~28~

91 8 2
                                    

Julien arrive au lycée tout juste avant la sonnerie. Evidemment, après la nuit de merde qu'il a passée, il s'est levé en retard, et a donc dû se préparer à la va vite. D'ailleurs, il est presque sûr d'avoir oublié la moitié de ses affaires. Mais ce n'est pas très important, parce qu'il a le principal : son skate, et son carnet à dessins.

Il arrive devant la salle d'anglais légèrement essoufflé. Alexandre n'est pas là, et il ne s'attendait pas à l'y trouver, il a bien fini par comprendre qu'il séchait pratiquement tout le temps la première heure d'anglais du mardi. Ce qu'il n'a pas encore découvert, c'est pourquoi. Il s'installe donc à sa place, tout seul, et sort ses affaires.

Julien est concentré sur sa feuille d'exercices à essayer de comprendre le rôle des modalisateurs, quand la sonnerie indiquant la fin de la première heure retentit, en synchronisation avec la porte de la salle qui s'ouvre. Julien ne lève même pas les yeux : il sait qu'il s'agit d'Alexandre, alors il reste concentré sur son exercice. Et 30 secondes plus tard, un poids s'affale sur la chaise à côté de la sienne. Toujours sans lever les yeux, Julien souffle :

« Salut. Ça va ?

- Hey, ouais et toi ? T'as l'air bien concentré sur ton exo.

- Ouais, je comprends pas tout...

- Attends, toi tu comprends pas un truc en anglais ? Mais je vais faire comment moi pour y arriver ? Et qui va m'expliquer ???

- t'inquiète pas, répond Julien en rigolant. Je vais comprendre. »

Alexandre rigole à son tour, avant de tourner la tête vers la fenêtre, et soudain, un grand sourire se forme sur son visage, laissant apparaître ses fossettes que Julien trouve si adorables. Il faudrait qu'il lui dise, d'ailleurs. Est-ce qu'Alexandre sait qu'il a un si beau sourire ? Il est sans arrêt en train de lui faire des compliments pour l'aider à remonter son estime de soi, alors il peut bien lui rendre la pareille. Mais déjà, pourquoi il a l'air aussi content ?

Julien se tourne à son tour vers la fenêtre. Il aperçoit alors des flocons blancs tomber, et se poser doucement sur le sol, qui est déjà en train de prendre une couleur blanche. Il neige.

« J'adore la neige, déclare Alexandre. Je te jure, je suis à deux doigts de sécher le restant de la journée juste pour sortir dans la neige.

- T'es fou de vouloir sortir ! La neige, c'est glacé, et trempé, et en plus ça glisse.

- Mais c'est trop bien, la neige ! Comment tu peux ne pas aimer ça ?

- J'ai pas dit que j'aimais pas ça. J'aime bien la regarder. A l'intérieur. Au chaud.

- Oh lala... »

Ils sont interrompus par la professeure, qui lance :

« Alexandre et Julien. On se tait.

- Il neige, madame, répond Alexandre d'un ton innocent. »

Et c'est un brouhaha général qui démarre aussitôt dans la salle, prenant la prof au dépourvu. Elle essaye tant bien que mal de capter à nouveau l'attention de ses élèves, tandis qu'un sourire plein de fierté trône sur les lèvres d'Alexandre.

« Et t'es fier de toi en plus, sale con, dit Julien, en donnant un léger coup d'épaule à Alexandre.

- Répète ça, pour voir ? Répond Alexandre, en se tournant vers Julien avec un sourire encore plus grand.

- De quoi, que t'es un sale con ? Demande Julien malicieusement. »

Alexandre envoie sans crier gare un coup de poing dans l'épaule de Julien. Ce dernier fait semblant de se tordre de douleur tout en rigolant, sous le regard moqueur d'Alexandre.

« Maintenant, tout le monde se tait, sinon je fais une interro sur les verbes irréguliers, hurle la prof, tentant toujours de retrouver le calme. »

Soudain, le silence retombe dans la salle, et Julien chuchote à Alexandre :

« Moi, ça me dérangerait pas.

- Ta gueule, je les connais pas, moi. »

Ils gloussent tous les deux discrètement, et se taisent à leur tour, quand la prof les foudroie du regard. Ils terminent donc l'heure en silence, puis se séparent à la sonnerie pour rejoindre leurs cours respectifs. La principale activité de Julien consiste ensuite à regarder les flocons s'écraser un à un sur le sol par la fenêtre. Evidemment, il se prend des remarques dans chaque cours pour ne pas écouter le professeur, et a même le droit à une observation dans le carnet durant le cours de maths. Merveilleux. Enfin, ce n'est pas pour rien qu'il connait maintenant la signature da sa mère par cœur.

Il retrouve Alexandre et ses amis à midi pour manger à la cantine, et pendant tout le repars, Paul fait des blagues de merde, et Alexandre y rigole comme un con. Ça devient un peu une habitude, maintenant. Même si ça lui fait toujours bizarre de voir des gens l'attendre pour aller manger.

Son après-midi est ensuite descriptible en un seul mot : Chiante. Tout simplement. Et le pire, c'est qu'il finit les cours à 18h. Alors il passe le temps en griffonnant toutes sortes de petits dessins dans la marge de ses feuilles de cours. Des flocons de neige, une bougie, un chocolat chaud orné de chantilly... ce qui lui passe par la tête. Et puis à 16h, l'inspiration lui vient réellement. Ses deux heures d'espagnol vont être productives...

Il sort une feuille canson de son sac, et attrape son crayon. Il dessine les bases d'un visage manga – il préfèrerait faire quelque chose de réaliste mais il n'en sera jamais satisfait –. Il lui ajoute la coupe de cheveux d'Alexandre, qui consiste en des cheveux désordonnés partant dans tous les sens, et un grand sourire, orné de deux petites fossettes, sur lesquelles il passe beaucoup de temps. Il met bien 40 minutes à obtenir un résultat satisfaisant au niveau des contours pour ce début de visage. Quand enfin il obtient quelque-chose qui lui convient à peu près, il passe aux yeux, qu'il dessine légèrement plissés, comme ceux d'Alexandre lorsqu'il rigole aux blagues de Paul. Il n'a pas trop de problèmes pour cette partie, mais il se retrouve plus en difficulté pour détailler les cheveux. Il n'a pas l'habitude de ce genre de coupe désordonnée, et il trouve le rendu trop incompréhensible. Pas facile, sans modèle... Mais il arrive après plusieurs tentatives à obtenir un résultat à peu près correct.

Il se bénit alors d'avoir pris le temps de prendre son matériel de dessin ce matin. Grâce à ça, il peut désormais mettre le dessin en couleurs. Il réfléchit rapidement, et décide d'utiliser des crayons de couleur pour pouvoir ajouter plus de détails et jouer sur les ombres. Il pourrait obtenir un résultat intéressant en n'utilisant que des teintes relativement proches... Alexandre a le teint légèrement halé, et les cheveux bruns, ce qui lui permet de choisir des couleurs proches, mais suffisamment éloignées pour qu'on voit la différence. Il colorie, il estompe, et il se dit que c'est un miracle que la prof ne l'ait toujours pas remarqué.

Au bout des deux heures, lorsque la sonnerie retentit, Julien passe un dernier coup de crayon dans les cheveux d'Alexandre, et brandit le dessin devant lui. Au final, il est plus réaliste que ce qu'il avait prévu. Il est plutôt fier. C'est peut-être même l'une de ses meilleures réussites, à y réfléchir. Et ça l'embêterait presque, parce qu'il a prévu de le donner à Alexandre, mais après le travail qu'il a fourni, il n'en a plus vraiment envie. Mais d'un autre côté, il a vraiment hâte de voir la surprise sur le visage d'Alexandre quand il va lui donner. Alors il ajoute rapidement sur la feuille la mention « pour le mec chiant au sourire adorable qui me sert d'ami. :) », et remballe ses affaires avant de quitter la salle.

Seul, perdu et anxieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant