait bien ça pour qu'il tente de s'arracher de la cervelle l'image de la mort de Buttercup. Il marcha avec Goémon Noir jusqu'au Chêne Céleste, détendu comme à chaque fois qu'il allait chasser. Il adorait la chasse, plus que tout.
- Dis, demanda-t-il à Goémon Noir alors qu'ils enterraient leurs mulots, si Nuage de Feu est mort... ça veut dire que je serai chef ?
Il ne le réalisait toujours pas. Et, de toute façon, ce n'était pas fait pour lui.
- Il faut croire. Goémon Noir haussa les épaules. Au fait... tu ferais quoi, si tu avais neuf vies ?
- Alors là... aucune idée.
- Moi, je crois que j'en profiterais pour sauter du haut d'une falaise, ou du Chêne Céleste... pour l'adrénaline. Tu imagines un peu ce que ça serait ? (il avait un air réellement exalté sur le visage)Ressentir ce que ressentent ceux qui tombent et meurent... et en revenir vivant. Se sentir chuter, chuter, comme les oiseaux qui volent... ça vaudrait tout au monde !
Nuage de Pivoine rit, un peu mal à l'aise.
- T'es bizarre, Goémon Noir...- Tu n'as pas idée...
Nuage de Pivoine se tut. Il venait de repérer un campagnol dans les feuilles. Sans bruit, il s'approcha de la bestiole, puis l'acheva d'un coup de croc.
- Pas mal, le complimenta Goémon Noir.
- Tss... l'élève a dépassé le maître depuis longtemps, dans ce domaine-là.
- Tu crois ? Pas sûr, cher apprenti. Tu vois ce lapin, là-bas ?
Et, avec toute la concentration d'un maître en la matière, il fit un bond extraordinairement haut jusqu'à l'animal et le tua.
- Wow... bon, j'avoue, tu es plus fort que moi. Quel mentor tu as eu, exactement, pour... » Nuage de Pivoine se tut. Il venait de se rappeler que le mentor de Goémon Noir avait été Pelage Sombre, ni plus ni moins.
- Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'était un excellent chasseur et combattant, ça, c'est sûr. »rétorqua Goémon Noir.
- Mais tu le détestais, pas vrai ? » Nuage de Pivoine avait baissé la voix, comme si il avait peur d'être entendu.
Goémon Noir acquiesça de la tête. Il sembla hésiter un peu, comme si il avait l'air perdu, et lança :
- Nuage de Pivoine... imagine quelque chose... imagine que ce même Pelage Sombre dont on parle m'ait ordonné très clairement de partir à la chasse avec toi, de t'attirer dans un endroit désert, un peu comme celui-là, et de te tuer... imagine que tout à l'heure, quand tu m'as tourné le dos pour tuer cette proie, j'ai sorti les griffes... que je me suis approché de toi, et que, finalement, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas. Que c'était au-dessus de mes forces... qu'est-ce que tu dirais ?
Nuage de Pivoine eut l'impression de se prendre un coup dans la poitrine. Il hoqueta :
- Quoi ? Il t'a... réellement demandé ça ? Et tu... tu... » Nuage de Pivoine manqua tituber.
Il réalisa à quel point il était petit et faible, à quel point cet endroit était isolé, à quel point personne ne l'aurait entendu crier si Goémon Noir serait revenu sur sa décision à cet instant précis... apeuré, il recula :
- Tu... tu ne veux pas me tuer, alors ?
- Je ne peux pas. Tout simplement.
- Goémon Noir, comment est-ce que je pourrai assez te remercier de... de... d'avoir fait ça... » bégaya Nuage de Pivoine, confus.
- Ne me remercie pas... » murmura Goémon Noir.
Plus perdu que jamais, Nuage de Pivoine dit d'une voix tremblante :
- Mais... mais si je ne peux pas rester ici... si Pelage Sombre veut ma mort, je ferai mieux de partir...
Il pensait à rejoindre son père, comme il en avait toujours tant rêvé.
- Oui, je le pense aussi. Mais... mais regarde-toi, tu n'es jamais allé à la Source de Lune, tu ne sais même pas te diriger, et, entre nous, j'ai été ton mentor, et le Clan des Etoiles sait à quel point je n'ai jamais vu un sens de l'orientation aussi fabuleusement catastrophique que le tien... » le ton de Goémon Noir s'était fait plus pressant, plus insistant, et Nuage de Pivoine tressaillit en voyant ses yeux noirs dans les siens.
Soudain, un cri leur parvint.
- Le Clan de l'Ombre attaque ! Ils attaquent ! » C'était Nuage de Fraise. Elle courait vers eux, les poils hérissés, en direction du camp.
- Il faut que j'aille prévenir le camp ! Leur lança-t-elle. Ils attaquent près de la frontière !
- Le Clan de l'Ombre ? Mais ils sont fous ! Ils savent qu'ils sont faibles et affamés... ils espèrent quoi, au juste ? Ils savent très bien qu'ils n'ont aucune chance ! » bégaya Nuage de Pivoine.
- Tu iras leur demander, à eux. Répondit Goémon Noir en s'élançant sur le chemin qui menait à la frontière. Mais, pour l'instant, pas de questions à se poser, il faut qu'on y aille, Nuage de Pivoine ! Ta première bataille, ça se fête !
Nuage de Pivoine, un peu tendu, suivit Goémon Noir en courant. Il savait qu'il n'avait pas grand-chose à craindre d'une bande de chats affamés, mais... comme tout apprenti, il était anxieux.
Près de la frontière, Etoile du Tigre se battait rageusement. Lui qui s'était toujours cru doux et détestant la violence, il se découvrait hargneux et féroce. Cette attaque était de la pure folie, et il le savait, mais... Petit Lionceau animait chacun de ses mouvements. Il voulait retrouver son fils, il le voulait à tout prix. Il avait réuni tous les membres de son Clan qui n'étaient pas encore trop affamés et qui tenaient à peu près debout, et il était parti attaquer le Clan du Tonnerre. De la pure folie. Cette attaque était vouée à l'échec, mais il n'était pas en état de se le dire. Il ne pensait qu'à récupérer Petit Lionceau, ou mourir dans cette bataille. Avec une férocité qu'il ne se connaissait pas, il labourait le dos de Plume Brune, un vétéran ennemi pourtant deux fois plus expérimenté que lui. Les autres chats du Clan du Tonnerre reculaient devant lui. Mais il était bien le seul parmi tous ses guerriers à avoir cette force et cette fureur. Les autres attaquants n'étaient que des pauvres types hagards et affamés qui avaient à peine la force de sortir leurs griffes. L'un d'entre eux s'était même déjà enfui. Mais, malgré tout, dans une bataille, même atrocement inégale et désespérée, il suffit d'un seul meneur qui se jette à corps perdu dans le combat avec l'énergie d'un fauve, pour que ses hommes reprennent espoir et le suivent dans la bataille. Et puis, après tout, Etoile du Tigre n'était pas si stupide... dès le départ des guerriers du Clan du Tonnerre, il avait aussitôt prévenu Etoile de Bleuet, qui l'avait tant soutenue lors de l'Assemblée. Et celle-ci avait tout de suite trouvé ça injuste, et avait promis de le soutenir dès qu'il le demanderait. Maintenant, allez savoir si elle accepterait de l'aider dans une attaque aussi désespérée...
Mais, à l'instant présent, Etoile du Tigre ne s'en souciait pas. Il labourait les côtes de Plume Brune sans pitié.
- Etoile du Tigre, entendit-il d'une voix qui lui sembla être celle de Pierre de Granit, il faut aller chercher du renfort, on ne tiendra pas, c'était de la folie, cette attaque !
- Je... veux récupérer... PETIT LIONCEAU ! » Hurla Etoile du Tigre, griffant son ennemi à la gorge.
La bataille faisait rage, mais elle était plus inégale que jamais. Pierre de Granit, effrayé, esquiva un guerrier du Clan du Tonnerre et hurla au premier apprenti qu'il vit :
- Nuage de Citrouille, va chercher des renforts au Clan de la Rivière, vite !
Savez-vous, mes chers amis, ce qu'il ne faut jamais, jamais, jamais, jamais, jamais, jamais faire lors d'une bataille ? Hurler à pleine voix à un apprenti d'aller chercher du renfort. Car vous pouvez être sûr qu'à la seconde précise où vos ennemis vont entendre cet ordre, ils vont immédiatement et sans pitié se jeter sur le messager, avec un seul objectif : l'empêcher de fuir à tout prix.
Mais Pierre de Granit n'avait pas le choix à ce moment-là, et, heureusement pour lui, Nuage de Citrouille, agile comme il l'était, trouva le moyen de déguerpir ventre à terre sans qu'aucun guerrier du Clan du Tonnerre ne puisse le rattraper. Et, au moment précis où Pierre de Granit se réjouissait, un poids lui tomba sur le dos, et, avant même de comprendre ce qui lui arrivait, il se retrouva cloué contre le sol. Pour lui, la mort fut rapide et presque sans douleur : Pelage Sombre lui trancha la jugulaire proprement, d'un coup de croc net.
Etoile du Tigre, lui, continuait son massacre contre Plume Brune, sans retenir ses coups, sans prêter attention au monde autour de lui. Il se découvrait plus féroce que jamais, il était comme en transe, il ne pouvait pas stopper ses pattes. Mais soudain, un cri aigu le sortit de sa torpeur. Il lâcha Plume Brune, qui s'enfuit en couinant, et se retourna...
Pour voir que presque tous ses guerriers étaient morts. Pierre de Granit, Fleur Rouge et quelques autres gisaient déjà à terre, dans une mare de sang, quant aux autres, ils se débattaient sans aucun espoir face à leurs adversaires. Le cri qu'il avait entendu était celui de Patte Jaune, qui venait de se faire égorger par Pelage Sombre. Etoile du Tigre, réalisant ce qu'il avait fait, ne put retenir un cri à son tour. Tous ses combattants étaient morts, et il était encerclé par les ennemis.
Pelage Sombre, Etoile de Taches et une poignée d'autres guerriers étaient venus en renfort du camp. Brin d'Herbe et Nuage de Chenille aussi, comme tout guérisseur se doit d'assister son Clan durant une bataille. D'autres, comme Oreille Déchirée, Goémon Noir ou Nuage de Pivoine, avaient seulement accouru en entendant l'appel de Nuage de Fraise et n'étaient pas prévus dans les renforts. Tout ce joli petit monde, mes amis, encerclait notre Etoile du Tigre, qui fixait avec horreur le cadavre de son ami, Pierre de Granit, et qui gémissait, mais si bas que personne d'autre que lui ne l'entendait :
- Mais qu'est-ce que j'ai fait, mais qu'est-ce que j'ai fait...
Pelage Sombre, à côté de Brin d'Herbe et d'Etoile de Taches, s'avança légèrement.
- Etoile du Tigre, pauvre abruti... tu pensais vraiment que ta pitoyable attaque avait la moindre chance de réussir ? »
Etoile du Tigre recula... et se heurta à Croc Noir et Oreille Déchiquetée, qui le saisirent impitoyablement.
- Tu as osé venir nous attaquer, malgré notre marché ? Tonna Pelage Sombre. Pauvre idiot... je t'ai épargné une fois, il n'y aura pas de deuxième. Croc Noir, Oreille Déchiquetée... tuez-le.
- NE LE TOUCHEZ PAS ! » Hurla Etoile de Taches.
Un réflexe commun à tout le monde en entendant une personne hurler soudainement, c'est de suspendre son geste, même si la personne en question n'est pas censée être celle à qui on obéit. Et, par réflexe, Oreille Déchiquetée et Croc Noir s'arrêtèrent et relâchèrent leur prise, à peine plus d'une seconde. Cette seconde fut suffisante à Etoile du Tigre pour mordre l'un, griffer l'autre, et s'enfuir ventre à terre.
Pelage Sombre resta une seconde bouche bée, et puis, il lui arriva ce qui ne lui était plus jamais arrivé depuis sa rage légendaire contre Nuage de Feu Follet : il perdit ses nerfs. Il s'approcha d'Etoile de Taches et cracha entre ses dents :
- TOI ! Toi, espèce de... c'est la deuxième fois que tu... que tu...
- Je ne voulais pas qu'on le tue, répondit bravement Etoile de Taches, c'est tout.
Un éclair de fureur transperça les yeux de Pelage Sombre, et Nuage de Pivoine vit dans ses yeux qu'il brûlait d'envie de la frapper. Il s'avança...
... et trébucha contre la queue de Brin d'Herbe.
- Oh, désolé, Pelage Sombre, fit Brin d'Herbe qui n'avait pas l'air désolé du tout, je suis si maladroit... je laisse cette fichue queue se traîner partout...
Nuage de Pivoine n'en revenait pas. Est-ce qu'il venait bien de voir Brin d'Herbe faire un croche-patte à Pelage Sombre ?
Ce dernier se releva tant bien que mal, bouillonnant de rage. Mais, avant qu'il puisse dire quoi que ce soit, tous entendirent une voix féminine leur crier :
- Chats du Clan du Tonnerre !
Ils se retournèrent. Etoile de Bleuet était là, accompagnée par une bonne quinzaine de ses guerriers. Ses yeux bleus les foudroyaient tous du regard :
- Je vois que j'arrive trop tard... Etoile du Tigre m'avait déjà prévenu de votre cruauté. Mais en plus... vous avez été capables de tuer des pauvres chats affamés ?
- Ils étaient venus nous attaquer, cracha Croc Noir, et mêle-toi de ce qui te regarde, la femelle !
Une cohue de cris indignés éclata dans les rangs du Clan de la Rivière, parmi tous ses guerriers.
- N'insulte pas notre chef !
- C'est honteux, de dire des choses pareilles !
Pelage Sombre, ébahi, finit par cracher :
- Le Clan de la Rivière est tombé bien bas... heureux d'avoir une femelle à sa tête...
- Heureux et fiers, même ! lança un guerrier. VIVE ETOILE DE BLEUET !
- VIVE ETOILE DE BLEUET ! VIVE ETOILE DE BLEUET ! » Scanda la foule de guerriers du Clan de la Rivière.
- C'en est trop... grinça Pelage Sombre. Attaquez-les !
A partir de cet instant précis, tout devint si confus et si bruyant que Nuage de Pivoine eut à peine le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Il entendit des cris, vit du sang gicler, et tenta tant bien que mal de se trouver un adversaire.
Cette fois, les choses devenaient sérieuses. Ca n'avait plus rien d'un banal incident de frontière, non... c'était une vraie bataille. Nuage de Pivoine tentait tant bien que mal de ne pas se laisser envahir par la peur... tout allait si vite...
Soudain, il se figea en voyant Nuage de Citrouille, l'apprenti du Clan de l'Ombre qui était revenu avec les renforts, se précipiter vers lui. Il l'esquiva pile au bon moment, et lui griffa l'épaule. Mais il était face à un apprenti plus grand et plus expérimenté, et Nuage de Citrouille n'eut aucun mal à riposter en lui mordant la patte. Et, mes chers amis, notre héros n'avait en réalité rien d'un héros, et peu s'en fallut qu'il ne se fasse réduire en bouillie par son adversaire. Mais, au dernier moment, il vit Goémon Noir se jeter sur Nuage de Citrouille et, sans hésiter un instant, lui mordre la patte, ou plutôt lui broyer d'un puissant coup de croc.
Pendant ce temps, Pelage Sombre luttait avec acharnement contre Etoile de Bleuet et trois autres de ses guerriers. Etoile de Taches, elle, était en train de régler son compte à un guerrier vétéran ennemi, lorsque Brin d'Herbe lui toucha l'épaule. Son geste était assez délicat, et si elle ne connaissait pas, elle aurait presque pu le qualifier de prévenant.
- Etoile de Taches, tu dois y aller. C'est dangereux, ici. Et tu es tout de même la chef.
L'ennemi d'Etoile de Taches en profita pour s'enfuir. Elle cracha :
- DE QUOI ? Depuis quand TU me donnes des ordres, toi ?
Brin d'Herbe recula. Il avait l'habitude.
Il y a quelque chose que je ne vous ai jamais mentionné, chers amis, aussi seriez-vous peut-être surpris de l'apprendre ici, et à ce point-là de mon récit : Etoile de Taches était belle. Très belle, en vérité. Comme tous les membres de sa lignée, elle possédait ce pelage d'un roux éclatant, qui semblait prendre feu sous le soleil. Son pelage à elle était très long et très chaud, et ses yeux étaient de ce beau vert émeraude que partageaient en général les descendants d'Etoile de Feu. Mais, le problème chez Etoile de Taches n'était pas la couleur de ses yeux, c'était leur expression. Cet air sans cesse hargneux, ce regard enflammé qui disait « N'approchez pas ou je mords », cette façon qu'elle avait de vous sauter à la gorge rien qu'avec le regard... et, quand les yeux d'Etoile de Taches ne vous sautaient pas à la gorge, ils vous observaient avec une froide indifférence, comme si elle restait de glace. Ses yeux passaient d'enflammés à glacés, mais n'exprimaient jamais d'autres émotions. Pas en public, en tout cas. Elle avait très vite appris à dissimuler ce qu'elle ressentait.
Tout ça pour essayer de vous dire, chers amis, qu'Etoile de Taches aurait réellement pu être magnifique, s'il n'y avait pas cette telle froideur dans son regard.
Et, quand Brin d'Herbe la regardait, il ne voyait pas la froideur de son regard. Il la voyait belle, il la voyait magnifique. Il la voyait comme elle aurait dû être si la vie ne l'avait pas autant endurcie et abîmée. En cet instant-là, au beau milieu du champ de bataille, lui, Brin d'Herbe, le guérisseur qui ne savait que se goinfrer sans cesse, dévorait sa chef du regard plus passionnément qu'il n'avait jamais dévoré n'importe quelle souris.
En voyant que Brin d'Herbe la regardait stupidement, Etoile de Taches cracha :
- Tu es sourd, ou quoi ? Laisse-moi !
- Très bien... » Répondit Brin d'Herbe, sans bouger d'un millimètre.
Il finit enfin par réaliser ce qu'il faisait et s'écarta. Mais, sans le vouloir, il avait laissé le temps à Etoile de Taches de se faire surprendre par un groupe de trois guerriers ennemis. Les trois chats lui bondirent dessus avant qu'elle puisse réagir.
Pendant ce temps, Nuage de Pivoine avait perdu de vue Goémon Noir, et ne faisait à peu près rien d'autre que de courir de part et d'autres du champ de bataille pour se donner l'illusion de servir à quelque chose. Il n'apercevait plus Pelage Sombre, ou d'autres groupes de guerriers, qui, en se battant, s'étaient éloigné du champ de bataille. Et, soudain, il eut une lumineuse idée : et si il allait chercher du renfort ? Oui, ça, c'était utile, ça servait à quelque chose... en réalité, mes chers amis, notre héros cherchait surtout un bon gros prétexte pour s'enfuir. Et Croc Noir le lui fournit lorsqu'il cria :
- Des renforts ! Il nous faut des renforts !
Nuage de Pivoine, qui n'attendait que ça, s'enfuit ventre à terre. S'il avait su dans quoi il se jetait, il n'aurait pas couru aussi vite.
Plus loin, Pelage Sombre se battait férocement contre Herbe Courte, un vétéran ennemi. Leur bataille féroce les avait éloignés du reste du champ de bataille. Ils luttaient tous deux férocement, sans retenir leurs coups. Pelage Sombre parvint à prendre l'avantage et à griffer son ennemi à la gorge. Lorsqu'Herbe Courte s'effondra sur le sol, mort, Pelage Sombre eut un miaulement de triomphe. Soudain, il sentit quelqu'un lui effleurer l'épaule. Il sursauta, s'attendant à un autre guerrier ennemi... lorsqu'il se retourna, il fut stupéfait de voir Goémon Noir. Une fraction de seconde plus tard, il se retrouvait plaqué contre le sol. Mais Pelage Sombre en avait vu d'autres, et, sans aucun mal, il parvint à se dégager et griffa le flanc de son ennemi.
Et notre cher Nuage de Pivoine, lui, fonçait droit vers l'endroit où ils se battaient, au pied du Chêne Céleste. En arrivant, essoufflé, il s'arrêta net quand il les vit. Les deux chats se faisaient face, s'affrontant du regard :
- J'aurai dû savoir que tu serais un traître, Goémon Noir, grogna Pelage Sombre, j'aurai dû m'en douter... la traîtrise, c'est dans le sang. Tu sais ce que j'aurai dû faire le jour où on t'avait ramené au camp après avoir tué ces deux autres idiots ? J'aurai dû te tuer. Je n'aurais pas dû écouter Brin d'Herbe, j'aurai dû en finir avec toi. Quelque chose me déplaisait dans ton regard...
- Oh que oui, je le sais, répondit Goémon Noir qui avait un étrange sourire sur le visage, un sourire presque carnassier, si tu savais le nombre de fois où tu me l'as répété... je dirai, aux alentours d'une fois toutes les semaines, quand j'étais ton apprenti... « Je t'ai laissé en vie alors que je n'aurai pas dû, Nuage de Goémon. Mais rappelle-toi qu'à tous moments, je peux revenir sur ma décision. » C'est ce que tu me répétais à chaque fois que tu voulais me faire peur. Et je savais que ta menace était bien réelle.
Il rit, comme si il trouvait ça hilarant, avec le recul. Son rire n'avait rien de sardonique, non, c'était ce rire franc, joyeux, communicatif, qui dissonait tant avec ce qu'il disait :
- Et le Clan des Etoiles sait que j'en ai eu peur, de cette menace. Pendant des lunes et des lunes, le sujet de mes prières au Clan des Etoiles était toujours le même : « Clan des Etoiles tout-puissant, faites que Pelage Sombre ne me tue pas, je vous en supplie... et laissez-moi le privilège de badigeonner la barrière de ronces du camp avec son sang, quand je serai grand. »
- Je le sais, à quel point tu rêvais de me tuer, ne t'en fais pas, rétorqua Pelage Sombre, si tu savais comme ça se lisait dans ton regard, à chaque instants... tu veux accomplir ton vieux rêve, n'est-ce pas ? Rien n'a changé, mon cher apprenti. Tu mesures peut-être quelques dizaines de centimètres de plus, mais ne crois pas pouvoir me battre pour autant. A moins que... tu y crois peut-être vraiment, finalement. Te crois-tu réellement assez fort pour me tuer, moi, Pelage Sombre ?
- Ouais. » Répondit Goémon Noir en souriant.
Nuage de Pivoine était figé. Par malheur, en esquissant un mouvement de recul, il fit craquer une feuille sous sa patte, et les deux autres se rendirent compte de sa présence.
- Oh, tiens, Nuage de Pivoine, mais comment vas-tu ? » Lança Goémon Noir d'un ton jovial. Fais-moi plaisir, viens m'aider à déchiqueter les entrailles de ce vieux con.
Nuage de Pivoine se rendit compte qu'il avait la gueule grande ouverte. A ce moment-là, il ne savait plus qui était l'ennemi. Que faire ? Qui attaquer ? Il gémit, tout en reculant :
- Je... je... je ne veux p-pas être mêlé à ça... je n'y suis pour rien...
Pelage Sombre lui jeta un regard glacial :
- Ne bouge pas ! Reste où tu es ! Si tu es vraiment un membre du Clan du Tonnerre digne de ce nom, aide-moi ! A moins... que tu ne sois déjà de son côté ? Après tout, j'avais ordonné à Goémon Noir de te tuer, si il ne l'a pas fait, c'est bien que tu es avec lui... Deux fils de traître, ça va parfaitement bien ensemble, non ?
Nuage de Pivoine continua à reculer et gémit une seconde fois :
- Non... non, je... Je n'y suis pour rien, je ne savais rien, je le jure... j'allais juste chercher... d-des r-renforts... » Son ton était presque suppliant.
- Oui, je vois... lança Goémon Noir en riant. Je vois. Tu aimerais n'être jamais venu ici, pas vrai ? Tu aimerais être resté là-bas et être en train de te battre à l'heure actuelle, pas vrai ? Tu aimerais pouvoir t'enfuir, ne pas être impliqué dans cette histoire, comme si ça ne te concernait pas, et ne pas avoir à choisir ton camp, hein ? Eh bien, navré de te le dire, mon petit, mais maintenant, tu ne peux plus reculer. Tu dois choisir ton camp, et maintenant.
- Alors, ce petit idiot d'Etoile du Tigre avait bien raison... c'était bien un membre de notre Clan qui avait tué Nuage de Feu, n'est-ce pas ? C'était toi, hein ? » Grogna Pelage Sombre.
- A ton avis ? » Dit Goémon Noir en ayant l'air de s'amuser follement.
Nuage de Pivoine recula encore un peu.
- Q-quoi ? Goémon Noir, c'est toi qui l'a coui... qui l'a tué ?
Goémon Noir conservait toujours cet air très posé, très calme, qui convenait si peu à la situation, lorsqu'il répondit le plus naturellement du monde :
- Oui, c'est moi. Oui, c'est moi qui ai tué Nuage de Feu, et maintenant, je m'apprête à tuer ce vieux con. Effectivement, vu sous cet angle-là... mais, dis-moi, Nuage de Pivoine, es-tu vraiment sûr de vouloir choisir le camp de Pelage Sombre ? Celui-là même que tu rêvais tant de pouvoir tuer ? Es-tu bien sûr de vouloir défendre le système qui a tué Nuage de Flamme, dont tu m'as tant parlé, qui a tué Buttercup, qui a rejeté ton père et qui t'a toujours rejeté, toi ? Je crois mon cher petit, que dans cette histoire, tu t'es trompé de méchant. Tu me parlais de tuer Pelage Sombre il n'y a pas si longtemps... la seule différence entre toi et moi, c'est que moi, j'agis. Je ne suis pas trop faible et trop lâche pour choisir mon camp. La preuve, si tu avais vraiment la conscience tranquille, tu te serais jeté sur moi dès l'instant où tu m'aurais vu, tu aurais agi comme un bon petit héros, tu aurais tué le traître et tu serais parti te faire acclamer comme un sauveur. Mais tu ne l'as pas fait. Tu es resté là, stupidement, à prier silencieusement pour que je prenne l'avantage et pour que je tue cette crotte de renard, mais sans oser intervenir une seule seconde, pour pouvoir trouver un prétexte, ne pas trop te mouiller, te dire que tu n'es pas vraiment responsable...
Avez-vous déjà ressenti ce sentiment d'impuissance et de terreur quand vous avez l'impression de ne plus pouvoir trouver de mots pour répondre à votre adversaire, tout simplement parce qu'il a raison sur toute la ligne ?
Nuage de Pivoine se sentait plus perdu que jamais. Que répondre à ça ? Il ne pouvait rien rétorquer, Goémon Noir lisait en lui si facilement... depuis le début, il avait été là, à espérer que ce soit Goémon Noir qui gagne le combat. En dernier recours, il balbutia :
- Je... je... ne sais pas, je ne veux p-pas savoir... je ne veux rien savoir...
- Alors tu es vraiment si faible que ça ? Le ton de Goémon Noir s'était fait tranchant. Tu vas vraiment rester figé comme un crétin, simplement pour te donner bonne conscience, et ne pas oser te battre avec moi pour venger Buttercup ? Tss... je croyais que tu étais comme moi, je pensais que toi aussi, tu étais prêt à prendre ta revanche contre eux, contre leur dictature... Nuage de Flamme et Buttercup ne t'ont rien appris en mourant ?
- Et allez, ne me dites pas qu'il va vouloir se donner le beau rôle, maintenant ? Ricana Pelage Sombre.Petit, ne l'écoute pas. Il me semble que c'est bien le dernier à pouvoir compatir avec toi de la mort de Buttercup...
- Pourquoi ? » Demanda benoîtement Nuage de Pivoine.
Il ne sut jamais ce que Pelage Sombre comptait dire. Goémon Noir choisit précisément ce moment-là pour lui sauter dessus.
Les deux combattants étaient chacun plus acharnés que jamais. On pouvait sentir l'expérience dans le style de combat de Pelage Sombre. On sentait bien qu'il n'en était pas à son premier combat, et qu'il maîtrisait parfaitement chaque mouvement qu'il faisait. Goémon Noir avait une façon d'attaquer plus... brutale, plus désordonnée, mais plus violente. En quelques mots : Pelage Sombre avait la maîtrise, Goémon Noir avait la force. Et Nuage de Pivoine... eh bien, Nuage de Pivoine, lui, il n'avait pas grand-chose à part la trouille. Il restait figé, à les regarder fixement se battre, sans pouvoir détacher les yeux de cette scène.
- Tu profites bien du spectacle, Nuage de Pivoine ? » Demanda Goémon Noir de ce même ton d'amusement, comme un chaton qui s'éclate comme un fou avec un nouveau jouet, ce ton qui allait si peu à quelqu'un qui se battait.
Pelage Sombre profita du bref instant de distraction de Goémon Noir pour lui mordre la joue. Nuage de Pivoine ne put s'empêcher d'étouffer un cri.
- T'en fais pas pour moi, petit ! Il se fait vieux, le Pelage Sombre ! » Goémon Noir éclata cette fois franchement de rire.
Il n'y avait pas de quoi, pourtant. Pelage Sombre venait de le renverser à terre et l'avait frappé de toutes ses forces sur le flanc. Goémon Noir roula sur le côté, avec une expression assez étrange sur le visage, presque comme si il s'amusait encore plus. Mais il n'eut pas le temps de se relever. Pelage Sombre eut le temps de lui donner un puissant coup de patte en plein sur le museau. Du sang jaillit du museau de Goémon Noir, qui ne put pas retenir un gémissement. Enfin, Goémon Noir se releva, du sang s'écoulant toujours autant de son museau, mais avec un grand sourire sur le visage.
- Bon, maintenant, assez rigolé, haleta-t-il, Nuage de Pivoine, observe bien.
Il se jeta sur Pelage Sombre, toutes griffes dehors. Celui-ci l'esquiva, mais une fraction de seconde trop tard : Goémon Noir eut le temps de lui griffer le flanc. Avant que Pelage Sombre puisse réagir, il se jeta une seconde fois sur lui et lui griffa la gorge de toutes ses forces, avant d'y planter enfin les crocs. Nuage de Pivoine ferma les yeux. Une seconde s'écoula, puis deux, puis trois, puis quatre...
- Quel petit délicat, celui-là... tout ça pour un peu de sang...
Nuage de Pivoine ouvrit les yeux. Ca y était, Pelage Sombre était mort. Des flots de sang s'écoulaient encore de sa gorge tranchée. Goémon Noir regarda Nuage de Pivoine... puis rit :
- Wahou ! Alors là... j'ai trouvé ça génial, pas toi ? Depuis le temps que j'en rêvais... enfin, il est mort, celui-là !
Nuage de Pivoine n'arrivait pas à y croire... Pelage Sombre, oui, Pelage Sombre, ce Pelage Sombre que tout le monde avait cru éternel, presque immortel, venait de mourir. Il balbutia :
- Oh, par le Clan des Etoiles, non... non... ce... ce n'est pas possible...
Et il s'exclama :
- C'est pas ma faute ! C'est pas ma faute ! Goémon Noir, si quelqu'un arrive... je lui dirai que c'est toi, je m'en contrefiche, je te dénoncerai, je... je...
Goémon Noir sourit et s'approcha de lui.
- Calme-toi, calme-toi... vois le bon côté des choses, au moins, celui qui voulait ta mort n'est plus de ce monde. Je t'ai sauvé, au moins, non ?
- Pourquoi... gémit Nuage de Pivoine, pourquoi tu as...
- Je te l'ai déjà dit, répondit Goémon Noir, c'est hypocrite de ta part de me demander ça, toi qui rêvais aussi de le faire.
- Je vais te dénoncer, bégaya Nuage de Pivoine, je m'en fiche, tu... tu...
Goémon Noir poussa un soupir d'exaspération, et lui dit sur un ton patient, comme un mentor qui expliquerait une leçon à un apprenti un peu lent d'esprit :
- Nuage de Pivoine... je ne suis pas ton ennemi. Je suis avec toi. Quel intérêt aurais-tu à me dénoncer, vraiment ? J'ai eu le courage que tu n'as pas eu en le tuant. Au moins, dis-toi que tu as vengé Buttercup. C'est bien ce que tu voulais, non ?
Nuage de Pivoine ne trouvait rien d'autre à répondre. Tout cela était vrai. La seule chose qui sortit de sa bouche fut une faible protestation :
- Mais... mais...
Goémon Noir sortit les griffes et répondit de ce même ton patient :
- Bon, très bien... laisse-moi formuler les choses autrement, mon cher apprenti. Pour l'instant, je te vois comme un allié, mais je pourrai tout aussi bien te voir comme un témoin gênant. Et quand le témoin gênant ne trouve rien de plus intelligent à dire que : « je m'en vais te dénoncer », en général, tu comprends bien qu'il ne reste pas trente-six options pour le faire taire...
- Et... ça veut dire ? » Coassa Nuage de Pivoine, son sang s'étant glacé dans ses veines.
- Ca veut dire que tu vas m'aider à enlever mes poils du cadavre de ce vieil imbécile, que tu vas mettre ceux de son adversaire du Clan de la Rivière à la place, et ensuite, qu'on va revenir se battre avec les autres, et que dans la confusion de la bataille, personne ne se sera aperçu de notre absence, et personne ne saura jamais qu'on a tué Pelage Sombre.
- Que tu as tué Pelage Sombre... » Protesta Nuage de Pivoine d'une toute petite, petite, petite, petite voix.
- Erreur, cher apprenti. Nous l'avons tué. Moi, je me suis tout simplement servi de mes griffes, et pas toi, mais ça ne fait pas de différence.
- Ce n'est pas... pas de ma faute... » Protesta Nuage de Pivoine d'une minuscule, minuscule, minuscule voix.
Goémon Noir plongea ses prunelles noires dans les siennes, et Nuage de Pivoine tressaillit, encore plus vivement que devant Pelage Sombre.
- Ah oui ? Alors pourquoi tu ne t'es pas enfui pour aller prévenir quelqu'un pendant qu'on se battait ? Tu aurais pu, n'est-ce pas ? Et n'essaie pas de me faire croire que c'était la peur. Si tu l'avais vraiment voulu, tu serais vraiment allé la chercher, cette foutue aide. Tu ne l'as pas fait parce que tu désirais la mort de Pelage Sombre autant que moi.
Nuage de Pivoine n'arrivait plus à ouvrir la bouche, comme si Goémon Noir avait méthodiquement massacré toutes ses dernières défenses, tous ses derniers faibles arguments.
- Allez, lui dit Goémon Noir presque doucement, ne fais pas l'idiot, je n'ai vraiment pas envie de t'égorger.
- J'ai pas envie non plus.
- Ca tombe bien. Allez, viens m'aider à enlever mes poils du cadavre de Pelage Sombre.
En revenant sur le champ de bataille, Nuage de Pivoine s'aperçut que Goémon Noir avait parfaitement raison. Personne ne s'était rendu compte de leur absence, personne. Dans une bataille, on est trop occupé à sauver sa peau pour se préoccuper de celle des autres. La bataille avait, de toute évidence, tournée à l'avantage pour le Clan du Tonnerre. Nuage de Pivoine entendit Etoile de Bleuet miauler à ses guerriers :
- Repli, Clan de la Rivière !
Et le Clan de la Rivière s'enfuit. Mais Nuage de Pivoine s'inquiéta légèrement... pourquoi les guerriers ne criaient pas victoire ? Que se passait-il ?
Il ne tarda pas à le voir. Ou plutôt, à la voir. Etoile de Taches était couchée sur le flanc, une flaque de sang l'entourant. En voyant ça, Nuage de Pivoine fut horrifié. Non... non, pas ça, pas ça en plus, pas maintenant...
- Parfait. » Il sursauta en entendant Goémon Noir lui murmurer à l'oreille. « Parfait, je voulais attendre l'occasion idéale pour tuer Etoile de Taches, mais puisque ces idiots du Clan de la Rivière m'ont mâché le travail...
Nuage de Pivoine, désespéré, bouscula la foule alentour pour s'approcher d'Etoile de Taches. Brin d'Herbe était penché au-dessus d'elle. De là à dire qu'il avait l'air inquiet, il aurait fallu partir un peu loin, mais, en tout cas, son visage n'affichait plus cette tranquille indifférence, cette impassibilité. Il semblait concentré comme jamais, plus grave et plus sérieux que n'importe qui :
- Etoile de Taches, respire, respire, ça va aller...
- Je... je vais mourir, hein ? » Haleta Etoile de Taches.
- Je ne sais pas, répondit Brin d'Herbe, franchement, j'en sais que dalle... accroche-toi, c'est tout ce que je peux te dire... accroche-toi, s'il te plaît. On va te ramener au camp, on va s'occuper de toi.
Nuage de Pivoine fut surpris de voir une gouttelette transparente tomber sur le sol. Il observa son reflet dans une flaque d'eau qui restait de la dernière pluie : il était en larmes.
Pourquoi ne s'était-il jamais douté à quel point il l'aimait, cette vieille folle, cette chef grincheuse qui, au fond, n'aurait jamais fait de mal à une mouche ? Pourtant, n'allez pas croire qu'il ne se rappelait plus de Nuage de Flamme, de son manque total d'émotions lors de sa mort... mais... malgré lui, il pleurait. Il ne l'avait jamais détestée comme il avait détesté Pelage Sombre. Et puis... malgré tout, elle avait sauvé la vie d'Inigo.
Soudain, il vit Nuage de Fraise, dont vous vous dites sûrement, chers amis, que jusqu'à maintenant, son rôle dans ce récit se réduisait seulement à être la porteuse de mauvaises nouvelles, et vous n'avez pas tout à fait tort. Notre chère porteuse de mauvaises nouvelles, donc, courait à en perdre haleine :
- Pelage Sombre, il, il... m-mort... là-bas... contre... contre un autre guerrier... du Clan de la Rivière...
La stupeur fut générale. Sauf pour Brin d'Herbe, qui ne releva même pas la tête alors qu'il lavait les blessures d'Etoile de Taches.
- En es-tu sûre ? » Parvint à demander le premier guerrier à s'être remis de sa surprise.
Nuage de Fraise, qui commençait à en avoir sérieusement marre qu'on doute de sa parole, se retint de feuler : « Non non, je l'ai trouvé couché sur le dos, sans bouger, la gorge ouverte, une mare de sang, mais je ne suis pas très sûre qu'il soit mort... on ne sait jamais, il faisait peut-être la sieste... »
A la place, elle répondit :
- Oui, oui, j'en suis sûre !
L'incrédulité remplaça la stupeur. Pelage Sombre, mort ? Nom d'une souris, mais même les vétérans les plus expérimentés (entendez par là : vieux) le connaissaient depuis qu'ils étaient tout chaton ! Non, pas Pelage Sombre, Pelage Sombre était immortel, irremplaçable... depuis tant d'années qu'il assurait le poste fidèle et sans gloire de lieutenant des chefs... il ne pouvait pas être mort, pas lui. Il était comme le Chêne Céleste, il avait toujours été là, sa mort était impossible...
La suite, Nuage de Pivoine la vécut de manière confuse et embrumée, comme on vit un rêve. Il se vit rentrer au camp avec les autres, en transportant Etoile de Taches blessée et Pelage Sombre mort, il se vit se réfugier dans la tanière des apprentis en pleurant toujours sans bruit. Ses camarades de tanière lui posèrent une foule de questions sur la bataille (« On a entendu que Pelage Sombre était mort, c'est une fausse rumeur, non ? » « C'est pas possible, il peut pas mourir, pas lui ! » « Il y avait beaucoup de sang pendant la bataille ? » « T'as affronté qui ? »), auxquelles il ne répondit pas. Son cerveau était comme vide. Il n'avait plus conscience de rien.
Au bout d'un temps indéterminé, il vit Nuage de Chenille entrer dans la tanière des apprentis et leur confier d'un ton maussade :
- Oui, je peux vous confirmer que Pelage Sombre est bien mort. Et Etoile de Taches... elle... elle ne passera sans doute pas la nuit.
- Y'a eu beaucoup de sang quand il est mort ? » Demanda aussitôt Nuage de Racine, qui ne pensait qu'à ça.
L'ignorant royalement, Nuage de Chenille se tourna vers Nuage de Pivoine :
- Etoile de Taches veut te voir.
- Moi ? Mais pourquoi moi ?
- A ton avis, crétin ? Elle va mourir !
- Et... et quel rapport ça a avec moi ?
Nuage de Chenille se détourna.
- Abruti...
Nuage de Pivoine, sans comprendre, sortit de la tanière.
En marchant dans le camp, il se rendit compte de quelque chose d'étrange : pourquoi est-ce que tout le monde s'inclinait devant lui en le voyant ? Même les reines demandaient à leurs petits de s'incliner bien bas et avec beaucoup de respect. Au début, il se demanda s'ils étaient tous devenus fous. Même les anciens, qui d'habitude, en le voyant, commençaient sérieusement à paniquer en se demandant à quelle blague douteuse ils pouvaient bien s'attendre, même ces vieux grincheux d'anciens, donc, s'inclinèrent devant lui. Et puis... les gens lui parlaient d'un ton si poli, si respectueux... pourquoi donc ? Le seul chaton aussi jeune devant lequel il les avait vus manifester autant de respect, c'était Nuage de Flamme, et plus tard, Nuage de Feu. Et encore, devant eux, les gens ne s'inclinaient pas.
Quand il entra dans la tanière du guérisseur, par contre, il constata avec joie que l'attitude de Brin d'Herbe n'avait pas changée :
- Ah, t'es là, sale gosse ? Etoile de Taches est par là. Tu viens pour la voir, hein ?
Si Nuage de Pivoine avait été un observateur plus attentif, il aurait constaté très vite que l'attitude de Brin d'Herbe était très loin d'être réellement la même que d'habitude. Au contraire, il était plus maussade, plus renfrogné. Il n'avait pas cette bonhomie et ce je-m'en-foutisme qui lui étaient habituels.
Nuage de Pivoine demanda d'un ton inquiet :
- Brin d'Herbe, pourquoi les gens ils sont bizarres avec moi ? Pourquoi ils s'inclinent devant moi ?
Brin d'Herbe le dévisagea quelques secondes, stupéfait, puis il haussa les épaules, l'air de dire « ce gamin est stupide ».
Nuage de Pivoine, sans plus attendre de réponse, s'approcha timidement de la litière d'Etoile de Taches.
- Ah, tu es enfin là, toi... » Dit-elle faiblement en le voyant.
- Etoile de Taches, dit-il en s'avançant et en voyant que ses larmes recommençaient à couler, je... je... tu sais, je suis d-désolé pour... pour la carcasse de renard mort, les crottes de loutres, et la fois où j'ai pi... euh, où j'ai fait mes besoins sur ta litière... » Il se mit à sangloter.
- Bah, n'y pense plus, à tout ça... articula faiblement Etoile de Taches, le visage un peu crispé par la douleur. Ce n'est pas grave, Nuage de Pivoine... ces idioties ne m'atteignent plus. Je vais mourir, tu sais, alors je suis au-dessus de ça.
- Et désolé aussi pour les crottes de lapins dans la nourriture, pour les murs de ta tanière redécorés avec de la bile de souris, et pour la fois où j'ai mis une vipère morte dans ta litière...
- C'ÉTAIT TOI, LE COUP DE LA VIPÈRE ? ESPÈCE DE PETIT... MAIS JE VAIS T'ÉTRIPER !
Nuage de Pivoine recula :
- Euh... euh... du calme, du calme, je pensais que tu étais au-dessus de tout ça...
Etoile de Taches grommela mais ne rajouta rien. Elle poussa un soupir. Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, ses yeux n'étaient plus de glace, ni de feu, ils affichaient simplement une lassitude et une tristesse dévorante.
Et, pour la première fois, Nuage de Pivoine se rendit compte qu'elle était belle.
- Nuage de Pivoine... tu sais, il y a quelque chose que je veux te dire...
Nuage de Pivoine s'approcha. Etoile de Taches lui dit d'une voix plus douce qu'à son habitude :
- Il y a quelque chose que j'ai toujours regretté d'avoir dit... tu te rappelles du jour où tu avais séché l'entraînement au combat et où je t'y avais ramené de force ? C'était il n'y a pas si longtemps... je ne sais pas si tu te souviens, mais quand je t'ai un peu... réprimandé devant les autres apprentis, j'ai dit quelque chose que j'ai réellement regretté... j'ai parlé de ton père, en disant que ton comportement ne m'étonnait pas, parce que ton père avant toi était déjà un traître à sa race... si tu savais comme je m'en suis voulue... je me rappelle encore du regard que tu m'avais jeté... j'avais tort de dire une chose comme ça sur ton père, mais, tu me connais... quand je m'énerve, je ne sais plus ce que je dis... je suis désolée.
Nuage de Pivoine vit ses larmes couler de plus belle dans le reflet des yeux d'Etoile de Taches.
- Tu sais, Nuage de Pivoine... ton père était quelqu'un de bien, réellement. Je mentirai en disant que je l'appréciais, pour être honnête, j'ai longtemps été jalouse de lui, mais... mais c'était mon frère, et, malgré tout, je pense que je devais quand même l'aimer.
Nuage de Pivoine étouffa un sanglot.
- Etoile de Taches, je... vraiment, je suis... désolé d'avoir été un apprenti aussi infernal...
- Oh, inutile de t'excuser... s'il y en a bien une qui ne mérite pas sa place au Clan des Etoiles ici, c'est moi... » Sa voix s'était faite plus faible. Elle fut saisie d'une quinte de toux, puis lui dit en le regardant dans les yeux :
- Sois un bon chef, Nuage de Pivoine.
Attends... quoi ?
Et c'est là que la lumière se fit dans son crâne. Mais oui, évidemment... les gens qui s'inclinaient devant lui, qui le traitaient avec tant de respect...
Il allait devenir chef.
Comment avait-il pu être aussi stupide ? Comment avait-il pu ne pas comprendre, comment avait-il pu être aussi aveugle ? Comment n'avait-il pas réalisé plus tôt ce que la mort d'Etoile de Taches impliquait pour lui ? Pourquoi n'avait-il pas compris plus tôt ? Il se serait donné des gifles.
Lui, Nuage de Pivoine, il allait être chef... il passait du pire apprenti du Clan au chef du Clan sans même avoir jamais été guerrier. Son cerveau réfléchissant à toute vitesse, il pensa aux histoires des Anciens, y trouvant un intérêt pour la première fois de sa vie : un enfant-chef, est-ce que ça s'était déjà vu ?
Si il avait mieux écouté leurs histoires, il aurait su que oui. Rappelez-vous : Etoile de Bleuet avait autour d'une dizaine de lunes lorsqu'elle était devenue chef, et Etoile du Tigre, quant à lui, l'humble narrateur que je suis se permet de vous informer à cet instant précis qu'il était devenu chef à l'âge de onze lunes. Et encore, ils étaient plutôt vernis par rapport à d'autres chatons qui étaient devenus chefs avant même de quitter la pouponnière. Donc non, le cas de Nuage de Pivoine, bien qu'extrêmement rare, n'avait rien d'unique.
- Etoile de Taches, balbutia-t-il, je vais devenir chef, moi ? Mais...
Il s'interrompit. Etoile de Taches allait mourir, et lui, il ne trouvait rien de mieux à lui dire qu'à lui avouer la vérité, à savoir qu'il n'avait aucune idée de comment on mène un Clan ? Non, il se devait de la rassurer.
- Je... je serai un bon chef, promit-il. Je te le jure, je serai un bon chef.
- Pelage Sombre est mort, pas vrai ? » Elle fut prise d'une quinte de toux, ou peut-être qu'elle riait. Bon débarras, si tu veux vraiment savoir ce que je pense... »
Nuage de Pivoine tenta d'esquisser un sourire. Etoile de Taches, dont la voix faiblissait de plus en plus, articula :
- Une dernière chose... je suis désolée pour la mort de la mère de ton ami... comment s'appelait-elle, déjà ? Buttercup... oui, c'est ça. Je ne voulais pas sa mort. Oui, je sais, je ne peux rien te donner d'autre que de pitoyables excuses, et ça ne la fera pas revenir, mais ne t'en fais pas... je vais porter bien assez comme ça le poids de sa mort...
- Ce n'était pas de ta faute, répondit Nuage de Pivoine en retenant ses larmes, c'était Pelage Sombre qui...
- Et moi, je ne suis pas intervenue. Ce qui est pire, en un sens, tu ne crois pas, non ? » Elle eut un pauvre petit sourire. Sois courageux, Nuage de Pivoine. La loi exigera que tu prennes une compagne lorsque tu seras plus grand et en âge de faire des chatons, pour perpétuer la lignée d'Etoile de Feu. Si je peux te donner un conseil... aime tes enfants, Nuage de Pivoine. Aime-les plus que toi-même, ne les rejette pas.
- Pourquoi... pourquoi tu me dis ça ? » Bégaya-t-il.
- Un de ces jours, tu comprendras.
Elle fut prise d'une nouvelle quinte de toux, et elle parut soudain fatiguée, si fatiguée...
- Laisse-moi, maintenant, Nuage de Pivoine. Et sois un bon chef. Prends pour lieutenant quelqu'un en qui tu as confiance... et surtout, pas quelqu'un qui a un rocher à la place du cœur. Pas un Pelage Sombre.
Nuage de Pivoine, qui pleurait toujours, sortit sans un bruit.
Etoile de Taches sentait que sa respiration se faisait plus difficile. Sa vue se brouillait presque.
Est-ce qu'elle avait peur de la mort ? Elle ne le savait pas. En réalité, elle n'avait aucune peur du néant ou du vide. Elle avait peur de ne pas mourir en paix avec elle-même. Elle avait l'impression que la mort la confrontait avec elle-même, la forçait à voir sa vie sous un autre angle, celui de toutes ses fautes, de tout le mal qu'elle avait fait... elle était hantée par la pensée de mourir torturée par sa conscience.
Un bruit étrange commençait à bourdonner dans ses oreilles. Elle s'affaiblissait. Sa respiration se faisait plus pénible.
Elle revoyait les yeux bleu-gris à la nuance si particulière de Ciel Indigo... non, ce n'étaient pas ses yeux. Les yeux qu'elle voyait avaient bien la même couleur, mais ils étaient plus ronds, plus doux... les yeux de Nuage de Flamme. Elle se souvint brusquement de lui, de ce petit chaton si doux et si docile... elle ne se rappelait pas de l'avoir un jour pris dans ses bras, ou quoi que ce soit. Elle le revoyait, courir partout, dans la pouponnière, sourire à tout le monde, et les autres reines qui s'extasiaient, en le trouvant si mignon, si adorable, et il n'y avait qu'elle pour penser « quel sale petit machin ». Elle ne le voyait que comme ça, comme une créature qui lui pompait du lait et de l'énergie. Et maintenant, maintenant qu'elle allait mourir, son insensibilité lui sautait aux yeux. Elle revoyait ce petit chaton lui sourire timidement, et elle avait comme une envie de lui sourire aussi. Pourquoi n'était-elle pas arrivée à aimer ses enfants, elle, comme toutes les autres mères ? Pourquoi n'avait-elle jamais eu cette chose curieuse qu'on appelle« instinct maternel » ? Est-ce que cela faisait d'elle une monstre de n'avoir rien ressenti à la mort de deux de ses enfants ? Elle se posait toutes ces questions pendant que sa vue se brouillait encore un peu plus. Elle commençait à avoir un peu froid... elle se souvenait des baies empoisonnées dans la nourriture de Ciel Indigo, de son manque total de regret pour ce geste... elle ne s'était jamais attachée à personne. Elle avait haï tout le monde pour l'avoir rejetée, elle était allée jusqu'à détester ses propres enfants... et maintenant qu'elle s'éteignait peu à peu, elle trouvait ça si vain, si absurde... pourquoi n'avait-elle pas réussi à aimer ?
Est-ce que mon cœur était aussi glacé que celui de Pelage Sombre ?
Je ne sais pas, je ne sais pas.
J'aimerai tellement que non...
Soudain, elle ne distingua plus la paroi de la tanière du guérisseur qu'elle voyait... elle avait comme l'impression de flotter. Soudain, elle vit une silhouette... un chaton. Un chaton aux yeux bleu-gris. Ce chaton lui souriait, l'invitait à la suivre... elle se sentait comme paisible, elle avait envie de suivre cet enfant... elle ferma les yeux.
Quand Brin d'Herbe s'approcha d'Etoile de Taches, il ne lui fallut qu'un moment pour constater à quel point son corps était froid. Elle était morte.
Brin d'Herbe ne put s'empêcher de l'observer un instant, belle et glacée. Puis, sans un mot, comme si il reprenait ses occupations habituelles avant d'aller tranquillement annoncer le décès au Clan, il alla prendre un des deux lapins qu'il avait rapporté du tas de gibier. Comme d'habitude, il déchiqueta voracement sa nourriture, broyant goulûment la chair de l'animal, se bâfrant sans en laisser une miette.
On n'aurait rien remarqué d'anormal chez lui. Pas un geste qui ne lui était pas habituel, strictement rien dans son attitude qui laissait présager un quelconque changement. Mais, si quelqu'un avait été là, et si ce quelqu'un avait voulu s'approcher de plus près, de très près, il aurait finit par remarquer les petits gouttes transparentes qui tombaient sur le gibier.
En sortant, il vit le petit Nuage de Pivoine, qui attendait anxieusement devant la tanière, en pleurant. La nuit était tombée. Une nuit presque sans lune.
- Elle... elle est morte, ça y est ? » Demanda-t-il en reniflant.
- Oui, morte. Ce qui signifie, sale gosse...
-... que je suis chef. » Le gamin avait presque l'air de vouloir éclater en sanglots.
- Ne t'en fais pas, petit, être chef, c'est pas si compliqué... bon, en fait, si, mais... mais en général, quand un enfant vraiment trop jeune monte sur le promontoire, c'est le lieutenant qui s'occupe du Clan jusqu'à ce qu'il soit adulte. Ne t'en fais pas, tu n'auras sans doute pas grand-chose à faire à part faire joli sur le promontoire et aux Assemblées. Mais, à tes douze lunes, tu pourras commencer à régner.
- Mais... pleurnicha l'autre sale gosse, mais même à douze lunes, je veux pas ! Je veux jamais être chef ! Je... je ne sais pas comment on fait pour guider un Clan ! Qu'est-ce qui se passe, si le Clan de l'Ombre retente une attaque, si... si... si n'importe quoi arrive, comment je fais pour gérer tout ça, moi ? J'ai sept lunes, j'ai appris deux ou trois mouvements de combat élémentaires, pas plus, et on voudrait que je veille sur tout un Clan ? C'est... c'est pas vrai, c'est un cauchemar !
- Pff... arrête de te plaindre. On te demande seulement d'être chef et de prendre des décisions qui pourraient décider de la mort ou du salut de tout un Clan, c'est pas la mer à boire, non ?
Nuage de Pivoine s'enfuit vers la tanière des apprentis. A la seconde où il entra, des milliers de voix l'assaillirent :
- Elle est morte, la vieille furie ?
- T'es notre chef, ça y est ?
- Ca veut dire qu'on doit s'incliner devant toi ?
- Quoi ? Non, non, je ne suis pas le chef, je...
- Tout le monde s'incline devant Etoile de Pivoine !
Et Nuage de Pivoine, avec horreur, les vit tous s'incliner.
- Ô, grand Etoile de Pivoine, pardonne-nous nos erreurs envers toi...
- Laisse-nous effectuer tes corvées d'Anciens à ta place...
- Mais vous êtes toqués ou quoi ?!
- Et pardonne-nous toutes les fois où on s'est moqué de toi...
Et Nuage de Pivoine s'enfuit. Crotte de souris et bouillie pour les chats domestiques ! Au secours !
Il tenta de trouver un endroit où se réfugier, pourquoi pas... dans la tanière des Anciens, oui, tout était paisible, dans la tanière des Anciens ! Il fonça droit vers l'arbre creux où les Anciens se trouvaient. En le voyant arriver, les anciens s'inclinèrent aussitôt :
- Tous mes respects, Etoile de Pivoine.
- Et pardonne-nous de t'avoir méprisé pour tes innocentes petites farces.
- Après tout, cette crotte de loutre dont tu avais tartiné nos litières, nous devions sûrement l'avoir mérité...
- Mais... mais... mais...
En temps normal, il aurait vu avec joie un de ses rêves impossibles se réaliser. Ces vieux grincheux qui s'inclinaient devant lui ? Il aurait donné toutes les souris du monde pour ça ! Mais maintenant, il n'avait plus envie que de fuir. Et c'est ce qu'il fit.
Il n'essaya même pas la pouponnière ou la tanière des guerriers. Et, soudain, dans un éclair de lucidité, il se rappela que la tanière du chef était à lui, maintenant, et il s'y réfugia en courant.
L'endroit était encore plein de l'odeur d'Etoile de Taches. Malgré tout, il était spacieux et confortable. Nuage de Pivoine s'effondra d'épuisement sur la litière de la chef, qui était bien garnie de plumes toutes douces, pas comme sa litière rugueuse d'apprenti.
Il s'endormit aussitôt, autant à cause de la fatigue physique que de la fatigue nerveuse.
Est-ce que quelqu'un le secouait pour qu'il se réveille ?
Mais il ne voulait pas se réveiller... il était si bien, ici...
Il n'en pouvait plus, de ces balivernes et de ces bouillies pour les chats domestiques...
A tous les coups, cette dernière journée était un cauchemar. Mais oui, c'était ça, un cauchemar. Il allait se réveiller paisiblement, et partir à la chasse avec Goémon Noir en oubliant tout ça...
Goémon Noir. C'est le premier visage qu'il vit en se réveillant. Goémon Noir qui le secouait.
- Réveille-toi ! Ils t'attendent, tu sais. Pour t'acclamer.
Nuage de Pivoine, paniqué, constata qu'il ne devait pas avoir dormi plus d'une heure. Il se releva, toujours aussi fatigué, comme si il n'avait pas dormi. Goémon Noir n'avait rien changé à son air habituel. Il avait encore son éternel sourire insouciant.
- Ils sont là, dehors, à attendre de pouvoir t'acclamer. Tu devrais ne pas faire trop attendre le Clan... enfin, ton Clan.
Nuage de Pivoine recula, plus horrifié que jamais.
- Je... je ne peux pas...
- Il semblerait que tu n'aie pas tellement le choix...
En vérité, Goémon Noir jubilait. Son plan se déroulait exactement comme prévu. Il s'était débrouillé pour que Nuage de Pivoine le considère comme un allié tout en le craignant. Et maintenant, exactement comme il le voulait, il avait réussi à le faire monter sur le promontoire. Depuis le début, il voulait se débarrasser de Pelage Sombre. Au-delà de la vengeance personnelle, Pelage Sombre était trop dangereux, c'était lui, au fond, le véritable chef du Clan.
Depuis le début, il fallait que ce soit Nuage de Pivoine qui devienne chef. Un enfant perdu, naïf, terrorisé à l'idée de devenir chef, facile à tromper, sans lieutenant... rien de plus simple à manipuler. Mais, dans ce cas, me demanderiez-vous de vos petites voix curieuses, pourquoi ne s'était-il pas débrouillé pour que ce soit Nuage de Feu qui monte sur le promontoire, tout simplement, plutôt que de prendre la peine de tuer Nuage de Feu pour faire de Nuage de Pivoine l'héritier du promontoire ?
Il y avait pensé, figurez-vous, mais... mais Nuage de Feu n'aurait pas aussi bien servi ses plans. Premièrement, parce qu'il était capricieux et instable, et donc beaucoup moins facile à tenir que Nuage de Pivoine. Mais surtout, parce qu'il n'y avait que sur Nuage de Pivoine que Goémon Noir exerçait une telle emprise.
Que l'humble narrateur que je suis se permette de vous en informer ici et maintenant, chers amis : toute la moindre gentillesse, la moindre prévenance que Goémon Noir avait jusqu'à maintenant manifesté à l'égard de Nuage de Pivoine était minutieusement calculée. Comme je l'ai déjà dit, il s'était débrouillé pour que Nuage de Pivoine le considère comme un allié, comme un ami. Quand Pelage Sombre lui avait ordonné de tuer Nuage de Pivoine, Goémon Noir s'était réjoui. Cela servait ses plans à merveille. Ce n'était pas par compassion, par bonté ou par attachement qu'il avait refusé de le tuer, c'était tout simplement pour gagner sa confiance, pour faire en sorte que Nuage de Pivoine ait une dette envers lui, le considère comme étant de son côté. Et, pour ça, rien de plus simple : il avait nourri sa haine des Clans. Oui, Goémon Noir était bien responsable de la mort de Buttercup, c'était bien lui qui avait soufflé cette idée à Pelage Sombre, tout simplement parce qu'il savait que Nuage de Pivoine en aurait gardé une rancune et une haine profonde contre Pelage Sombre et contre le système des Clans en général. Il voulait que Nuage de Pivoine hésite, qu'il ne le voie pas, lui, Goémon Noir, comme un traître, mais bien comme un allié qui était contre les Clans avec lui. Et tout ça avait remarquablement bien marché. Nuage de Pivoine considérait Goémon Noir comme son unique allié presque autant qu'il en avait peur, et maintenant qu'il était terrorisé à l'idée de devenir chef, il allait se tourner vers lui et implorer son aide. Comme prévu.
- Mais comment je vais f-faire... p-pour... » Balbutia Nuage de Pivoine.
- T'es dans le pétrin, mon petit, c'est vrai. » Goémon Noir sourit et s'assit comme si il voulait discuter tranquillement.
- Et c'est maintenant que tu te retrouves chef... chef de Clan à sept lunes. Tu ne t'en sortiras jamais... du moins, pas tout seul. Et encore moins à l'heure actuelle. Dis-moi... tu te sens capable de gérer la période de troubles qui se prépare ?
- Qu-quelle période d-de...
- Tss... réfléchis cinq secondes. Nous venons de mener une bataille contre le Clan de la Rivière, il y a eu des morts dans les deux camps, ça n'en restera certainement pas là. De là dire qu'une guerre se prépare, peut-être pas, mais... il y aura d'autres batailles, ça, c'est une certitude. Et je ne parlerai même pas du Clan de l'Ombre. Pour l'instant, ils sont trop faibles pour représenter une menace, et nous avons Petit Lionceau qui nous sera un otage précieux s'ils tentent quoi que ce soit, mais à la première occasion, ils se vengeront s'ils sentent que nous sommes en position de faiblesse sur eux. Et toi, Etoile de Pivoine, chef d'un Clan qui s'est mis deux Clans ennemis à dos, comment feras-tu pour gérer tout ça ?
Nuage de Pivoine ne put que murmurer d'une voix brisée :
- Je... je ne sais pas...
Goémon Noir plongea une seconde fois ses yeux dans les siens. Les prunelles noires de Goémon Noir n'étaient pas aussi dures et froides que celles de Pelage Sombre, mais elles étaient... indéchiffrables, ambiguës. Un regard qui peut tour à tour se faire cajolant ou flatteur, comme terrifiant ou glaçant.
- Je vais te dire ce qui va se passer, mon cher apprenti. Ce qui va se passer, c'est que plus tu vas multiplier les maladresses et plus tu vas montrer au Clan que tu es incapable d'être chef, plus tu vas te faire détester. Ils seront tellement perdus qu'ils seront prêts à te juger responsable de tous leurs malheurs. Quand ils auront contre eux le Clan de la Rivière et le Clan de l'Ombre, et que les morts s'accumuleront, il leur faudra un coupable. Et le coupable, ils le trouveront sans aucun mal. Ce sera le pauvre gosse maladroit et faible qui s'est retrouvé sur le promontoire par un coup du sort. Et il n'y a rien de plus dangereux au monde qu'une foule en colère, trompée, humiliée, terrifiée, qui réclame un coupable.
Nuage de Pivoine balbutia :
- Quoi ? Mais... mais... balivernes et bouillie pour les chats domestiques, mais je ne serai pas responsable...
- Très bien, tu ne seras pas responsable. Tu tâcheras d'expliquer ça à un guerrier qui aura perdu sa compagne ou son apprenti dans la guerre contre le Clan de la Rivière, qui verra que son chef ne fait qu'aggraver les choses et est incapable de mener un Clan, et qui finira par monter une rébellion contre toi. Parce que c'est ce genre de situation qui va se produire si tu gère le Clan seul. A ce moment-là, peu importera que tu ne sois qu'un enfant comme un autre qui ne pouvait évidemment pas réussir à gérer un Clan, avec ou sans guerre. Quand il leur faudra un coupable, ils te précipiteront du haut du promontoire, et peu leur importera que tu aies sept lunes ou vingt.
Goémon Noir tiqua, ce qui signifiait, chez lui, qu'il remuait l'oreille, et ajouta :
- Oh, ils ne te précipiteront pas forcément du haut du promontoire, tu sais. C'était un exemple. Si ça se trouve, ils t'égorgeront, tout simplement.
- J'ai... j'ai compris, gémit Nuage de Pivoine en baissant les yeux, j'ai compris, je t'en supplie, arrête ! Qu'est-ce que je peux faire, alors ?
La réponse de Goémon Noir tint en quatre mots :
- Prends-moi comme lieutenant.
Nuage de Pivoine écarquilla les yeux. Il commençait seulement à comprendre... à la fois indigné et impuissant, il s'exclama :
- Quoi ? Espèce de... de... (il chercha dans son répertoire d'insultes, considérablement élargi par Inigo) de connard ! (c'était fou comme il se sentait coupable de prononcer tout haut une insulte, même quand il n'y avait personne aux alentours pour lui reprocher... les vieilles habitudes de l'enfance ont la vie dure.) C'est ce que tu voulais depuis le début, hein ? Tu... tu savais bien que je n'aurai pas le choix, que je serai obligé, t-tu...
Goémon Noir eut un sourire narquois, pas le moins du monde impressionné :
- Surveille ton langage, mon cher apprenti. Le connard ici présent est ton seul allié. Tu n'as pas le choix, Nuage de Pivoine. Tous les membres du Conseils des Vieux... que dis-je, du Conseil des Vétérans seraient comme Pelage Sombre, assez contents de te voir morts.
L'expression de ses yeux changea brusquement. Il savait jouer avec ses yeux, les rendre glacials, il savait, tout comme Pelage Sombre, clouer les gens sur place d'un simple coup d'œil. Sa voix se fit plus insistante, plus dure, presque agressive :
- Alors maintenant, mon cher apprenti, tu vas sortir de cette tanière, tu vas te faire acclamer par tout le Clan et tu vas me déclarer comme ton lieutenant. Compris ?
Nuage de Pivoine émit une dernière protestation :
- Je pourrai te dénoncer, dire que c'est toi qui a tué Nuage de Feu et Pelage Sombre...
- Tu n'y gagnerais rien. Tu ne ferais que faire tuer le seul ici qui peut encore t'aider. Ne joue pas avec ma patience et sors de cette tanière.
Nuage de Pivoine avait soudain comme une envie de vomir. Tremblotant, il sortit en tenant à peine sur ses pattes.
A partir de la seconde où il posa les pattes dehors, ce fut un véritable concert d'acclamations. Tous scandaient : « ETOILE DE PIVOINE ! ETOILE DE PIVOINE ! ETOILE DE PIVOINE ! » Et lui pensait : Je vais gerber, oh, Clan des Etoiles, je sens que je vais gerber.
Goémon Noir dut presque le pousser devant le promontoire. Nuage de Pivoine grimpa dessus par réflexe, tremblant de tous ses membres. Dire qu'il détestait être le centre de l'attention...
Crotte de souris, mais je suis censé faire quoi, là ?
Et si il se jetait du haut du promontoire, tête la première ? La mort serait instantanée. Non, la foule l'aurait réceptionné. Lui qui n'avait pas du tout le vertige d'habitude se surprit à avoir la nausée du haut du promontoire. Il avait bizarrement chaud, il tremblait, il ne pouvait que bafouiller...
Si je dois prononcer un discours, je hurle. Je jure que je hurle.
A côté du promontoire, Goémon Noir jubilait. Le Clan acclamait avec une véritable ferveur leur nouveau chef. Et ce n'était pas étonnant. Le Clan du Tonnerre avait vu sa chef et le plus fidèle de ses lieutenants mourir en à peine une journée. Ils étaient perdus, ils avaient le sentiment de ne plus avoir de meneur... dans l'état de confusion où ils étaient, ils auraient pu acclamer à peu près n'importe guignol monté sur un promontoire. Il leur fallait un chef, un repère. Peu importait que le repère en question soit le fauteur de troubles qui avait mit des crottes de souris dans leur nourriture il n'y a pas si longtemps. Et, en l'occurrence, leur chef, leur repère, Etoile de Pivoine I er du nom, était blême, tremblant, et avait l'air d'être prêt à se faire dessus. Mais ça, personne ne le voyait. La foule acclamait avec autant de ferveur que de sincérité.
Goémon Noir se souvint d'un léger détail... il lui restait quelque chose à régler. Encore quelque chose d'amusant... la fille.
Comme prévu, il ne la trouva pas dans la foule. Il la trouva à l'écart, dans sa chère petite tanière, en train de trier ses plantes. Elle se concentrait sur sa tâche, mais semblait presque terrifiée. Elle fit d'abord semblant de ne pas le voir, mais elle tressaillit lorsqu'il la toucha du bout de la queue. Elle leva enfin la tête :
- G-goémon N-noir... t-tu v-viens v-voir P-Perce-N-neige... ?
Toujours la même. Incapable de dissimuler sa terreur. Il lui sourit :
- Je suppose que tu sais pourquoi je viens, non ?
Nuage de Chenille se figea. Il rit intérieurement et enroula brusquement sa queue autour de ses pattes :
- Je sais que tu sais, ma petite chenille.
Nuage de Chenille se retrouva bouche bée.
- Je... je...
Mais elle sembla retrouver un reste de courage et lança :
- Ah oui ? Et si j'allais te dénoncer, maintenant et t-tout de suite, qu'est-ce que tu ferais ?
- Très bien, va me dénoncer. Il se mit à rire. Et quand ils te demanderont des preuves, tu leur diras « Je n'ai aucune preuve, c'est simplement que j'ai des visions. » Et là, ils éclateront de rire.
- Comment tu sais que...
- Que tu as des visions ? Mais, ma petite chenille, c'est d'une évidence... Nuage de Pivoine me confiait pas mal de choses. Il m'avait déjà dit pour son ami le solitaire, alors tu penses bien qu'il m'avait dit pour toi. Et je n'ai jamais vu, de toute ma vie, une aussi mauvaise menteuse ou comédienne que toi. Si tu savais comme je l'ai lu sur ton visage...
Elle se crispa encore un peu plus. Il éclatait de rire intérieurement. Il ne résista pas à l'envie de plonger son regard dans le sien :
- Qui va te croire, ma chère petite chenille, qui ? Qui se basera sur des visions fumeuses ? Ils te prendront pour une folle, comme toujours.
Elle ne trouva plus rien à dire. Goémon Noir lui sourit, de ce même sourire dont il avait tant usé avec Perce-Neige.
- Maintenant, excuse-moi, ma petite chenille, mais je dois aller me faire acclamer comme lieutenant par mon Clan.
Et il la planta là, non sans lui avoir, au préalable, léché la joue, ce qui la crispa encore un peu plus.
Depuis un bon moment, Goémon Noir s'amusait comme un petit fou. Il n'y pouvait rien, il avait pris dix fois plus de plaisir à terroriser Nuage de Chenille qu'à plaire à Perce-Neige.
Pendant quelques secondes, avant de rejoindre la foule, Goémon Noir réfléchit. Il avait une envie un peu étrange de faire une pause, de discuter avec lui-même. Il se rappela d'une des discussions les plus importantes de sa vie, qui avait eu lieu lorsqu'il était apprenti. Et, peu à peu, une foule d'autres souvenirs l'envahirent. Il avait peut-être envie de se souvenir de tout ça à cause de son rêve, qui sait...
Pelage Sombre détestait le regard de Nuage de Goémon. Il lui disait souvent, d'ailleurs. «Ne me fais pas ton regard hargneux ». Et le Clan des Etoiles savait que Nuage de Goémon le faisait souvent, son regard noir. Depuis qu'il était apprenti, il n'avait jamais manifesté que de la haine à son égard, et à celui du Clan entier. Pelage Sombre n'avait souhaité être le mentor de ce dangereux petit fils de traître que pour le surveiller.
Un jour que Nuage de Goémon avait peut-être plus manifesté sa révolte que d'habitude, qui sait, Il ne se souvenait pas, Ciel Indigo, le deuxième vétéran le plus important du Clan après Pelage Sombre, avait soupiré de lassitude, et lui avait dit : « Nuage de Goémon, il faut que nous parlions sérieusement, tous les deux. »
Nuage de Goémon n'aimait pas cette phrase. Dans la bouche de Pelage Sombre, « il faut que nous parlions sérieusement » signifiait surtout « Je vais t'en coller une très prochainement ».
Alors, comme d'habitude, il était resté mutique et hargneux quand Ciel Indigo l'avait entraîné jusqu'à un endroit isolé et avait commencé à lui parler. Nuage de Goémon s'attendait à un sermon à la noix, mais ce n'était pas ce que Ciel Indigo avait en tête.
- Nuage de Goémon, il faut que nous parlions sérieusement à propos de tes parents.
Nuage de Goémon, d'habitude impassible, en avait presque sursauté.
- Ah oui ? » Avait-il bégayé.
Même maintenant, Goémon Noir se rappelait encore de Ciel Indigo. Ciel Indigo n'était pas comme Pelage Sombre. Effectivement, on retrouvait bien cette froideur, cette impassibilité, ce manque de compassion ou de sentiments chez lui lorsqu'il faisait son devoir. Mais, contrairement à Pelage Sombre, Ciel Indigo ne manifestait une telle froideur que lorsqu'il effectuait ses tâches de guerrier. Le reste du temps, il avait une sorte de douceur, de prévenance, qui n'appartenait qu'à lui. Ciel Indigo faisait son devoir, même quand cela lui déplaisait, sans rien remettre en cause une seule seconde, mais il restait... humain. Contrairement à Pelage Sombre, qui, lui, ne manifestait pas la moindre compassion, que ce soit le chat ou le lieutenant.
- Tu ne te souviens pas de grand-chose à propos de tes parents, n'est-ce pas ?
- Bien sûr que si ! »Avait menti Nuage de Goémon.
- Ecoute-moi bien, Nuage de Goémon... ton père s'appelait Pelage Noir, comme tu t'en souviens sans doute, mais... je dois te dire qui était ce Pelage Noir qu'au fond, tu ne connais pas. Ton père était un ambitieux. Il aimait beaucoup le pouvoir. Ta mère, quant à elle, était une jeune guerrière très talentueuse et très influençable. Ton père a réussi à la gagner à sa cause. Il voulait se trouver le plus d'alliés possibles... il lorgnait sur le promontoire. Il voulait devenir chef. Et ta mère était une jeune idéaliste qui le voyait comme un héros et un rebelle... mais ton père n'était qu'un opportuniste. Contrairement à ta mère, ses convictions n'avaient strictement rien de sincère. Sa rébellion, il ne l'a jamais montée que pour se réserver le pouvoir.
- Menteur ! Avait crié Nuage de Goémon. Vous me dites ça pour que... pour que... pour que j'aie une fausse image de lui, ou quelque chose comme ça ! Mon père valait bien mieux que vous tous !
La réponse de Ciel Indigo n'avait même pas sonné comme une provocation, simplement comme une véritable question :
- Ah oui, et qu'en sais-tu ?
Il avait poussé un soupir :
- Nuage de Goémon, je me doute que ça cadre peu avec l'image du rebelle héroïque que tu t'en faisais, mais tu idéalises quelqu'un qui n'existe pas. Ta mère, elle, était sincère. Mais je ne veux pas que tu voies ton père autrement que comme il était véritablement : un ambitieux, malin et opportuniste, qui s'est servi de son image de noble rebelle pour gagner des idéalistes sincères à sa cause. Je le connaissais, crois-moi.
Nuage de Goémon, ébranlé, avait murmuré :
- D'accord, admettons que ce soit vrai... pourquoi vous m'avez dit tout ça ?
- Parce que je ne voulais pas que tu continues à nourrir ta haine. Je crois en toi, Nuage de Goémon. Je sais que tu pourrais faire un bon guerrier. A la simple condition que tu arrêtes de te braquer contre le monde entier, tout ça pour des parents que tu as à peine connu. Il faut que tu sois dévoué au Clan du Tonnerre. Pelage Sombre n'emploie pas la bonne méthode avec toi, j'en suis certain. Il croit que te terroriser étouffera ta haine, mais je vois bien que ça ne fait que la légitimer, la faire croître... il faut que tu laisses ta haine derrière toi. Cesse de vouloir te venger, et sois un bon guerrier.
Cette discussion l'avait profondément chamboulé. Ciel Indigo était mort peu de temps après, d'une maladie mystérieuse que le guérisseur n'avait pas pu identifier, mais Goémon Noir s'était toujours rappelé de ses paroles.
Et il se les remémorait encore maintenant, à l'instant présent, alors qu'il était accoudé contre la paroi de l'antre du guérisseur, avant de venir se faire acclamer comme le nouveau lieutenant par son Clan. Il repensait à tout ça, et il se demandait pourquoi il avait fait tout ça. Son envie croissante de contrôler le Clan, son ambition... était-ce vraiment à cause de la vengeance ? Ou n'était-ce qu'un prétexte ? Il avait un peu essayé de se persuader qu'il agissait pour une vengeance légitime, pour ses parents... mais il se mentait à lui-même. Ses parents n'étaient que des fantômes, des souvenirs à demi-évaporés... ce n'était même plus pour eux qu'il agissait. Ce n'était pas pour se venger qu'il avait pris plaisir à terroriser Nuage de Chenille et Nuage de Pivoine, et bientôt, à prendre le contrôle du Clan... non, c'était pour autre chose... tout simplement parce qu'il aimait ça. Il aimait quand on l'écoutait, il aimait quand la foule l'acclamait, il aimait quand Nuage de Chenille dissimulait sa terreur devant lui...
Mais, malgré tout, une sorte de vengeance l'animait encore. Pas pour ses parents, non... pour lui. Pour se venger de Pelage Sombre, et de tout le Clan qu'il estimait également responsable de son enfance gâchée...
A partir du moment où ses parents étaient morts, une partie de lui-même était morte aussi. Et elle n'était toujours pas revenue.
Voilà tout ce que se disait Goémon Noir, peu de temps avant d'aller se faire acclamer par son Clan. Puis, il se rendit compte qu'il avait laissé dériver ses pensées trop longtemps et rejoignit la foule. Juste à temps pour la nomination du lieutenant.
Restée seule dans la tanière, Nuage de Chenille resta quelques secondes clouée de terreur sur place. Et puis, elle s'essuya la joue le plus fort qu'elle put.
Elle vit Brin d'Herbe entrer dans la tanière, son éternel gibier à la gueule. Lui, ce gros lard imbécile, il ne changeait pas, pensait-elle. Pas le moins du monde affecté par la situation. « Pas de culpabilité, pas de problèmes. »
- T'es amoureuse de ce Goémon Noir aussi, ou quoi ? » Lui demanda-il d'un ton brusque, plus brusque que d'habitude.
Sursautant presque à cette pensée, elle bafouilla :
- Moi ? De lui ? Mais...
- Tu es rouge comme une pivoine et tu trembles à chaque fois qu'il est dans les parages.
Oui, c'était la vérité, mais en l'occurrence, ça n'avait rien d'un amour fou : c'était de la terreur, tout simplement.
Elle tenta tant bien que mal de prendre un ton naturel quand elle demanda à Brin d'Herbe, prenant un prétexte pour changer de sujet :
- Tu... tu penses que Perce-Neige se réveillera, avant de mourir ? Enfin, si vraiment elle doit mourir...
Brin d'Herbe grogna, d'un ton beaucoup plus renfrogné que par rapport à d'habitude :
- Je sais pas. Et j'espère qu'elle ne se réveillera pas. Qu'elle mourra sans rien dire. Il n'y a rien de pire que d'entendre les dernières paroles des morts.
Brin d'Herbe eut un rire sombre et sans joie :
- Tu veux que je te dise, ma petite chenille ? J'en ai entendu, des dernières paroles. Je crois même que je n'ai fait que ça. Je les ai entendues, les dernières confessions des mourants, tout ce qu'ils avaient à me dire. Et il n'y a rien de pire, rien du tout.
Il ne mordit même pas dans sa souris. Son ton était devenu froid, dur, cassant, un ton qu'elle ne lui connaissait pas :
- Je vais te dire, ma petite chenille... tu sais la seule chose qui pousse encore les gens à croire au Clan des Etoiles ? C'est la peur. Tout simplement. Tu crois réellement à la dévotion et à la foi sincère des chats de Clan ? Laisse-moi rire.
Il n'avait pourtant absolument pas l'air de vouloir rire.
- J'ai entendu tout ce que les mourants avaient à me dire, tout. Mêmes les plus courageux, ils étaient paralysés par la trouille à l'idée de mourir. Ils me disaient tout, absolument tout, toutes les fautes qu'ils avaient commises durant leur vie, en pleurnichant qu'ils le regrettaient. Balivernes et bouillie pour les chats domestiques, comme dit si bien notre nouveau chef ! Ils ne regrettaient rien. Je sais très bien ce qui les terrifiait tant, tous ces imbéciles. C'était d'aller à la Forêt Sombre. Ils en avaient tellement peur, tous autant qu'ils étaient, de cette foutue forêt... pourquoi crois-tu qu'ils auraient avoué leurs erreurs en chouinant, sinon ? Parce qu'ils les regrettaient sincèrement ? Non, tu parles. Je pourrais te révéler des choses dont tu n'as même pas idée, fillette. Des choses qui concernent des guerriers respectés et respectables, admirés de tous, des gens au-dessus de tout reproche, de tout soupçon... ils ne valaient pas mieux que les autres. Même les enfants, ces diamants d'innocence... tu parles ! Les enfants sont vicieux. Si tu savais tout ce que j'ai entendu, tout ce qu'on m'a avoué, tous les secrets que j'ai dû garder... je ne te parlerai même pas du guerrier respecté qui m'a avoué avoir tué sa compagne d'un autre Clan quand il a appris sa grossesse pour ne pas salir son honneur... je ne te parlerai pas non plus de cet autre guerrier qui a tué son rival en glissant des baies empoisonnées dans sa nourriture... et je ne mentionnerai pas le gamin qui a poussé à l'eau un de ses petits camarades, « pour jouer », et puis qui a paniqué et qui s'est enfui lorsqu'il a vu qu'il se noyait... et encore, ce ne sont même pas les pires choses que j'ai pu entendre, loin, très loin de là. Les mourants ont tellement peur de la Forêt Sombre qu'ils sont prêts à pleurnicher qu'ils regrettent, ces hypocrites ! Clan des Etoiles, Forêt Sombre... tu parles. Il n'y a aucune différence, les membres du Clan des Etoiles savent simplement mieux soigner leur façade, c'est tout. Ils valent pas mieux que les autres, ces petits saints, tu peux me croire ! Les gens ne valent pas mieux les uns que les autres, et je ne prétends pas être meilleur.
Il finit par cracher :
- Tu veux que je te dise ? J'espère qu'ils ont tous fini à la Forêt Sombre, tous. Le monde se divise en deux catégories : ceux qui croient à l'existence du Clan des Etoiles et à leurs bienfaits, et ceux qui croient à l'existence du Clan des Etoiles tout court.
Et, sans un mot de plus, il se jeta sur sa précieuse souris et l'engloutit avec encore plus de voracité que d'habitude.
Nuage de Chenille ne dit rien. Il y a des choses qu'on dit sans espérer de réponses.
Sans un mot, elle sortit dehors.
L'aube se levait sur le camp. Le ciel était bleu et sans nuages, la foule en délire acclamait son nouveau chef... et son nouveau lieutenant. Un magnifique tableau. A première vue, rien d'anormal. Prise hors contexte, cette fin aurait pu paraître une heureuse fin. Mais Nuage de Chenille, elle, savait à quel point cette fin n'avait rien d'heureuse.
Elle savait que le pouvoir revenait maintenant à Goémon Noir.
FIN(de la première partie)
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Fanfic La Guerre des Clans - Balivernes et Bouillie pour les Chats Domestiques
Fiksi PenggemarA la mort d'Étoile de Feu, la forêt entière fut en deuil de ce héros. Son courage, sa force... y aurait-il jamais de nouveau un chef de cette trempe ? Le Clan du Tonnerre décida alors de quelque chose. Fini, les lieutenants qui devenaient chef. Déso...