4. James - Promesse d'embauche

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Au lieu de répondre, je sors les feuillets froissés de ma poche, les étale sur la table.
- Tu cherches dans quoi ? me demande Lana.
- Sécurité privée ou un truc du genre.
Je reste volontairement vague mais ça ne semble pas la gêner. Elle attrape la première feuille qui lui passe sous la main, la lit avec attention. Au fur et à mesure, ses yeux s'agrandissent.
- La vache ! C'est le double de mon salaire ici !
Elle se tourne vers mon ami, plante un index dans son torse et s'esclaffe :
- Il va falloir qu'on discute toi et moi !
Ni une, ni deux, il la hisse sur ses genoux, chuchote à son oreille que c'est quand elle veut.
- Sérieux, Liam, je grogne.
Lana, elle, grimace, terriblement gênée. Elle s'écarte même pour poursuivre sa lecture.
- Plus une prime de huit mille dollars à la fin. Waouh ! Huit mille dollars ? Bon sang !
Cette fois, c'est à peine si Liam ne lui arrache pas le papier des mains.
- Ça veut dire quoi "vous devrez, de façon discrète, assurer la surveillance rapprochée de l'un des proches de votre client" ? demande-t-il une fois qu'il a parcouru l'annonce à son tour. Ça a l'air bizarre ton truc, non ?
- Si ça se trouve, c'est un job de "testeur de fidélité", renchérit Lana. J'ai lu un livre une fois là-dessus et la nana...
Je décroche tandis qu'elle récite le résumé du livre en question.
- Et quelles sont tes chances ? finit par demander Liam.
Je cligne des yeux sans comprendre :
- Mes chances de quoi ?
- D'obtenir le job !
Pour lui, ça semble évident que je vais tout faire pour l'avoir.
- Je ne sais pas si je vais répondre.
Cette fois, Liam et Lana échangent un regard effaré.
- Tu ne sais pas si tu vas y répondre ?
- Je...
- James, putain. En six mois là-bas tu peux toucher plus qu'en un an et demi ici ! Sans compter les billets d'avion, l'appart et tout le reste.
- Tu sais que c'est compliqué...
Liam pose sa main sur la mienne :
- La vie de façon générale est compliquée.
- Eh bien, je crois que je vais vous laisser, intervient Lana après avoir jeté un œil sur sa montre.
Sans attendre notre réponse elle se lève et, même si la boutique est déserte, rejoint la caisse. Dès qu'il est sûr qu'elle n'est plus à portée de voix, Liam attaque à nouveau :
- Jouer le baby-sitter d'un gosse de riche ou épier une femme volage, ce n'est pas comme surveiller l'Ambassade américaine à Bagdad, fait-il très justement remarquer.
- Ouais.
J'ai beau savoir tout ça, j'ai cette impression, qui ne me quittera certainement jamais, d'avoir laissé une part de moi en Irak. Cette part d'insouciance que j'avais quand je suis parti d'ici et que j'ai perdu là-bas. Ce sentiment de n'avoir pas su protéger ceux que nous avions pourtant pour mission d'aider.
Pire encore, ce sentiment de culpabilité parce que, moi, je m'en suis sorti. Parce qu'on m'a sorti de cet enfer.
— James ?
Sa voix me parvient de loin.
— James ? Est-ce que ça va ?
J'inspire brusquement, jusqu'à sentir mon torse se remplir d'air. Ces derniers temps, à chaque fois que je me retrouve enfermé dans mes souvenirs, le retour à la réalité me semble plus violent. J'en viens à me demander si je finirai par oublier. Ou du moins à vivre avec sans que la culpabilité ne m'écrase.
- Jam...
- Ça va, je le rassure.
Ou du moins j'essaye de le faire, parce que mon ami n'est pas dupe. Il sait très bien quand je mens. Pourtant, au lieu de me contredire, il ébauche un sourire indulgent :
- Ça te ferait du bien de changer d'air.
Il a certainement raison.
- Réponds à cette annonce, tu veux ? Et alors, ta soirée de demain est pour moi, ajoute-t-il en mimant un verre qu'on avalerait d'une traite.

***

- Encore ? grimace Liam.
J'en suis à ma quatrième - ou peut-être cinquième - bière depuis que je suis arrivé, il y a de ça une heure et demi maintenant.
- Tu regrettes ta proposition d'hier ? je le taquine.
L'alcool a au moins le don d'adoucir un peu mes problèmes. Je sais que ce n'est pas la solution, pire c'est même carrément nul, mais ce soir ça me fait un bien fou de penser à autre chose.
Mon ami secoue la tête avant d'éclater de rire :
- Pas le moins du monde. Je n'ai juste pas envie que tu vomisses sur mes chaussures.
- Aucun risque.
Et c'est vrai, je connais trop bien mes limites pour en arriver à ce stade-là. Je sais m'arrêter quand je suis "juste" gai.
- En tout cas, je suis content que tu aies répondu à cette annonce.
- Je n'allais pas rater une soirée rincée par mon meilleur ami, je fais mine de plaisanter.

***

- Monsieur Garner?
Je lève les yeux vers l'homme qui se tient devant moi. Avec ses cheveux poivre et sel et son polo de golf, j'ai du mal à croire qu'il s'agisse du même homme que sur les photos glanées sur internet.
- Sénateur Evans, dis-je en lui tendant la main.
- Thomas Evans, corrige-t-il avant de désigner la banquette face à moi.
- Je peux ?
- Je vous en prie.
Sans me quitter du regard, il s'assied. Je connais ce genre de technique pour l'avoir moi-même pratiqué : il veut savoir si je vais baisser la tête en premier. Si je suis mal à l'aise. Mais même si c'était le cas, je me contenterais de m'appuyer sur le cuir derrière moi en esquissant un sourire comme je le fais maintenant.
- Voici ma fille, Audrey.
Le sénateur ne s'encombre pas de préliminaires. Il fait glisser vers moi la photo d'une jeune femme d'une vingtaine d'années. Brune, les yeux noisette, on la voit rire en tentant de garder dans ses bras un jeune chiot.
- Elle souhaite passer six mois, peut-être un an, en Europe.
Je me contente de l'écouter.
- Et j'aimerais que quelqu'un veille sur elle.
- D'accord. Est-ce que vous avez une raison particulière de vouloir assurer sa protection ?
Il secoue la tête.
- Des menaces ? Un comportement à risques ?
- Non. C'est simplement que jusqu'à présent ma fille a vécu dans une espèce de cage dorée.
- Aucune menace ? j'insiste.
Parce que je préfère savoir où je mets les pieds.
- Aucune. La vie d'Audrey est en permanence décortiquée par les tabloïds mais ça s'arrête là.
- Très bien. (Je m'interromps, fait tourner mon verre de vin sur la table. Puis je redresse la tête.) J'ai seulement du mal à croire que vous ayez fait le déplacement dans le Colorado pour me rencontrer.
-- James Marshall. Ancien membre du DSS. Votre supérieur ne tarit d'ailleurs pas d'éloges à votre sujet. (Il s'interrompt, fait signe au serveur d'approcher et commande la même chose que moi.) Voilà pourquoi j'ai fait le déplacement.
Je vois.
- Et jusqu'ici, poursuit-il comme si de rien n'était, ça me semble avoir été la meilleure décision que j'aie prise. Maintenant, si vous permettez, c'est à votre tour de me dire pourquoi vous êtes ici.
- L'agence pour l'emploi pense que j'ai le profil.
— Et pas vous ?
Cet homme me ressemble davantage qu'on pourrait le croire à première vue. Observateur, calme et surtout direct.
- Disons que je n'avais pas envisagé de surveiller les moindres faits et gestes d'une étudiante.
Autant jouer carte sur table.
- Pas assez palpitant ? plaisante-t-il.
- Je ne cherche plus le palpitant, je me contente de répondre.
Parce que le palpitant peut rapidement virer à l'enfer, j'en sais quelque chose.
- Désolé.
- Ne le soyez pas.
Je ne sais pas au juste ce que cet homme sait sur moi, mais apparemment c'est plus que ce que j'imaginais en venant à ce rendez-vous.
- Alors, le poste vous intéresse toujours ?
- Disons qu'il commence à m'intéresser.
Je mentirais en disant que j'ai hâte de jouer les nounous pour famille riche. Parce qu'en réalité, c'est surtout le défi que le sénateur me lance qui me motive. Et puis, le salaire aussi.

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