Lady von Dast [Ruthless Ravenwell - 2]

05 - Special Intermission #1

TAESCH

En regardant sa fille s'éloigner avec Lucius et les autres, il soupira doucement. Ils étaient arrivés à bon port, sans rencontrer de vrai problème. Depuis qu'il avait reçu la menace de Slythe, un an et demi plus tôt, sous la forme de cette lettre qu'il avait préféré brûler, il craignait cette menace. Quand son élève choisirait de sortir de l'ombre pour attaquer, ce serait rapide et brutal. En attendant, il devait vivre avec cette anxiété.

L'Empereur le serra contre son cœur et Taesch put souffler un peu. L'homme était habillé sévèrement - une simple chemise blanche froissée, un pantalon noir rayé de blanc, sans accessoire ni bijoux - et il avait l'air de ne pas avoir beaucoup dormi ces derniers temps. Ses yeux étaient tellement cernés de noir et de violet qu'on l'aurait cru maquillé pour Samain. Luscka n'était pas dans un meilleur état.

Elijah les mena dans son bureau. C'était une pièce fort bien décorée mais très peu meublée. Un bureau imposant, trois fauteuils, un secrétaire sur lesquels on trouvait une vingtaine de livres empilés dans le désordre et un guéridon près de la fenêtre où reposaient une cruche de sang et un set de verres propres.

Il s'assit dans le fauteuil au dossier rembourré derrière le bureau et les invita à prendre place. Comme un serviteur, Luscka vint se placer debout, derrière son époux.

"Nous devons parler d'un sujet de la plus haute importance. Je sais que ce ne sont pas des manières mais si votre bonté vous a porté jusqu'à nous, j'ose penser que vous vous souciez de nos problèmes."

Taesch s'assit en face de lui et sourit doucement, comme pour le réconforter. Elijah voulait toujours se débrouiller seul, sans l'aide de personne. Il avait si peur de déranger.

"Ne crains rien, parle librement. Quel sujet donc te porte soucis ?"

Luscka semblait de plus en plus marri et il fut celui qui se rapprocha d'eux, d'un pas seulement, pour leur parler.

"Vous n'êtes pas sans connaître l'existence de l'Infection. Ni sans savoir que je suis médecin. C'est de mon corps de métier dont dépend les maladies, surtout quand elles sont si mortelles. Je travaille à l'élaboration d'un remède depuis des semaines, sans résultat. Alors, quand on m'a averti qu'un sujet infecté avait été appréhendé et maîtrisé, j'y ai vu la possibilité d'étudier un spécimen vivant et d'extraire de lui toutes les informations dont j'avais besoin. Je m'y suis rendu en toute hâte et ... il s'est passé quelque chose."

Les mains de Taesch se crispèrent sur le siège. Il savait déjà où allait finir l'histoire de Luscka, mais il espérait terriblement se tromper.

L'Imperjum remonta la manche de sa chemise lavande et dévoila un bandage serré, qu'il s'empressa de défaire. Quand il en eut fini et que son bras fut à nu, Taesch se couvrit la bouche de sa main. La peau brune de Luscka était recouverte de longues traces noires qui ressemblaient à des branchages en hiver. Elles partaient toutes d'une cicatrice qui semblait profonde et encore ouverte.

"J'ai été infecté."

***

L'eau lui fit l'effet d'une fraîcheur passagère, rien de plus. Il passa la main dans ses cheveux et déglutit doucement. Le miroir reflétait un homme anxieux, travaillé par les affaires de la Cour. Profondément marqué par la vie. Un homme qu'il n'avait pas vu depuis un an et demi. Bon sang, que lui avait-il pris de venir ici ? Il aurait dû refuser cette faveur à Yvan, le persuader d'ignorer le couple impérial. Mais, aurait-il pu encore regarder cet homme heureux qu'il était alors dans le miroir ? Rien n'était moins sûr.

"Oui, oui, j'arrangerai tout. C'est ce que je fais, non ?"

Elijah sembla déçu et confus. Comme s'il avait attendu un autre accueil pour la nouvelle. Comment pouvait-il espérer autre chose que de la colère et de l'horreur ? Luscka était un homme important mais il s'était délibérément mis en danger ! Ne pouvait-il pas envoyer quelqu'un d'autre ? Chaque année, les jeunes gens se bousculaient pour devenir un de ses apprentis. Taesch passa une main humide dans ses cheveux pour qu'ils restent en arrière.

"Sais-tu, dit-il, que j'admire ta famille ? Un fils à moitié démoniaque, un coma prolongé et maintenant un véritable infecté, à qui il ne reste pas grand chose à vivre. Quel tableau de rêve cela va donner aux générations futures. Si elles existent un jour."

Elijah fit la moue mais il ne s'énerva pas. Il ne s'énervait jamais et cela devait être un trait commun à presque tous les empereurs que Taesch avait connu et guidé. Il posa une main hésitante sur le bras de Taesch qui se détendit automatiquement. L'Empereur l'incita toujours au calme et Taesch ne pouvait s'empêcher d'être bon avec lui en retour.

"Luscka vit. Il vit encore et il a bon espoir de trouver un remède avant l'arrivée de Samain. Tout ce que nous te demandons, c'est de te débrouiller pour que cela n'envenime pas la situation. Personne ne doit savoir."

Taesch hocha la tête et se regarda de nouveau dans le miroir. Il n'y voyait aucun espoir mais c'était à lui de le créer. C'était son travail et, même s'il était un peu rouillé, il devait se débrouiller pour que rien n'y paraisse. Il hocha la tête.

"Hmm ... cela m'a l'air compliqué étant donné que l'Imperjum se ballade avec une infection grandissante en lui mais je devrais me débrouiller."

Elijah lui sourit et le remercia, demandant pardon, presque la rédemption, puis le laissa seul. Alors, lentement, le Duc regarda autour de lui. Il devait être de nouveau le Taesch Condé que tout le monde connaissant, étincelant et brillant. Convainquant, surtout. Comment persuader le monde de regarder ailleurs ? En faisant diversion, bien sûr. Les fiançailles de la jeune Fell et de Lucius devraient l'aider mais elles ne feraient pas tout.

Quand Yvan pénétra dans la chambre, Taesch avait déjà trouvé une idée qui conviendrait. Une forêt assez immense où cacher l'arbre qu'était la maladie de Luscka von Dast.

"Tu vas bien ?"

Taesch s'avança et caressa la joue de son bien aimé. Il ne l'avait jamais laissé dans le désarroi depuis qu'ils formaient un couple. Il ne s'était jamais moqué de lui. Il savait que tant qu'Yvan serait là, il serait capable de tout. Même des pires horreurs, tant que cela sauvait la mise à la famille impériale.

"Merveilleusement bien."

Prochain chapitre, dimanche > A Little Waltz