Septembre 1931 - vor dem Zusammenbruch

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— Avant la chute —

Avec : La vie à Berlin — Un Garçon-Soleil — Un sourire pour une photo — Le collier interdit —  et la meilleure tarte du monde.


Perché sur la selle de sa petite bicyclette rouge, Louis Teller pédalait à toute allure le long de la route pavée dont les irrégularités du sol secouaient le vélo. Un stock de journaux quotidiens était entassé dans une petite caisse accrochée à l'arrière de la selle. Ses chaussettes couleur crème remontaient assez pour couvrir ses mollets mais ne cachaient pas ses genoux écorchés, qui témoignaient de ses nombreux accidents de bicyclette, chaque fois un peu plus douloureux. Le jeune garçon avait l'habitude d'effectuer le trajet du kiosque du patron de presse jusqu'à la place du marché, tous les jours avant huit heures. La vente à la criée était un travail que Louis prenait grand plaisir à faire, car cela liait deux de ses passions: faire du bruit et gagner de l'argent.

Une fois sur place, le talon solide de sa petite chaussure en cuir pressa brusquement la pédale pour freiner. Il sauta de sa bicyclette en la laissant sur le bord de la route, souleva le tas de journaux à l'arrière et tituba jusqu'à sa place habituelle ; il n'avait que sept ans et demi, mais il avait bien su gagner sa place parmi tous les vendeurs ambulants du lundi matin. Il posa la pile au sol, réajusta l'une de ses bretelles sur son épaule frêle avant de ramasser quelques journaux, fin prêt à les distribuer.

Achetez le Berliner Morgenpost ! cria-t-il. Seulement cinquante pfennigs ! Achetez le Berliner Morgenpost !

Les passants souriaient toujours en voyant Louis et son dévouement pour son travail, et il n'était pas peu fier d'avoir ce poste. D'autant plus que ce quotidien était assez réputé dans le coin : tout partait en un rien de temps. Il gagnait sur toute la ligne : il avait assez d'argent en poche pour acheter toutes les bonbons qu'il désirait chez Zucker Boulevard, cette alléchante confiserie à deux pas de son école primaire. Aussi s'amusait-il drôlement à crier sur place et vendre des journaux.
L'ambiance de la place du marché pouvait parfois devenir écrasante ; les gens passaient et repassaient, s'arrêtaient au milieu de la rue pour discuter ou balayaient les offres des vendeurs du revers de la main, prétextant avoir mille et une choses à faire.
   Les enseignes des boutiques, quoique parfois défraîchies, apportaient une touche de couleur à toute cette frénésie ; sur les présentoirs des stands s'élevaient des montagnes de fruits et de légumes qui débordaient  parfois  des caisses en bois.
Un autre avantage était qu'il se trouvait au beau milieu de tous les vendeurs de fleurs et de pâtisseries. Le mélange d'odeurs était exquis; la place du marché était probablement son endroit préféré dans tout Berlin.

Ce matin-là, cependant, ce fut autre chose qui capta son attention. Là, près du stand de fruits, se tenait une grande dame qu'il reconnut immédiatement comme étant Karla Steckelberg. Elle vivait dans l'immeuble à côté. Derrière sa jupe était caché un petit garçon du même âge apparent que Louis.

C'était le jeune Harry, qu'il avait rencontré plus tôt cet été.

Les Steckelberg étaient un jeune, très jeune couple sans enfant. Il était évident qu'après avoir repéré ce petit garçon anormalement calme et poli, à l'orphelinat juif de Berlin-Pankow, Ariel et Karla Steckelberg s'étaient pris d'affection pour Harry.
Louis connaissait déjà les jeunes parents, car sa propre mère était l'amie de longue date de Frau Steckelberg. Il les voyait alors souvent ensemble à la maison.
Dire que Louis adorait Frau Steckelberg serait un euphémisme. C'est qu'elle avait ces grands yeux bleus rassurants et une voix toute douce, et qu'elle lui offrait souvent des cadeaux et de nouveaux jouets : tout pour le garder heureux. Louis ignorait que Frau Steckelberg ne pouvait pas avoir d'enfants et qu'elle compensait ce manque en le couvrant d'amour, lui. Tout cela, bien sûr, c'était avant que Harry apparaisse dans la photo.
Malgré leur même âge, Louis ne s'était pas d'office très bien entendu avec le nouveau venu.
   Harry requérait beaucoup trop d'attention de la part de tout le monde. Il était silencieux, regardait toujours par terre comme si les bouts de ses chaussures aux lacets constamment défaits comportaient la réponse à toute question, et ne répondait que par des hochements de tête ou bien pas du tout. Un tel comportement devenait vite agaçant. Peu importe combien Louis insistait, Harry ne voulait jamais jouer, les premiers temps. Il ignorait encore l'odeur des rues de la ville étant donné qu'il avait passé la majorité de l'été enfermé dans sa chambre.
   Louis, de son côté, avait l'énergie de mille soleils condensés ensemble dans un corps pâle et gringalet ; bruyant, turbulent, incapable de rester sur place mais attachant.

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