Des volutes de vapeur s'échappent de ma bouche alors que je souffle bruyamment, incapable de remettre la main sur les clés qui doivent pourtant trainer au fond de mon sac.
- Vous voulez entrer ?
Je lève la tête vers la mamie qui sort justement de l'immeuble.
- Oh oui, merci, dis-je avec un immense sourire.
Cela ne résout peut-être pas mon problème, mais je m'engouffre avec bonheur à l'intérieur de l'immeuble, mes doigts gelés à force d'avoir tenu mon maudit tiramisu à bout de bras. En passant devant les boîtes aux lettres, je me fais la réflexion que cela fait près d'une semaine que je n'ai pas vérifié mon courrier. Puis je me souviens. Je me souviens que personne ne m'écrit ici. Alors je me dirige vers l'ascenseur, rejoins le troisième étage. Une fois arrivée en haut, je dépose mes affaires sur la petite armoire à chaussures laissée dans le couloir par les anciens occupants, m'accroupis, toujours à la recherche de mes clés. Sauf que j'ai beau chercher, je ne les trouve nulle part. Même lorsque je renverse mon sac sur le paillasson, elles demeurent introuvables. Dans ma tête je me refais alors le film de la journée, en espérant ainsi me souvenir de l'endroit où j'aurais bien pu les égarer. C'est seulement là que je réalise. Je réalise que j'ai laissé mes clés à l'intérieur ce matin, trop occupée au téléphone avec ma mère.
- Merde.
De rage, je fourre les affaires éparpillées autour de moi dans mon sac puis me laisse retomber sur le tapis. J'ai envie de pleurer. Non pas que ce soit grave. C'est juste que cette journée est en train de se transformer en véritable calvaire et je ne sais même pas par où commencer pour rectifier le tir. Sans même vraiment réfléchir à ce que je fais, je sors mon téléphone, compose le numéro de la maison :
- Allo maman ?
- Audrey. Je suis contente de t'entendre. Pour ce matin, je voulais te dire que j'étais désolée.
- Je sais. Moi aussi. Maman ? J'ai oublié mes clés à l'intérieur de l'appartement.
Je ne sais même pas pourquoi je lui raconte ça. Comme si, de là où elle se trouvait, elle pouvait m'aider. La réalité, c'est juste que ça me fait du bien d'en parler.
- Mince. Est-ce que tu as appelé un serrurier ? Tu veux que je m'en occupes ? Je peux peut-être appeler l'assistance de ta carte banc...
- Ça va aller, je la coupe. J'avais juste besoin d'entendre ta voix.
- Dure journée ? demande ma mère d'une voix plus douce.
Et je me rends compte que ce soir, je donnerais à peu près n'importe quoi pour être avec elle. Pour être à la maison et non pas seule, ici, dans un pays étranger.
- Mon tiramisu ressemble à de la bouillie.
- Oh.
Elle ne se moque pas. Même si c'est ridicule, elle ne rit pas.
- Et tout le monde n'arrête pas plaisanter avec ça.
J'imagine ma mère en train de grimacer de l'autre côté. En train de triturer ses doigts vernis à la recherche de quelque chose à dire pour me soulager.
- Tu l'as goûté ? Peut-être qu'il est délicieux ?
- Je suis coincée dehors, je lui rappelle au moment même où je commence à envisager que je pourrais goûter avec le doigt.
- Je suis vraiment désolée ma chérie. (Le silence se fait, pendant lequel je n'entends plus que le son de la télévision chez mes voisins de palier.) Est-ce que tu veux que je regarde pour les coordonnées d'un serrurier ?
- C'est gentil mais ça va aller, je répète.
Plutôt pour essayer de me convaincre que parce que j'y crois réellement. Une fois que nous avons raccroché, j'ouvre une page internet sur mon smartphone, me mets en quête d'un réparateur qui pourrait intervenir rapidement.
"Vous êtes sur liste d'attente" me répond le premier. "Je peux vous proposer de vous rappeler d'ici une heure, pour voir si vous n'avez pas trouvé d'autre solution d'ici là" me répond le suivant. Si bien qu'au bout du cinquième je me résous à frapper à la porte voisine, pour ne pas passer la soirée dans le couloir.
- Excusez-moi, je...
Les mots meurent sur mes lèvres lorsque je reconnais mon voisin. James. Le jeune homme du bar. J'ouvre la bouche pour parler avant de me raviser. Au lieu de ça, je cligne plusieurs fois des yeux en me demandant si je ne rêve pas. Si ce n'est pas juste mon esprit qui aurait créé une espèce d'hologramme. "Audrey" je me sermonne en prenant conscience que je divague complètement. Mais en même temps, combien y avait-il de chances qu'il habite dans le même immeuble que moi ? Sur le même palier ? Aucune, non ?
- Je suis désolée de vous... De te déranger. Je suis la voisine, dis-je en désignant la porte d'à côté. J'ai oublié mes clés à l'intérieur et le seul serrurier qui pourrait intervenir ne peut pas le faire avant une bonne heure au moins.
J'ai débité ça d'une traite. Comme si je devais me justifier et prouver que c'est un pur hasard si je frappe à sa porte ce soir.
- Tu veux entrer en attendant ?
- Je... Non, ça ira, c'est gentil.
Il lève un sourcil étonné, me dévisage en se demandant certainement ce que j'attends de lui dans ce cas.
Je pourrais lui dire la vérité : que le découvrir ici m'a fait perdre le fil de mes pensées. Mais j'ai peur qu'il me prenne pour la dernière des cruches alors qu'il m'a déjà fait comprendre qu'il n'était pas du genre loquace.
- Si tu peux simplement mettre ça au frigo, je réponds à la place. Il y a des œufs crus dedans et... Enfin bref, dis-je en haussant les épaules.
Contre toute attente, il explose de rire. Certainement à cause de la seule excuse -certes pitoyable- que j'ai trouvée. À moins que ce ne soit parce qu'il trouve ridicule que je cherche à sauver un tiramisu qui n'a de ça que le nom.
- Pardon.
Il a le bon goût de s'excuser en voyant que, de mon côté, je n'ai pas franchement envie de rire.
- C'est un tiramisu, au cas où tu te poserais la question, je marmonne.
- Merci mais j'avais remarqué, me dit-il avec un sourire.
Un sourire qui fait naître une minuscule fossette sur sa joue gauche. D'un seul coup, c'est comme si toute ma colère s'évanouissait.
- Toute la journée, j'ai entendu des blagues sur ce... truc, je me justifie.
- Ah.
Il n'ajoute rien. Sûrement pour me laisser le choix de poursuivre ou non mon explication. Il tend simplement les mains et je lui abandonne mon plat.
- On pourrait discuter à l'intérieur ? propose-t-il.
Je tourne ma tête à droite puis à gauche, réalisant que je suis toujours sur le palier. Et que si je ne bouge pas, c'est la soirée que je vais y passer.
- Je... Ouais.
Il s'écarte pour me laisser entrer. Je fais trois pas avant de m'interrompre.
- Je suis désolée de débarquer comme ça. Et pour la dernière fois je...
- Je ne suis pas toujours très sociable, me coupe-t-il et je me demande si je dois prendre cette explication pour des excuses.
- D'accord, je me contente de répondre.
Je lui emboîte ensuite le pas jusqu'au salon.
- C'est marrant, ça ressemble beaucoup à mon appartement.
Effectivement, la pièce à vivre. est quasiment une réplique de la mienne. Même canapé ocre, même table basse. Il n'y a que la télé qui semble plus grande ici, mais c'est peut-être mon imagination qui me joue des tours.
- Je vais mettre ça au frais.
James disparaît aussitôt dans la cuisine et j'en profite pour parcourir la pièce du regard. Aucun tableau. Aucune photo. Rien. Juste un cadre en bois clair avec une médaille à l'intérieur.
- Tu veux boire quelques chose ?
- Non merci.
Je n'écoute plus que d'une oreille, trop occupée à essayer de comprendre ce que signifie cette distinction.
- Un verre d'eau ?
- Oui, un verre d'eau, je réponds machinalement.
VOUS LISEZ
Protection rapprochée
RomanceAudrey "La fille de". Voilà à quoi se résume ma vie depuis 21 ans. Et voilà pourquoi j'ai décidé de m'accorder six mois en Europe, le temps de faire le point sur cette existence que je subis, à défaut de la vivre. James DSS. Trois lettres que je vou...