La lettre d'Elijah

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Me revoici ! Je suis très émue de vous retrouver pour le prologue du tome 2 de ce roman que vous avez eu l'air d'adorer ! Merci encore, c'est grâce à vous si j'ai autant envie de continuer ce projet ! J'espère que ce prologue vous plaira.

"Très cher frère, très cher Taesch,

La situation a changé à la capitale depuis votre dernière venue. Cela me peine de vous le présenter ainsi mais je crains que notre Empire ne compte ses dernières heures.

Une terrible maladie touche notre capitale et nous oblige à une prudence qui vire de plus en plus à la paranoïa. Nous avons mis tout notre bon sens et notre logique, toute notre science et notre magie dans la quête d'une cure pour remédier à ce que nous appelons désormais tous l'Infection mais rien n'y fait. Elle dévore les vampires de l'intérieur et fait pourrir les humains sur pieds.

La maladie s'étend désormais des lieues en dehors de Ravenwell, gagnant chaque jour du terrain. Elle progresse vite, vie volée après vie volée. Les jours sont comptés avant qu'elle ne s'étende dans tout l'Empire et ne ravagent campagnes et duchés entiers. Nous avons mis en place des mesures d'urgence mais cela ne suffira pas à enrayer ce mal qui nous ronge. Nous sommes désemparés et toute cette situation est hors de contrôle.

Mais le plus gros de notre effroi n'est pas dû à la maladie. Les nobles grondent, rongent leur frein et prévoit un coup d'état, nous le savons de source sûre. Ils n'ont pour le moment pas le courage de s'exécuter mais qu'adviendra-t-il quand un détail, un mort de plus, les fera changer d'avis ? La solution la plus logique serait de mettre nos enfants à l'abri chez vous et de voir comment évoluera la situation. Mais nous ne pouvons pas. Rien ne nous assure qu'ils arriveraient en pleine santé et la maladie les rattraperait bien vite. Qui plus est, je ne puis imaginer ce que deviendrait l'Empire aux mains incompétentes des Kalingrad et des autres nobles assoiffés de pouvoir mais bien malhabiles au Jeu.

C'est pourquoi je vous écrit cette lettre. Je sais combien cette demande est égoïste mais nous n'avons plus d'autre solution. Vos seules présences sauraient défaire les plus sombres complots. Venez nous aider à nous sortir de ce mauvais pas, je vous en conjure. Si votre pays vous tient à cœur, revenez-nous, ne serait-ce que pour un mois ou deux, le temps que les révoltes nobles soient apaisées.

A propos de vos enfants, gardez les bien en sécurité. Lucius ne peut pas quitter le palais, pour des raisons évidentes de scandale mais Lubalai est déjà partie dans un pensionnat pour jeunes filles à Lumen et nous vous avons envoyé Alianora Fell pour une bonne raison. Nous savons la tendresse que votre famille a pour elle et sa sécurité était une condition sine qua none au soutien des Fell. Les filles profiteront de l'air pur de la nature et vous les retrouverez en pleine santé quand vous reviendrez à Irmingarde.

J'ai bien conscience de la cruauté de ma lettre et, si vous voudrez l'ignorer, je le comprendrai très bien. Je m'excuse, pour tout.

Baisers de Ravenwell,

Le vingtième jour de Juillet

L'Empereur Elijah Aesmilien Gaspard Friedrich von Dast, quatrième de son nom

***

Taesch soupira doucement en relisant la lettre. Il avait l'impression que le papier en était usé, à force de lire et relire les courbures hésitantes et les traits trop rudes qu'avaient tracé Elijah, la veille seulement. Le nouveau serviteur engagé une semaine plus tôt lui apporta une tasse d'infusion à la verveine qu'il n'avait pas demandé mais avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit, le serviteur affirma que c'était un ordre d'Yvan et qu'il avait affirmé que cela 'lui calmerait les nerfs'. Yvan pouvait être si paternaliste alors même qu'il n'avait même pas un huitième de son âge, c'en devenait fatiguant.

Il parcourut une nouvelle fois la lettre des yeux et la rangea dans son enveloppe parfaitement cachetée. Voilà presque une heure qu'il était enfermé dans son étude. Yvan avait lu la lettre, lui aussi, et en avait déduit qu'ils devraient partir au crépuscule le lendemain, quand le soleil se coucherait juste, afin d'arriver à Makaroff à la mi-journée. De là, ils n'y aurait plus qu'une journée de cheval avant d'atteindre la capitale. Mais Taesch n'était pas d'accord.

L'Infection, la fronde noble, le danger à Ravenwell, ce n'étaient pas ses foutus problèmes ! Il avait saigné, tué, combattu pour la capitale, il s'était allongé et avait serré les dents pour les Von Dast. N'y aurait-il jamais de repos, de récompense?

Après avoir attendu longtemps, il avait enfin la vie dont il avait toujours rêvé. Loin de la Cour et de son Jeu, il avait enfin la possibilité de voir grandir des enfants, de voir s'épanouir son couple dans la douceur des étés et la fraîcheur des hivers. Il avait une raison de poser les armes, de dire que ce n'était plus pour lui, qu'il avait trop donné. Parce que oui, c'était possible de trop donner. De trop saigner, de trop subir. Il pensait avoir fait sa part et il détestait Elijah pour sa lettre.

Mais il le comprenait, parce qu'il avait été à sa place. Il voyait son Empire fait de paix et de culture s'échapper, doucement, glisser entre ses doigts comme du sable fin et sec. Quelle carte devait-il jouer ? Comment devait-il réagir ? Logiquement, il aurait dû se mettre en sécurité avec sa famille mais son empire avait besoin de lui. Il était incapable de faire une progression dans un sens sans que des dizaines de gens ne lui reprochent. Il était piégé et l'étau se resserrait, de plus en plus, jusqu'à ne plus rien laisser de lui qu'un enfant apeuré.

Le motif du rideau à sa gauche changea et Taesch regarda Yvan sortir de la petite porte et se cogner la tête sur le cadre, comme à son habitude. Il en sourit alors que le généralissime se frotta le crâne en jurant. De toute évidence, il n'était pas en colère, pourtant ils s'étaient disputés à peine une heure auparavant.

"Tu n'as pas touché à la tisane."

Taesch soupira et hocha la tête. C'était une constatation plus agacée qu'inquiète ou peinée. La vie d'Yvan était faite de lignes droites et il détestait quand quelqu'un y traçait des courbes trop rondes.

"J'ai réfléchi."

Taesch était usé, au delà de toute comparaison. Usé par la vie. Mais il aimait Yvan, il aimait Elijah et il ne pouvait s'imaginer voir la vie telle qu'il la connaissait s'écrouler ainsi, aussi facilement et rapidement.

"Je pense que les petites filles modèles devraient venir avec nous. Elles risquent de faire quelque chose de stupide si nous ne gardons pas un œil sur elle."

Le cachet d'Elijah était un petit peu fondu sur le bas, Alianora avait probablement ouvert la lettre avant de faire fondre la cire pour la refermer de nouveau. Charlie et Isobel devaient déjà être au courant de son contenu et de tout ce qui se passait à Ravenwell. Elles essayeraient de s'y rendre par tous les moyens et pourraient se blesser ou se faire tuer dans l'exercice. Yvan sourit et approuva du chef avant de le relever, tirant sans douceur sur son poignet.

"Le dîner est prêt."

Taesch hocha la tête et inspira lentement. Ça y était. Sa vie avait changé.

Prochain chapitre, mercredi > The way forward is sometimes the way back.


Lady von Dast [Ruthless Ravenwell - 2] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant