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Vendredi soir. C'est la fin de la semaine, et Julien a subi les engueulades de sa mère chaque soir de celle-ci sans exception. Mais aujourd'hui, il n'en a pas la force. Il n'a juste pas le courage de rentrer chez lui, d'écouter sa mère une fois de plus, de certainement se prendre une baffe, de se sentir mal, de se rappeler qu'il n'est qu'une merde, de se haïr, de vouloir en finir et enfin de ne pas dormir de la nuit encre une fois. Non, définitivement, il n'est pas d'attaque à affronter ça. Alors comme à chaque fois que sa vie déraille, qu'il ne contrôle plus rien, ou tout simplement qu'il se sent mal - c'est à dire pratiquement tous les jours, en fait - il se rend dans son petit havre de paix.

Il sort du lycée et marche tranquillement à travers les rues de la ville pour rejoindre le skate park, qui est à 10 minutes à pied. Sur la route, il marche lentement. Il a tout son temps, de toute façon. Il observe les gens autour de lui se dépêcher, courir partout, se bousculer, faire leurs empressés, tandis que lui prend son temps, il a des heures devant lui. Et soudain il se sent à part. Comme extérieur à la foule, spectateur du monde. Et contre toute attente, ce n'est pas si désagréable. Se mettre sur le côté, sortir du manège infernal de la vie pour quelques instants, ça lui apporte un peu de répit, pour une fois. Le monde continue de tourner autour de lui, mais c'est comme si il n'en faisait pas partie. Des voix et des bruits de voiture lui parviennent au loin, mais plus rien de tout ça ne compte. Il marche, libre comme l'air. Il se sent apaisé, il ne se préoccupe plus de rien, et ne pense plus à rien. Plus à sa mère qui ne cesse de lui faire des reproches. Plus à son début d'année désastreux. Plus à tous ces gens qui le haïssent. Juste à l'instant présent.

D'ailleurs, lorsqu'il arrive au skate park, il se rend compte qu'il n'a pas vu le trajet passer tant il était pris dans ses pensées. Il enjambe la barrière, et s'installe sur un banc, en faisant en sorte d'avoir une vue sur tout le parc, comme d'habitude. Mais cette fois-ci, il n'est pas seul. Il n'est pas habitué à voir des gens ici, vraiment pas. C'est si désert, d'habitude. Mais aujourd'hui, l'inconnu au skate est là. Aussi, ce dernier s'avance déjà vers lui, son skate à la main. Julien, fidèle à lui-même, commence à paniquer, mais ne bouge pas, alors que le garçon lui lance :

« Hey !
- Salut, répond timidement Julien.
- Qu'est-ce que tu fais là, t'as pas de skate ?
- Je... J'aime bien cet endroit... Et non, je sais pas en faire.
- Ok, bizarre... Mais pourquoi tu vas pas au parc par exemple ?
- Le parc est toujours plein de monde. C'est oppressant... Ici c'est calme, je peux avoir la paix..., dit-il pensif. Mais si tu veux je m'en vais, ajoute t'il rapidement.
- Pourquoi je devrais décider si t'as le droit de rester ou pas ?
- Je sais pas, peut être que je te dérange...
- T'inquiète pas pour ça. T'as pas l'air très bruyant. Et puis de toute façon, l'endroit m'appartient pas hein !
- Ouais... »

L'inconnu repart, mais cette fois-ci, il effectue une figure sur la rampe pile en face du banc où se trouve Julien. Il se met à faire du skate et continue pendant un moment, pendant que Julien s'est décidé à réviser son anglais. Il faut bien qu'il bosse un peu s'il veut améliorer ses résultats...

Au bout d'une heure, l'inconnu s'arrête et retourne vers Julien pour lui dire :

« Au fait, moi c'est Alexandre. Toi c'est Julien si je me souviens bien...
- Oui.
- Bon, bonne chance pour tes révisions et à lundi matin en cours d'anglais alors !
- Ouais... »

Et Alexandre s'en va, son pied poussant sur le sol pour prendre de l'élan. Julien se retrouve à nouveau seul, et le silence envahit à nouveau l'endroit, lui donnant une dimension supplémentaire. C'est ça qu'il aime dans ce lieu. Tout est parfaitement calme, et la pression présente partout ailleurs ne l'atteint pas. Il est comme dans un monde parallèle, où il ne peut être blessé ou rabaissé par personne. Il reste quelques instants là, à méditer sur la vie, comme ça lui arrive parfois lorsqu'il est ici, puis il se décide enfin à rentrer chez lui, se sentant désormais d'attaque à aller voir sa mère.

Il fait le trajet le plus lentement possible en priant pour que cette dernière dorme déjà quand il arrive. Manque de bol, lorsqu'il ouvre la porte, il tombe nez à nez avec elle, qui aborde un air furax.

« Je peux savoir ou t'étais ?
- Je révisais.
- c'est ça. Bien sûr. Tu vas me faire croire qu'avec les taules que tu te prends, tu révises. Te fous pas de ma gueule. T'étais où ?
- Je révisais.
- Répète ça encore une fois et tu te la prends, dit-elle en brandissant sa main. T'étais où ? En boîte ? Aux putes ? Ou non, dans le sous-sol de ton pote ? Pour une bonne dose d'héroïne ?
- Ca c'est papa, maman. C'est pas moi. Mélange pas tout. »

Il regrette immédiatement sa phrase car la main atterrit violemment sur sa joue. Il avait oublié pendant un instant que son père était un sujet qui fâche...

« Mais qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour mériter un gamin comme ça ? Aller, dégage dans ta chambre, je veux plus voir ta gueule ! »

Et voilà. Ça, c'est fait. Il s'effondre sur son lit et ne bouge plus pendant de longues minutes. Une larme, une seule, presque imperceptible, roule le long de sa joue. Il ne prend même pas la peine de l'essuyer. Il allume son ordinateur, se connecte à son jeu et lance une partie, mais finalement il n'a ni la force, ni l'envie d'y jouer. Alors il le referme, et part s'allonger dans son lit. Quelques minutes plus tard, il sombre dans le sommeil. Un sommeil rapidement agité par des cauchemars, mais un sommeil quand même. C'est toujours mieux qu'une insomnie...

Seul, perdu et anxieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant