Octobre 1941 - Zuhause

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— À la maison —

Avec : Une gentille fille — Noël avant l'heure — Un papa meilleur que le chocolat — et des derniers mots.


    Suite à l'incident de l'étoile, le père de Louis avait fait en sorte qu'il ne revienne plus du tout à la maison, le laissant à l'école en tant que pensionnaire à temps plein. Louis n'était pas rentré depuis maintenant un mois.

    L'enfer des jeunesses hitlériennes était à peine supportable durant toute une semaine. Alors, après un mois entier, il ne fallait pas s'étonner si Louis avait envie de faire de drôles de choses avec son poignard lorsqu'on commençait à lui taper sur les nerfs. Haydn était parti sur le front l'année précédente et Louis se retrouvait seul, dans son dortoir -- pas qu'il s'en plaigne, mais la solitude ne l'aidait pas à aller mieux.

    Il avait été surpris à arborer l'écusson rouge d'un mouvement de résistance – un pari mené par ses copains et qui a très mal tourné. Il avait toutefois intentionnellement aggravé son cas lorsqu'il avait été interrogé par le directeur Krüger. Il avait affirmé haut et fort qu'il emmerdait bien profondément tout ce qu'on leur enseignait et qu'il rejoindrait la résistance même si c'était la dernière chose qu'il lui restait à faire.

    Ça ne lui allait pas, d'être un révolutionnaire ; après de violents châtiments corporels, on avait appelé son père pour le retirer de l'école. Et c'est triomphant qu'il monta en voiture sur le siège passager, croisant les jambes sur le tableau de bord, sa chemise brune ouverte aux trois boutons. C'était tout ou rien, en ce qui concernait la provocation. Et Louis était devenu maître dans cet art. Hermann ne cria pas, ne le disputa pas, ne lui dit même pas d'enlever ses pieds de là et se contenta de lui glisser quelque chose de bien plus puissant qu'un sermon :

— Tu es ma plus grande déception. La seule, d'ailleurs. Et j'ai très honte.

    Rien que ça. Louis était persuadé que c'était trop léger comme réaction et que si c'était tout ce qu'il avait à dire, eh bien il n'en était pas touché du tout. Mais comme toujours, son père savait calculer ses coups, physiques ou moraux. Plus la voiture roulait, plus les mots se bousculaient dans sa tête et se mettaient à le ronger de l'intérieur. Une déception, lui. Il commença par enlever ses jambes du tableau de bord et regarda son père du coin de l'œil. Un sentiment de malaise indescriptible oppressa sa poitrine et sa trachée se resserrait. Il pensa à toutes ses petites sœurs — surtout Elsa — et combien son père les aimait et les couvrait de baisers chaque fois qu'il en avait l'occasion, et il prit un peu plus de recul pour se regarder, lui. Il n'avait jamais réussi à faire taire le soupçon d'appréhension qui le parcourait lorsqu'il était avec son père, et il ne s'était de plus jamais demandé s'il était normal d'avoir peur. L'homme qui l'avait élevé et aimé jusqu'à ce que tout éclate il y a quelques années ne pouvait pas être si mauvais.

    Pourtant, c'était bien ce à quoi Harry s'opposait. Au cours d'une brève querelle qu'ils avaient eue, plus tôt cette année, Harry avait lâché, sans retenue : « Ton père n'est pas quelqu'un de bien, Louis, ouvre tes yeux. Il veut te modeler à son image. Alors tu décides. C'est moi, ou c'est lui. »

    Têtu, Louis protestait toujours, dressant de manière bornée un voile entre lui et la vérité. Il n'avait pas donné de réponse ce jour-là. Il avait quitté la chambre de Harry, non pas sans lui avoir dit : « Tu reviendras me voir quand ça te sera passé, cette petite crise, je vais pas gérer ça. »

    Inutile de dire que Harry n'était pas revenu le voir. Il s'excusait rarement, car ça lui arrachait la bouche de dire pardon alors qu'ils savaient tous les deux que celui qui avait raison, c'était toujours Harry. Louis le savait, au fond, bien au fond, et c'est pour ça qu'au lieu de dire pardon, il l'avait simplement intercepté dans la rue, s'était assuré que personne ne les regardait, avait passé un bras autour de sa taille, posé un baiser dans son cou et lui avait acheté un bretzel, le taquinant avec et l'empêchant de prendre une bouchée jusqu'à ce qu'il lui sourie. Ils n'en avaient pas reparlé. Mais c'était la principale source de tensions entre Louis et Harry, et au vu de leurs disputes de plus en plus fréquentes, violentes et répétitives, elle allait les avoir à l'usure.

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