Juillet 1935 - Zusammen

686 63 29
                                    




— Un moment à deux —

Avec : Le Guide du Parfait Connard de Droite — Une partie de foot tombée à l'eau — Les Secrets du Bain, partie II.



Les avantages d'avoir été renvoyé de l'école pour des raisons absurdes étaient les cours privés du professeur Wechsler. Harry ne manquerait plus jamais une occasion de dire merci à son père pour lui avoir payé ces cours, même s'ils durent rationner légèrement les dépenses du mois pour lui permettre d'avoir une éducation relativement normale.   Harry avait maintenant onze ans et le professeur Wechsler avait remarqué qu'il avait un esprit beaucoup plus stratégique et mathématique qu'artistique. On lui donnait un essai à rédiger ou un poème à écrire et on le retrouvait  endormi dix minutes plus tard, le front contre son cahier grand ouvert. Par contre, ses yeux brillaient à l'idée de peut-être résoudre un jour l'un des problèmes mathématiques les plus compliqués et célèbres, et il calculait des distances astronomiques rien que pour s'amuser. Harry résolvait les moindres problèmes sans difficulté et en demandait toujours plus, à la plus grande joie de son professeur. Il étudiait l'histoire et la géographie, l'anglais et évidemment, les mathématiques.

Ses temps libres, à présent, Harry les passait à la bibliothèque à étudier ou à lire. Les livres les plus intéressants là-bas avaient été incendiés lors de l'autodafé de mai 1933. Le feu avait brûlé toute la nuit, engloutissant des centaines de milliers de pages écrites par les auteurs les plus viles et putrides, faisant virevolter et tourbillonner dans l'air de minuscules confettis de papier.

Il ne restait pas grand-chose, mais c'était mieux que rien. S'il y avait une chose qu'il avait apprise sur les Allemands, c'est qu'ils aimaient bien mettre le feu au premier inconvénient qui leur tombe sous la dent. Documents, bâtiments, ou humains, tout y passait. Et puis c'était un spectacle plein de gaieté, pour ceux qui savaient apprécier.

Lorsqu'il n'était pas à la bibliothèque, Harry rendait visite à Herr Maisel, le propriétaire du magasin de jouets d'où provenait son avion téléguidé (coincé à tout jamais entre les branches d'un gigantesque chêne). Il aidait dans la boutique, aux côtés du fils de Herr Maisel — un grand gaillard de vingt-cinq ans qui sentait très fort l'eau de Cologne et dont les yeux se mariaient à ses cheveux d'un noir de jais, toujours coiffés sur le côté et plaqués sur son crâne, quoiqu'il arrive. Harry avait pris l'habitude de le regarder de loin, intimidé par sa carrure, mais paradoxalement attiré par lui, désireux d'en savoir plus à son sujet, surtout après avoir repéré ce collier avec l'étoile de David autour de son cou, tout comme le sien. Il ne connaissait pas son prénom, seulement son surnom : Jo. Sa curiosité fut de courte durée, puisque le fameux Jo avait quitté le pays il y a de cela deux mois, et avait mis le cap sur l'Amérique avec sa fiancée. Ses derniers jours à Berlin avaient été tendus et Harry avait beau tendre l'oreille depuis l'arrière-boutique pour entendre la discussion entre Jo et Herr Maisel, il n'avait réussi à retenir que quelques bribes de paroles: « T'es fou, Papa. T'es fou. » ; « Ce sera un enfer, dans dix ans » ; « Ils ont perdu la tête » ; « Quand tu ouvriras les yeux, il y aura une place pour toi à Manhattan.».

Jo avait néanmoins fait un saut dans l'arrière-boutique pour dire au revoir à Harry. Un sourire, suivi d'un «Bonne chance, gamin. Sois sage.». Harry préféra ne pas comprendre ce qu'il voulait dire par là.   Depuis le départ de Jo, Harry s'enfermait dans sa chambre pour dessiner des schémas d'avions ; les maths l'aidaient assurément.

***

Un mercredi matin, alors que Harry était assis à table avec ses parents, il se mit à trouver le temps long. Personne ne parlait et il n'entendait que le bruit des couverts contre les bols et les assiettes. Après avoir passé autant de temps avec eux, il n'était pas étonnant que Harry finisse par imiter les comportements qu'il voyait à longueur de journée : Karla et Ariel lisaient, matin, midi et soir. Ils avaient toujours un livre dans la main, et c'est quand ils mettaient leurs lunettes de lecture et qu'ils se plongeaient dans les pages sèches que Harry comprenait qu'il ne fallait pas les déranger. Il sortit alors sa copie de Mein Kampf qu'il avait empruntée à la bibliothèque et l'ouvrit à la page où il s'était arrêté. Karla tendit aussitôt le bras pour lui arracher le livre des mains et le plaça hors de sa portée.

Plus Haut (if they could fly)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant