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Le réveil de Julien se prend un coup de poing ce matin lorsqu'il sonne à 6h, annonçant qu'il doit se lever pour aller en cours. Il se réveille lentement, ayant du mal à ouvrir les yeux à cause de la lumière qui inonde la pièce. Il n'a pas dormi aussi bien depuis longtemps, c'est incroyable comme il se sent reposé. Il est étonnamment prêt à attaquer la journée. Il se lève de son lit, va dans la cuisine pour se servir un verre de jus d'orange, et s'installe sur l'îlot central. La lumière du jour lui fait mal aux yeux, mais il est en pleine forme, ce qui est très, très rare. Il n'a pas encore compris d'où lui venait toute cette énergie, d'ailleurs.

Il remarque que le manteau de sa mère n'est pas sur le porte-manteau, elle doit être déjà partie au travail. Tant mieux, au moins, il ne risque pas de tomber dessus. Il finit son verre et remonte dans sa chambre, s'habille en prenant comme toujours des vêtements au hasard dans son placard, attrape sa veste panda sur sa chaise, récupère son sac sous le bureau, et se met en route pour le lycée.

Sur le chemin, il se remémore la soirée de la veille. Le cours de skate d'Alexandre, leur court échange par SMS, et surtout le surnom qu'il lui a donné. "Juju". Il se demande où Alexandre a été chercher ça, car aussi loin qu'il se souvienne, on ne l'a jamais appelé par un surnom. Excepté peut-être son père, qui de temps en temps l'appelait "Juls". En parlant de son père, ce dernier a visiblement essayé de l'appeler hier soir. Julien ne sait pas vraiment s'il doit le rappeler ou pas. Il ne sait toujours pas où il en est avec lui. Ce dernier a lâchement abandonné sa mère parce qu'il ne pouvait plus s'occuper d'eux. C'était quand il avait sept ans. Et pour ça, il lui en veut. Et il lui en voudra toujours. Il n'oubliera jamais la lâcheté dont a fait preuve son père à cette époque. Mais d'un autre côté, cela fait maintenant neuf ans, et il aime son père malgré tout. La veste qu'il porte sur son dos en est un témoignage. Alors il ne sait pas quoi faire, continuer à lui en vouloir, ou lui pardonner et essayer de renouer avec lui...

Il est forcé de remettre ce dilemme à plus tard, car le voilà arrivé devant la grille du lycée. Le temps qu'il trouve sa carte et qu'il entre, évidemment, la sonnerie a déjà retentit. Le temps qu'il arrive à sa salle, il va être en retard. Et merde. Tant pis, il subira les reproches de sa mère une fois de plus quand elle s'en rendra compte. Il ne peut s'en prendre qu'à lui, il n'avait qu'à presser le pas au lieu de se perdre dans ses pensées. Lorsqu'il atteint enfin la salle d'anglais, comme prévu, les élèves sont déjà rentrés. Il entre à son tour, bredouille une excuse rapide à la prof, et part s'installer à sa place au fond de la salle.

"J'ai cru que t'allais pas venir."

Alexandre. Il l'avait presque oublié avec tout ça. Ça lui fait encore bizarre d'avoir maintenant quelqu'un pour qui ça compte s'il vient en cours ou pas...

"Salut, euh, ouais... Mais je suis là. C'est pas comme si c'était mon genre de sécher, répond-il ironiquement.

- On va dire ça. Ça va ?

- Ouep, juste un peu essoufflé, j'ai du piquer un sprint."

tous deux se concentrent sur le cours quelques instants, avant que Julien n'ajoute :

"Pourquoi Juju ?"

Alexandre ne comprend pas tout de suite le sens de sa phrase, et lui lance un regard interrogateur. Puis il semble traversé par un éclair de génie, se rappelant surement leur discussion d'hier soir.

- Ah oui, ça ! Je sais pas, j'étais inspiré. Ça te va pas Juju ? Sinon... Juls.

- Non, non, Juju c'est très bien, répond Julien brusquement et presque tristement."

Puis quelques secondes plus tard, Alexandre demande :

"Qui-es-ce qui t'appelait Juls ?

- Quoi ?

- Je vois bien que ça te rappelle quelqu'un. C'était qui ?

- Mon père.

- Ah. il est-

- Parti quand j'avais sept ans, répond Julien sans aucune émotion.

- Désolé.

- T'excuses pas, c'est rien.

- Donc Juju alors ? interroge Alexandre.

- Et moi je suis censé t'appeler comment ? Demande à son tour Alexandre. Alex ? Lelex ?!

- Comme tu veux, mais Alex ça me va très bien, répond-il en riant."

La prof leur lance un regard lourd de sens, les obligeant à se taire. Ils se reconcentrent sur la compréhension orale, qui est, au passage, tellement facile à comprendre qu'en une écoute, Julien a tout compris. Ils résument ensuite à l'écrit, et devant la copie de Julien, Alexandre est en état de choc.

"Attend, comment t'as fait pour écrire tout ça ?

- Bah... c'était facile nan ?"

Alexandre rigole en montrant à son tour sa copie à Julien. Et effectivement, il n'a pas écrit plus de trois lignes. Ils rigolent tous les deux et le silence retombe ensuite, jusqu'à la fin de l'heure. Ils prennent chacun le chemin de leur cours suivant, Julien se dirigeant donc vers les labos. Il déteste le cours de physique habituellement, en particulier à cause de la prof, mais là il a en tête sa discussion avec Julien, et ne peut s'empêcher de sourire bêtement. Sa voisine de classe ne manque évidemment pas de le remarquer, puisqu'à peine s'est-il assis sur sa chaise qu'elle lui souffle :

« Bah qu'es-ce que t'as ? T'as rencontré l'amour de ta vie ou quoi ?
- Non, je me suis fait un ami, c'est déjà pas mal... »

Seul, perdu et anxieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant