ABCD... Mystrade (OS)

Z - Zeste

Il faisait beau. Le soleil, sur ses paupières closes, traina comme une caresse. Mycroft ouvrit les yeux. Le jardin en friche vibrait de couleurs. Ni lui ni Gregory ne s'en occupait. Ils aimaient le voir grandir de lui-même, se parer de broussailles, de pâquerettes, de lavande et de boutons d'or qui laissaient dans l'air une odeur légère, juste à la lisière des sens.

La baie vitrée, grande ouverte, laissait entrer dans la cuisine la brise du dehors, accompagnée parfois d'une abeille volage. Non loin de lui, Gregory cuisinait. Les odeurs de pâte feuilletée et d'orange amère venaient se mêler à la fragrance des fleurs sauvages, formant l'indéfinissable parfum d'un moment heureux.

Les mains de l'ancien policier maniaient avec dextérité les fruits ronds, colorés, qu'il rappait en zestes.

-Ce soir, murmura Mycroft, tu sentiras l'orange.

Gregory sourit.

-Est-ce une mauvaise chose ?

-Non, répondit son mari.

Ils ne s'étaient jamais officiellement marié, dû à la position de Mycroft et à leur manque de romantisme partagé, mais y avait-il vraiment une différence ? La vie qui les avait unis s'était passé de cérémonie.

Mycroft quitta son poste d'observation pour se glisser dans le dos de Gregory. Ses mains se croisèrent sur le ventre de l'ex-policier, tandis que son menton se posait sur son épaule. Il respira avec délice les parfums mêlés : les fleurs, la pâte feuilletée, les oranges, et, plus subtil, Gregory Lestrade.

-Comment ne sommes-nous arrivés-là ? Murmura-t-il.

Gregory abandonna son orange. Sa main se posa sur la joue de Mycroft tandis qu'il se tournait légèrement pour l'embrasser.

-Qui sait, mon amour ? souffla-t-il.

-Nous avons passé les premières années de notre relation à ne nous voir qu'un mois sur deux, insista Mycroft. J'avais, au gouvernement, le poste le plus important du pays après la Reine, et toi tu n'étais qu'inspecteur... Lorsque j'y songe, Gregory, j'ai l'impression que nous n'étions pas faits l'un pour l'autre...

-Comment ça ? s'inquiéta le policier.

-Nous n'aurions pas dû nous rencontrer, expliqua Mycroft. S'il existe des mondes parallèles, dans un milliard d'entre eux, nous ne nous sommes jamais vu.

-J'aurais été malheureux dans un milliard d'entre eux ? J'ai bien choisi mon monde, alors, s'amusa Gregory.

Mycroft sourit avant de continuer.

-Même notre relation, je ne comprends pas ce qui l'a fait durer. Toi si francs, si gentils et ouvert, moi froid comme la glace, cassant et absent. Les trois quarts de nos rendez-vous annulés au dernier moment, pour un meurtre commis dans Londres ou un attentat à venir. Nous n'avons jamais habité ensemble, Gregory, avant ici.

-Tu oublies quelque chose, intervint l'ancien policier. Nous nous aimons. Nous nous sommes toujours aimé.

-En effet, convint le politicien révolu. En effet...

Il embrassa la peau de son cou et Greg rit de se sentir ainsi chatouillé.

-Dans tous ces autres mondes, reprit Mycroft, je n'aurais jamais pris ma retraite. Je serais mort à mon bureau, vieux, gâteau, ridé. Ou je me serais...

Il ne finit pas sa phrase, conscient du spectre tourmenté qui venait de s'insinuer à la limite de leur champ de vision. Dépression.

-Moi, le contredit Gregory, je suis certain que s'il existe un millier de mondes où ne nous somme pas rencontré, il en existe bien plus encore où nous nous sommes aimés. Si rien n'est écrit pour nous deux, si nous n'étions pas destinés, alors, imagine, My, tout est possible ! Nous nous sommes rencontré des centaines de fois et sommes tombés amoureux de mille manières différentes. Si ça se trouve, dans un de ces mondes, Sherlock fut enfin le pirate qu'il voulait être, t'entrainant avec !

Mycroft lâcha un petit rire, dérangeant les cheveux argentés de son mari.

-Et dans tous ces mondes où je t'ai aimé, Mycroft, je n'ai jamais rien regretté.

Cette fois, il se retourna franchement et ils s'embrassèrent, mêlant aux parfums de l'été le goût de leurs lèvres jointes.

-Orange, murmura Mycroft en se séparant de lui. Comme je l'avais dit.

Gregory sourit et retourna à son ouvrage, tandis que Mycroft reprenait sa position, collé à son dos.

-Qu'est-ce que tu fais ? Demanda-t-il en le voyant rapper une orange. Ne serait-ce pas plus simple de l'éplucher ?

-Tu n'y connais rien en cuisine, mon amour, s'amusa Greg. Le zeste et la partie la plus parfumé de l'agrume, c'est ce qui l'englobe et lui donne une si belle couleur.

Ils restèrent un instant silencieux, enlacés, à simplement goûter ces instants volés à la vie, ces instants de bonheurs qui vous font dire, lorsque tout est fini, que vous avez vécu. Car tout serait fini, un jour. Pourtant, j'espère que ces autres mondes existent, My, et que je continuerais de te faire l'amour jusqu'à la fin des temps.

-Tu sais, souffla Greg, tout doucement. Je crois que la tendresse est le zeste de l'amour.

Il laissa tomber sa préparation, embrassa Mycroft et l'emmena dans le jardin, parmi les fleurs sauvages, sur l'herbe douce, épaisse, qui s'aplatit pour leur faire un lit.