En général, le samedi matin, je sors prendre mon petit déjeuner dans l'un des Caffè situés sur la petite place en bas. Aujourd'hui pourtant, je n'ai envie de rien. Alors je me contente d'un verre de jus d'orange et d'une vue sur les toits de la ville. Mais bien entendu, lorsque j'ouvre le réfrigérateur, le dessert d'Audrey me saute une nouvelle fois aux yeux.
- Qu'est-ce que je vais faire de toi ? je soupire, comme si je parlais à un chaton que je venais de recueillir. Te manger ? Te déposer devant sa porte ?
Ce serait la solution la plus simple. La plus lâche aussi.
Mais comme je ne suis pas un poltron, je prends mon courage à deux mains, vais frapper à sa porte.
- Je... Salut.
Elle m'ouvre vêtue d'une combinaison pyjama en pilou, les cheveux encore emmêlés et la joue barrée d'une marque d'oreiller.
- Salut. Je te dérange peut-être, je bredouille avant de lui tendre son plat. Tiens, tu as oublié ça hier soir.
S'il y a une chose que je n'avais pas prévu, c'est qu'elle m'ouvrirait habillée d'une espèce de déguisement de lapin. En soi, ce n'est pas moche. C'est juste complètement ridicule.
- Merci.
- Je t'en prie.
Quand nous avons échangé toutes les banalités imaginables, le silence se fait. Un silence un peu gênant que nous finissons pas rompre au même instant :
- Bon eh bien...
- Tu voulais prendre un café ?
Elle baisse les yeux sur sa tenue, se met à rire :
- Enfin si tu me laisses le temps de me changer.
- Ouais. Enfin je veux dire OK pour le café. Et pour que tu ôtes ton pyjama.
Je crois que de toute ma vie, je ne me suis jamais senti aussi gauche avec une fille.
- Enfin pour que tu enfiles autre chose, je corrige précipitamment en voyant que son visage vire à l'écarlate.
- D'accord, entre.
Je referme derrière moi tandis qu'elle part en direction de la chambre, une charmante boule de poils accrochée à son postérieur.
- C'était un cadeau ! se justifie-t-elle alors que je lève la tête et croise son regard dans le miroir accroché au-dessus de ce qui resemble à une ancienne cheminée.
Eh merde.
Quand elle revient, à peine quelques instants plus tard, elle a passé un jean foncé et un sous-pull rouge. Tout ce qu'il y a de plus classique. Et pourtant, alors qu'elle nous prépare deux cafés, je ne peux m'empêcher de la détailler.
- Je voulais te présenter mes excuses pour la dernière fois, dit-elle en se retournant.
Elle dépose nos tasses fumantes sur la table, s'assied face à moi.
- C'est plutôt moi qui me suis mal comporté, je fais remarquer.
Et elle m'adresse une moue adorable qui signifie que nous sommes tous les deux des imbéciles.
- Je n'avais pas à te poser toutes ces questions.
Ça, c'est certain. Mais je me garde bien d'enfoncer le clou.
- Mon père...
Elle s'interrompt et je devine qu'elle regrette d'avoir abordé le sujet.
- Il est militaire aussi ? je demande pour lui permettre de botter en touche.
- Non. Mais disons qu'il en côtoie dans le cadre de son travail. Alors je connais ce regard.
- Audrey... (Mes doigts se resserrent autour de ma tasse.) Je n'ai pas envie de parler de ça. Ni avec toi, ni avec personne d'autre.
- Je comprends.
Ses yeux, pourtant, démentent ses paroles. Mais malgré ça, elle n'insiste pas. Peut-être parce qu'elle a peur que cela nous conduise à un nouveau fiasco.
- Je comprends, répète-t-elle. Mais si un jour tu as envie ou besoin de parler, je suis là.
- Merci, mais j'ai vu assez de psy ces derniers temps.
À la façon dont elle déglutit, je devine que je l'ai vexée. Certainement blessée aussi.
- Audrey...
Ce n'est pas ce que je voulais dire. Alors, par-dessus la table, je pose ma main sur la sienne.
Si l'on fait abstraction de sa poitrine contre mon épaule dans le bar, ce fameux soir, c'est la première fois que nous nous touchons.
- Qu'est-ce que tu fais ? murmure-t-elle.
Mais je suis incapable de répondre à cette question. Je sais juste que sentir sa paume sous la mienne me fait du bien.
- Je ne voulais pas te blesser.
Elle cligne des paupières avant d'ôter sa main, comme si elle prenait soudainement conscience du sens de mes paroles.
- Je comprends.
En moins d'une minute pourtant, son ton est devenu froid, presque tranchant. Audrey se lève même, attrape sa tasse avant d'aller s'adosser contre le frigo.
- Mais je n'arrive pas à te cerner.
Je grimace parce que dans sa bouche, les mots sonnent comme un reproche. Et après tout, pourquoi aurait-elle besoin de me cerner ?
- Qu'est-ce que tu veux savoir ?
- Ce que tu fais ici.
- Dans ta cuisine ? Je suis venu te rapporter...
- Mon tiramisu. Oui je sais. Non, ce que je voudrais savoir, c'est ce que tu fais en Italie. Ce que tu fuis.
- Bon sang !
Je pourrais lui mentir. Inventer une histoire dont elle ne saurait jamais qu'elle n'est pas réelle. Mais quelque chose me retient. Peut-être la sensation qu'elle et moi nous ressemblons davantage que ce que l'on pourrait penser à première vue. Peut-être aussi la peur de la décevoir.
- Moi je fuis ma vie, reprend-elle en voyant que je n'envisage pas d'en dire davantage. Ma vie trop parfaite. Ma vie arrangée au millimètre près par d'autres que moi. Voilà ce que je fuis.
- Et moi je fuis mes souvenirs.
C'est peu comme information. Presque insignifiant. Et pourtant, pour un garçon comme moi, c'est déjà beaucoup. Parce que jamais, jamais, je n'aurais imaginé lui dire ça à elle. Elle, la fille que je devais simplement surveiller. Elle que j'imaginais être une gosse de riche alors que c'est tout le contraire.
- Je vais rentrer. Merci pour le café.
- James...
- On est juste voisins, je lui rappelle avant de me lever et de déposer ma tasse dans l'évier. Je n'ai pas besoin d'un Saint-Bernard pour me sauver.
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Protection rapprochée
RomanceAudrey "La fille de". Voilà à quoi se résume ma vie depuis 21 ans. Et voilà pourquoi j'ai décidé de m'accorder six mois en Europe, le temps de faire le point sur cette existence que je subis, à défaut de la vivre. James DSS. Trois lettres que je vou...