Chapitre 8 : Nuage de Fraise

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La semaine qui suivit la Chute du Clan du Vent, Étoile du Tigre la passa presque entièrement dans la pouponnière.
C'est fou comme les enfants apaisent. Avant, il adorait blottir Petit Lionceau tout contre lui, sentir son court pelage contre le sien. Maintenant, il faisait la même chose avec Petite Colombe.
La petite chatonne du Clan du Vent avait été complètement sous le choc. Au début, elle n'avait pas parlé et était restée complètement muette. Quand on lui avait demandé son nom, elle avait répondu :
- J'sais pas... j'sais plus.
La seule chose qu'on avait pu tirer d'elle. Elle n'avait jamais réclamé sa mère ou son père. Soit elle les avait déjà oublié, après tout, elle n'avait que trois semaines, soit elle avait compris qu'ils ne reviendraient jamais, mais en tout cas, elle était restée muette, sans même pleurer, complètement sous le choc. Et, comme d'habitude, quand on lui demandait son nom, elle disait :
- Je ne sais plus.
Ou plutôt, soyons juste :
- Chaiplus.
Étoile du Tigre pouvait passer des heures à côté d'elle. Cette petite l'apaisait. Pendant qu'il tentait de l'apprivoiser, la traitant avec une infinie douceur, il oubliait tout. Il oubliait la révolte qui grondait, il oubliait le sang qu'il avait sur les pattes, il ne voyait plus que son joli petit museau rose et son pelage blanc qui sentait bon l'odeur douce et laiteuse de la pouponnière. Il lui parlait tout doucement, jouait avec elle, tentait peu à peu de l'apprivoiser, retrouvant ce plaisir qu'il avait éprouvé auprès de Petit Lionceau. Et le premier mot qu'elle prononça, mis à part son légendaire "chaiplus", lui fut adressé. C'était :
- Papa.
Il avait manqué fondre de bonheur devant ces deux pauvres syllabes. Et c'est là qu'il lui avait trouvé son nom. Petite Colombe, comme l'apprentie qu'il avait tuée. Même si ce simple nom lui rappelait un souvenir douloureux, il trouvait ça juste de faire vivre Nuage de Colombe à travers cette petite. Il se sentait responsable d'elle. Je ne vais pas vous mentir, chers amis, sa culpabilité y était pour beaucoup là-dedans. Mais, quoi qu'il en soit, Petite Colombe fut la deuxième personne après Petit Lionceau qu'Étoile du Tigre put enfin aimer de toutes ses forces.
Après la Chute du Clan du Vent, il avait d'abord perdu toute envie de se battre pour son Clan ou pour empêcher Pépin de Citrouille de mener sa petite révolte. Mais, à sa grande surprise, Petite Colombe était entrée dans sa vie juste à temps pour lui redonner un but, quelqu'un à aimer, à protéger.
Mais, hélas, ce qui devait arriver arriva. La révolte qui menaçait d'exploser depuis si longtemps parmi les chats du Clan de l'Ombre finit par se produire pour de bon.
Un jour qu'il faisait enfin explorer le camp à Petite Colombe, l'accompagnant un pas après l'autre, il entendit la voix de Pépin de Citrouille derrière lui.
- Cette petite vient du Clan du Vent, n'est-ce pas ?
Son ton était agressif. Il cherchait ouvertement le conflit. Rien qu'à l'intonation de sa voix, Étoile du Tigre comprit que c'était fichu pour lui. Lorsqu'il se retourna, il vit que Pépin de Citrouille était entouré de plusieurs guerriers qui s'approchaient dangereusement de lui, non, qui l'encerclaient, même.
- Oui. Répondit-il, d'une voix qu'il tâchait de garder calme, tout en reculant avec Petite Colombe jusqu'à la barrière de ronces.
Mais les deux gardes à l'entrée du camp lui bloquèrent la route à son tour. Il était cerné de tous les côtés.
- Ah oui, vraiment ? siffla Pépin de Citrouille. Tu vois, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, on n'approuve pas vraiment que tu aies gardé une ennemie en vie.
Cette fois, il avait sorti ses griffes. Étoile du Tigre déglutit.
- En fait, plus personne ne veut de toi comme notre chef. " conclut Pépin de Citrouille, se rapprochant de plus en plus, jusqu'à se retrouver truffe à truffe avec lui.
Étoile du Tigre regarda brièvement derrière lui, où il était cerné, puis sur les côtés et devant lui, où il était cerné aussi, et puis il évalua ses chances.
Foutu.
- Ah, parce que ça a un jour été le cas ? lança-t-il, gagnant du temps comme il pouvait. Vous ne m'avez jamais accepté. Pour vous, je n'ai jamais été que le rejeton indigne du grrrand, du sublime Étoile de Lynx.
Il continuait sur sa lancée, se découvrant un ressentiment, une colère et une haine qui l'effrayaient lui-même.
- Je n'ai jamais voulu être votre chef. Jamais. Vous êtes juste une bande de barbares qui ne respectent que la violence. Pas un seul d'entre vous n'a cillé un instant au moment d'égorger tous les chats du Clan du Vent.
- Mais quel hypocrite, celui-là, ricana Plume d'Aigle, c'était bien le premier à tuer des chats sans être regardant, le jour de la Chute du Clan du Vent ! De toute façon, tu n'as toujours été qu'un faiblard au coeur tendre.
- Et vous, une bande de sac à puces qui ne respectez les chefs que quand ils vous traitent comme de la merde !
Pépin de Citrouille, devenant écarlate sous son pelage, grogna :
- Bon, assez plaisanté. Tuez-le.
Et il hésita une fraction de seconde avant de rajouter :
- Et la gamine aussi.
Étoile du Tigre réagit en une fraction de seconde. Il se rua sur le garde qui était derrière lui et le bouscula. Petite Colombe, par chance, eut le réflexe de s'enfuir, lui filant littéralement entre les pattes, et se mit à courir hors du camp, tremblante de peur. Étoile du Tigre griffa l'épaule du garde et, sans perdre de temps à tenter d'affronter ses ennemis, il se mit à courir hors du camp, rattrapant sans aucun mal Petite Colombe, la mettant dans sa gueule, et se mettant à courir comme jamais.
- Ra-tra-ppez-LE ! " hurlèrent à l'unisson plusieurs voix derrière lui.
Il courut encore plus vite que le jour de la Chute du Clan du Vent, encore plus vite que quand ses frères l'avaient poursuivi pour lui filer une raclée, encore plus vite que n'importe quel jour de sa vie. Pendant qu'il courait à s'en rompre les pattes, il ne pouvait pas s'empêcher de penser à quel point son père l'avait toujours méprisé parce qu'il était petit, maigre, léger et rapide. Pour lui, la rapidité ne valait rien, seule la force brut comptait. Mais la rapidité, Étoile du Tigre en avait vu les avantages toute sa vie. Quand on grandit avec cinq frères qui sont tous plus grands, plus forts et plus colériques les uns que les autres, savoir courir vite est une question de survie. Ses pattes ne l'avaient jamais trahi jusqu'à maintenant. Oh, évidemment, les fois où ses frères avaient réussi à l'attraper, ils n'avaient jamais eu aucun mal à lui faire regretter d'être né... mais avant ça, il avait d'abord fallu qu'ils aient réussi à l'attraper. Et ça, ça ne leur était pas arrivé souvent. Sauf que là, l'enjeu était bien plus fort que les fois où il courait pour échapper à ses frères. Étoile du Tigre entendait encore ses poursuivants derrière lui. Si ils l'attrapaient, ils le tuaient... mais d'abord, ils devaient l'attraper. Et ça, personne n'avait jamais réussi.
Il crut d'abord qu'ils n'allaient jamais renoncer, mais, peu à peu, ses poursuivants s'usaient. Ils n'avaient pas ses pattes aussi rapides. Enfin, il sentit qu'ils ralentissaient derrière eux. Lui continua à courir de toutes ses forces jusqu'à la frontière avec le Clan du Tonnerre et jusqu'à ce qu'il entende la voix d'un des guerriers de son Clan :
- Ne reviens plus jamais !
- Comptez sur moi, bande de crottes de renards !
Et il disait vrai. Il n'avait aucune intention de tenter quoi que ce soit pour récupérer son Clan. Il n'était attiré ni par le pouvoir, ni par l'envie de prouver sa valeur, il n'avait même pas de proche qui le retenait là-bas... rien. C'était sa délivrance, son occasion de fuir, de tout recommencer, d'oublier ce Clan qui ne l'avait jamais estimé et qu'il détestait... il ne ressentait même aucune culpabilité d'avoir abandonné son Clan. Ils l'avaient chassé en premier. Et surtout, il n'avait jamais considéré que c'était son Clan. En fait, il ressentait même comme une sorte de vengeance envers son vieil imbécile de père. Lui qui tenait absolument à ce que la lignée d'Étoile du Tigre (petit-fils du célèbre traître qui s'appelait lui aussi Étoile du Tigre) règne toujours sur le Clan de l'Ombre... désolé, père, je crois qu'avec mon départ, je viens définitivement d'éteindre la lignée. Pas trop vexé, hein, vieil imbécile ?
Il lâcha enfin Petite Colombe sur le sol. Elle tremblait encore.
- Ils vont plus nous rattraper, hein ? gémit-elle.
- Non, ne t'en fais pas. Tout va bien.
Il regarda autour de lui. Il était sur la lande du Clan du Tonnerre, qui appartenait encore au Clan du Vent il y avait peu. Il laissa à Petite Colombe le temps de souffler et lui dit d'une voix un peu blanche :
- Il va falloir qu'on marche encore un peu. On n'a pas le droit d'être ici.
- Pourquoi ?
- Je t'expliquerai.
- Où on va ?
- Tu verras.
En vérité, il n'en avait aucune idée. Il reprit Petite Colombe dans sa gueule et poursuivit son chemin le plus vite possible.

Fanfic La Guerre des Clans - Balivernes et Bouillie pour les Chats DomestiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant