Novembre 1938 - Stille Nacht, Heilige Nacht

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— Douce Nuit, Sainte Nuit —

Avec : Des cigares toscano-communistes — Une montagne de verre — Un collier porte-malheur — et trois cierges pour trois menteurs


— Je veux l'allumer, déclara Harry. Je n'y arrive pas. Tu m'aides ?

    Après un court moment d'hésitation passé à scruter avec dédain le cigare toscano et à échanger un regard perplexe avec Fritz Ross, Louis se décida à faire un pas en avant. Il se saisit du briquet que lui tendait Harry, l'actionna presque machinalement et l'approcha du cigare qui pendait de ses lèvres. Il plaça sa main tout autour de l'objet, comme pour bloquer le vent glacial de la nuit, et l'observa en silence alors que Harry inhalait la fumée. Il recula pour avoir une vue d'ensemble.

    Les cigares toscano avaient été apportés par Fritz – un soi-disant cadeau de son oncle, un communiste affirmé qui avait été arrêté le mois dernier. Louis savait pertinemment que les cigares avaient été volés. Personne n'offre un tel cadeau à un gamin de quatorze ans comme Fritz. Et d'ailleurs, personne n'avait encore osé y toucher, excepté Harry qui s'était vivement lancé tête la première dans cette nouvelle expérience. En réalité, il s'avéra que ce n'était pas la première fois qu'il fumait ; Louis put le voir à sa manière de tenir le cigare entre deux doigts, feignant un air de bourgeois snob, et à l'aise avec laquelle il inspirait, expirait, et décrivait la sensation. Il haussa un sourcil en le voyant recracher la fumée à petits coups, le menton incliné à l'arrière ; elle s'élevait haut et disparaissait dans le ciel d'un noir d'encre. On aurait dit qu'il l'avait fait toute sa vie.

— Tout un spectacle, trouva enfin le courage de commenter Louis, avant d'éclaircir sa voix qu'il avait jugée un octave trop haut.

— Tu veux essayer ? proposa Harry, enthousiaste.

— Non... Mon asthme, tu te souviens ?

    S'il s'en souvenait... Ils n'avaient jamais été aussi effrayés que cette nuit d'été où Louis s'était réveillé, incapable de respirer, toussant et crachotant en espérant faire passer l'air. Harry dormait à ses côtés et avait vite fait de prendre les choses en mains avant de le faire sortir pour prendre l'air.

— Oui. Pardon.

    Louis se mit à fixer du regard le drapeau italien imprimé sur le cigare pendant que Harry se tournait vers Fritz pour l'interroger, curieux.

— Ton oncle. C'est vraiment un communiste ? Ou ils l'ont accusé à tort ?

    Quelque chose dans sa posture décontractée et dans le ton de sa voix laissait croire qu'il trouvait cela beaucoup plus intéressant qu'il n'aurait dû. Le blond haussa les épaules tout en faisant rouler son propre cigare éteint entre ses doigts anxieux et répondit en évitant de le regarder.

C'est ce qu'il m'a dit... Au fait, ce sont ses cigares. Il les importe d'Italie.

— Il t'a déjà parlé de Bakounine, l'anarchie, tout ça ? insista Harry, qui en avait peut-être trop lu sur le communisme et le marxisme, dans les livres qu'il dévorait.

— Non.... Tu sais que c'est haut de gamme ? Ils sont importés tout droit des champs de tabacs au Kentucky !

    Harry secoua doucement la tête et rigola. Par automatisme, Louis fit de même, puis s'écria en le pointant, amusé :

— Regardez-le ! Regardez ce hors-la-loi !

    Il rit alors que Harry levait les mains en l'air et formait deux fusils avec ses doigts.

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