Une photo, une stupide photo abîmée. Apparente innocence du papier glacé, vestige de sourires oubliés. Une photo, il avait fallu qu'il y ait une photo. Quel genre d'idiot garde une photo de choses qu'il faut oublier ? Il y a bien trop de symboles dans une photo. Quand les gens sont encore là, on les regarde avec le sourire, se moquant parfois du ridicule, éprouvant quelque tendresse pour un autre moment volé à la violence de la réalité vivace. Mais quand ils sont partis, les photos prennent alors cette teinte étrange, celle du passé et de la nostalgie, une teinte qui devient peu à peu visible, l'apparence des regrets. On les regarde avec des larmes aux yeux et avec cette affreuse émotion qui serre les cœurs, et parfois même on murmure, hagard : « ça, c'était juste avant ».
Il y a trop de symboles dans les photos, trop de passé figé et pourtant enfui à jamais. Comment ne pas les haïr ? Stupides restes d'espoirs déchus, stupides souvenirs capturés, emprisonnés pour toujours dans cette froideur, cet éternel sourire sans chaleur...
Teresa Lisbon fuyait les photos, elle en avait des centaines, enfermées dans des boîtes dont elle préférait oublier les clefs. Bien sûr, elle cédait parfois à cet irréfrénable besoin de se faire du mal, encadrant un souvenir d'un chien adoré ou plaçant un vieux cadre sur une commode, un vieux cadre où ses frères et elle se voyaient encore. Elle avait besoin comme tout le monde de cette douleur teintée de la sotte sensation d'aller mieux à chaque coup d'œil. Illusion parfaite de trouver le courage dans un mensonge, dans les vestiges d'une vie brisée.
Oui, Teresa Lisbon haïssait les photos.
Et pourtant, elle tenait ce bout de papier glacé déplié dans sa main depuis dix bonnes minutes. Assise sur son divan, la porte de son bureau fermé, elle avait oublié le reste du monde. Sûrement était-elle perdue quelque part dans la photo, au côté du fantôme qui l'habitait.
C'était idiot d'avoir oublié, de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt. Les gens morts ne ressemblent jamais vraiment à leur splendeur passée, comme si le sourire figé des photos était brisé quelque part dans le processus. Un rire pouvait-il éclater en morceau comme de la glace alors qu'il avait semblé si chaleureux ? Ça expliquerait pourquoi elle n'avait pas compris plus tôt, pourquoi elle avait oublié ce sourire-là, cette journée d'avant drame... Et peut-être aurait-elle continuée longtemps à croire que cette femme était quelque part en train d'offrir un nouveau sourire ?
Stupide photo, stupide elle.
Lisbon soupira et replia la photo pour la poser sur la table basse. Elle se pencha pour poser ses coudes sur ses genoux et cacha sa tête dans ses mains. Lorsqu'elle émergea de ses songes, elle nageait en plein cauchemar et ses yeux s'embuèrent. Elle était soudain loin, dans un autre temps... Quelque part en décembre, des années plus tôt.
Le quartier était silencieux pour une fois. D'habitude animé de cris, de voitures ou de jeunes écervelés, il était aujourd'hui calme et désert. Les maisons s'alignaient sagement, plus ou moins identiques. Devant elles, les petits jardins avaient disparu sous la neige, effaçant la frontière des propriétés sans barrière. Sans doute était-ce la blancheur, la pureté de la neige, qui avait causé un tel silence. La pureté impose le respect, la beauté inspire le silence.
Puis soudain, tout bascula. La porte d'une des maisons s'ouvrit dans un bruit sonore, violent, rompant avec l'innocence du quartier. Une jeune femme brune, petite, dévala les marches du perron pour partir d'un pas agacé, rapide, sur la route.
-Teresa reviens ! hurla un jeune homme en sortant de la maison.
Il dévala les marches en courant mais le temps d'arriver sur la route enneigée et les cheveux bruns, quasi noirs, ne se distinguaient presque plus au loin, malgré la blancheur. Le jeune homme envoya voler de la neige du bout du pied dans un geste rageur, se passant les mains dans les cheveux. Il pesta à mi-voix puis rentra, jugeant sans doute que mourir de froid ne ramènerait pas Teresa Lisbon. Elle était bien trop en colère pour revenir dans l'immédiat.
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Fiksi Penggemartoujours pas de ma création toujours sur Fanfiction.net l'auteur est s-damon-s