~1~

379 29 3
                                        

La sonnerie annonce la fin de la dernière heure de cours. Julien n'a pas le courage de rentrer chez lui et d'affronter sa mère ce soir. Il a encore eu une mauvaise note, ce qui signifie séance d'engueulade d'au moins une demi-heure obligatoire. S'il rentre, il n'y échappera pas. Il n'est définitivement pas d'humeur à supporter ça, alors il décide donc de rejoindre sa petite bulle de tranquillité, son havre de paix, le seul endroit où il peut être seul sans personne pour le déranger ou lui reprocher quelque-chose, autrement dit : le skate park. C'est vraiment son seul repère. Pas de mère pour lui faire des reproches, pas de connards pour le critiquer. C'est un lieu où il n'y a jamais personne, et à la fois en plein centre-ville et isolé du monde. Les arbres autour font comme une barrière qui le coupe un peu du reste de la ville. C'est pour ça que Julien adore ce lieu. En plus, il est situé pas loin du lycée, alors il peut s'y rendre quand il veut après les cours, rapidement et à pied.

Il y arrive donc rapidement et balance son sac par-dessus la barrière, avant de l'escalader à son tour. Il pourrait passer par l'entrée comme quelqu'un de normal, mais premièrement, c'est beaucoup moins stylé ; deuxièmement, l'entrée est à l'opposé et il a juste la flemme de faire le tour ; et troisièmement, il n'est pas quelqu'un de normal. Une fois qu'il a atterri de l'autre côté, il rejoint un banc, sur lequel il dépose son sac avant de s'allonger et de s'en servir comme oreiller. Il visse ensuite ses écouteurs sur ses oreilles, ferme les yeux, et s'autorise pour la première fois de la journée à ne plus penser à rien. Il fait le vide dans ses pensées, se berçant simplement au bruit du vent dans les arbres, et aux lointains sons de klaxon qui parviennent du centre-ville. Ça lui prend quelques minutes d'oublier tous ses problèmes, mais il se force à les laisser de côté pour apprécier ce petit moment de tranquillité.

Il ne ré-ouvre ses yeux que de longues minutes plus tard, lorsqu'un bruit de skate lui fait comprendre qu'il n'est plus seul. Surprenant, il n'y a jamais personne qui vient faire du skate ici. Ils préfèrent tous le nouveau skate park qui a ouvert cet été. Il se redresse alors et voit un gars, avec son skate, qui effectue quelques figures un peu plus loin. Il a les cheveux bruns, le teint légèrement halé, et il n'est pas très grand. Il a l'air d'avoir à peu près son âge.

C'est la première fois qu'il le voit ici, et pourtant sa tête lui dit quelque-chose, mais il n'arrive pas à mettre un nom dessus...

Ce n'est que lorsque ce dernier s'arrête pour le regarder que Julien se rend compte qu'il le fixe depuis 5 bonnes minutes. Il baisse alors les yeux, de peur que l'inconnu l'ai vu le dévisager, et qu'il s'énerve contre lui pour... pour l'avoir regardé ?

Cela n'a aucun sens, et il le sait, mais c'est plus fort que lui : il ne peut pas s'empêcher de psychoter. Il en devient parano, c'est comme s'il ne pouvait pas faire autrement. Il est sans arrêt en train d'imaginer que tout le monde lui en veut, que tout ce qu'il fait est tellement idiot. Oui, il devrait se faire soigner. Il le sait, on lui a déjà dit. Plus d'une fois, d'ailleurs.

Quoi qu'il en soit, l'inconnu n'a pas l'air de lui en vouloir, alors il se détend à nouveau, se rallongeant et se concentrant à nouveau sur sa musique. Et sur l'inconnu. Il manie son skate à merveille, il n'a jamais vu ça, des rares inconnus qu'il a vu passer ici, celui-ci est de loin le meilleur. Et en le regardant un peu, cela lui rappelle combien lui est si peu à l'aise sur un skate. Il n'a aucun équilibre, ce qui le rend absolument ridicule... D'ailleurs, ça doit faire plusieurs années qu'il n'a pas touché à un skate. Il doit en avoir un, quelque-part, dans son grenier. Au cas le cas, il est très bien là où il est.

Lorsque le gars avec son skate s'en va, il est déjà 22h, et Julien commence à avoir faim. C'est le moment de bouger.

Il presse un peu le pas pour arriver chez lui avant qu'il ne fasse totalement nuit, pas parce qu'il a peur du noir -au contraire, il adore la nuit-, mais plutôt pour éviter un reproche supplémentaire de la part de sa mère. Arrivé devant la maison, il inspire un grand coup, prend son courage à deux mains, et ouvre la porte doucement pour pénétrer à l'intérieur le plus silencieusement possible. Il s'aperçoit que toutes les lumières sont éteintes, sa mère est donc déjà couchée. Tant mieux : au moins il ne se fera pas disputer, et en plus, il pourra manger ce qu'il veut, et en paix.

Il ouvre le placard et se met sur la pointe des pieds pour attraper un paquet de chips. Il a beau être grand, sa mère s'assure toujours de les ranger en hauteur dans l'espoir qu'il ne les trouve pas.

C'est manifestement raté.

Il prend donc un paquet ainsi qu'une canette de Coca et monte dans sa chambre en faisant le moins de bruit possible, de sorte à ne pas réveiller sa mère. Une fois arrivé, il ferme doucement sa porte, et allume son PC. A quoi bon essayer de dormir, il sait pertinemment qu'il ne fermera pas l'œil de la nuit. Autant jouer. Il se connecte et rejoint la partie déjà lancée par ses amis. Ses seuls amis, à vrai dire. Des gens qu'il n'a jamais rencontré qu'à travers le jeu. Certainement que s'ils se connaissaient vraiment, sans la barrière de l'écran, ils ne seraient pas amis avec lui. Comme la plupart des gens, en fait...

Seul, perdu et anxieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant