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Le cours de sport de 10 à 12h est une pure torture. Il devrait être interdit d'avoir un tel emploi du temps. C'est ce que se dit Julien lorsqu'il atteint le haut du mur d'escalade et que le gargouillement de son ventre résonne dans tout le gymnase.
Évidemment, tout le monde le regarde.

Quoi ? Il n'a pas déjeuné ce matin - sa mère dans la cuisine, pas le courage de l'affronter -, ça fait donc 6h consécutives qu'il n'a rien avalé.

Lorsque la sonnerie retentit, il se précipite dans le vestiaire, se change en deux temps trois mouvements, et se dépêche d'atteindre la cantine avant les autres élèves. Il prend un plateau, des couverts, une assiette, et s'assoit à une table. Seules deux ou trois personnes sont déjà  présentes et le lieu est plutôt calme, jusqu'à ce qu'un flot continu d'élèves envahisse soudainement le lieu.

Il commence à manger, ne prêtant pas vraiment attention au contenu de son assiette. Son esprit est ailleurs. Il pense à sa moyenne en chute libre, aux amis qu'il n'a pas, bref, les sujets habituels. Il est tellement plongé dans ses pensées que c'est à peine s'il remarque l'arrivée d'une personne à côté de lui.

« J'peux me mettre ici ? »

Un élève pointe du doigt la chaise à côté de lui. Il lève les yeux, pour s'apercevoir que cette personne n'est autre qu'Alexandre.
Il s'empresse alors de retirer son sac de la chaise, en bredouillant :

« Oh, euh, ouais, vas-y...
- Si ca te dérange tu peux me le dire hein !
- Nan nan ! Dit-il, un peu trop expressif. Nan... C'est juste que... J'ai pas l'habitude qu'on veuille s'asseoir à côté de moi, dit-il avec un sourire ironique.
- Honoré d'être le premier alors ! Sinon, en sport, comment tu fais ? T'as un don ou quoi ? Tu grimpes trop vite...
- T'es avec moi en sport ? »

Julien n'avait même pas remarqué qu'ils étaient dans le même groupe de sport. Quel débile... Maintenant il va le prendre pour un con, c'est sur...

« Ouais, et t'es trop fort. Et ça m'énerve, dit-il en riant. C'est quoi ton secret ?
- Mon secret ? Répond Julien le visage soudainement contracté.
- Bah pour être si rapide !
- Ah... Bah... C'est facile... Fin je veux dire, pas que si t'y arrives pas c'est que t'es nul hein, c'est facile dans le sens une fois que t'as saisi c'est simple. Mais c'est normal que t'y arrives pas. Tu... suis ?
- Absolument. »

Julien est surpris. D'habitude, quand il part dans des monologues, il est le seul a les comprendre. Enfin, Louis aussi les comprenait... Bref.

« Euh... par contre, ça te dérangerait de me montrer, un de ces 4 ? Parce que je veux pas me taper une sale note, j'ai déjà une moyenne de merde... »

Julien peut a peine cacher sa surprise face à cette demande. Quelqu'un lui demande de l'aide, à lui, en personne. WoW. Ok.

« Euh, ouais, pas de souci... Quand tu veux, c'est pas comme si j'avais une vie très remplie...
- Cool, merci ! »

Ils finissent de manger en silence, et Alexandre se lève pour partir, et lui lance :

« À plus alors !
- À bientôt. »

Julien fait tout son possible pour que sa voix ne tremble pas. Il n'a pas mangé seul. Il a un ami. Lui. Il a réussi.
Enfin il ne se fait pas de fausses idées, les amis ne restent jamais bien longtemps avec lui. Mais bon, depuis un moment maintenant, il avait arrêté d'essayer d'en avoir. Alors c'est comme un renouveau pour lui. Sans rire, il n'en revient toujours pas. Alexandre est son ami. C'était tellement impensable. Il s'impressionne lui-même. Il ressent une espèce de fierté inconsciente au fond de lui. Il est heureux. Juste heureux. Il a l'impression que ça fait tellement longtemps qu'il n'a pas été réellement content, même pour un truc tout bête comme quelqu'un qui mange avec lui.  

La sonnerie retentit, le sortant de ses rêveries. Il est 13h, et il doit retourner en cours. Il a physique, le seul cours où la prof les a placé et donc où il n'est pas seul à sa table. Il s'installe donc à côté de sa voisine, qui le regarde bizarrement.

"C'est quoi ce sourire, t'as vu ton crush ou quoi ? l'interroge-t-elle.

- Hein ?

- Non rien, laisse tomber..."

Il remarque son sourire immense aux lèvres et soupire. 

"Non, Laura, j'ai pas vu mon crush... Tu sais pourquoi ?"

Cette dernière se retourne brusquement vers lui, s'attendant à une confidence, elle qui est toujours à l'affût des derniers ragots.

"Pourquoi ?

- Parce-que pour pouvoir le voir, il faudrait déjà que j'an ai un."

Elle affiche une déçue, ce qui fait rire Julien. 

La prof entre dans la salle, coupant court à toute discussion. Elle commence son cours, au passage ennuyeux à mourir. Julien est à deux doigts de s'endormir, lorsque sa voisine pousse un petit bout de papier à côté de sa feuille de cours. Il l'attrape donc et le lit :

Tu pourrais me dire qui c'est quand mm, jsuis une voisine fidèle et je t'ai donné les réponses au dernier contrôle alors tu me dois bien ça :)

Il attrape donc son stylo pour lui répondre :

Je te dis que j'ai pas de crush... En plus c'est moi qui t'ai donné les réponses au dernier contrôle.

Il lui tend à nouveau le bout de papier et essaye de se concentrer un peu sur le cours, mais il décroche au bout de deux minutes. Il attrape donc un crayon pour dessiner sur le coin de sa feuille de cours. Il ne sait pas trop quoi dessiner, alors il laisse simplement aller son crayon contre le papier, au gré de son imagination, sans trop réfléchir. Il griffonne pendant tout le restant de l'heure, et à la sonnerie, alors qu'il s'apprête à remballer ses affaires, sa voisine remarque le dessin et s'exclame :

"Mais c'est trop beau !!!

- Mais non. C'est juste une esquisse...

- Je t'assure que c'est magnifique."

Puis elle se lève, attrape son sac et quitte la salle. Les yeux de Julien retombent alors sur sa feuille : il y a dessiné un garçon, assis dans une bulle, une larme coulant le long de sa joue, mais sa bouche souriant. Il attrape la feuille et la range avec les autres, puis remballe le tout dans son sac, avant de quitter la salle à son tour. 

Seul, perdu et anxieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant