Décembre 1941 - Stille Straße

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— Le Silence de la Rue —

Avec : Du gris, du rouge, du jaune — Un ourson perdu — Une délicieuse part de Käsetorte — Des valises qui vomissent — Et une Ode à la gentille fille.


— Je veux partir, annonça Harry, un matin à table lorsqu'il fut seul avec Karla.

— Partir où ?

— Je ne sais pas, je les sens mal, les prochains jours.

    Harry croisa les bras sur la table encore recouverte de miettes de pain et posa son menton sur ses mains. Il songeait à quitter depuis près d'un an, mais n'avait jamais trouvé de réelle excuse ni le courage de l'annoncer à Karla. Il aurait bientôt dix-huit ans et il était hors de question de rester cloîtré dans les murs de cette ville, surveillé de près, persécuté pour trois fois rien. Il savait désormais que le fameux tour du monde dont il rêvait depuis son enfance allait devoir attendre ; il s'agissait d'abord de s'échapper de ce régime tyrannique et d'aller vivre une vie digne de ce nom, ailleurs. Une vie où il était autorisé à emprunter le même trottoir que les autres, à s'asseoir sur les même bancs que les autres, à entrer dans les mêmes boutiques que les autres, à valoir autant que les autres. Louis le lui avait proposé en premier, bien sûr. Mais s'évader avec lui revenait à alerter Herr Teller et signer l'arrêt de mort de Karla et Ariel. Harry mentirait s'il disait que l'idée suggérée par Louis, ce jour fatal du mois d'octobre dernier, ne l'avait pas terriblement séduit. Mais le seul moyen de partir sans causer le moindre problème était de partir seul.

— Je veux bien, répondit Karla, mais le problème, c'est qu'aucun Juif n'a le droit de quitter le pays depuis le mois d'octobre... Ils interdisent toute émigration. Il aurait fallu t'y prendre plus tôt. Tu te souviens de ton oncle Adam, le frère d'Ariel ? Celui qui est venu pour ton anniversaire de treize ans?

    Harry acquiesça alors qu'elle s'asseyait devant lui.

— Il habite en Suède, maintenant. Il est gravement malade, il a fait deux crises cardiaques. Ton père a beau demander la permission de quitter le pays, ne serait-ce que pour une semaine... Ils refusent. Tant que vous avez cette lettre J tamponnée sur votre passeport, vous n'allez nulle part.

    Il enfouit son visage entre ses bras croisés et soupira. Karla tendit la main pour caresser ses cheveux sans dire un mot. Aussi fort pouvait-elle l'aimer, elle ne souhaitait, elle aussi, que son départ. Il n'était pas fait pour être prisonnier et c'était flagrant ; Harry se fanait devant ses propres yeux. Il n'était pas heureux. Et son état s'était dégradé depuis un mois ou deux ; elle l'avait bien remarqué. Karla avait déjà sa petite idée ; lorsqu'elle mentionnait le prénom de Louis, il changeait systématiquement et brutalement de sujet, ou répondait par « Il est occupé. Je ne lui parle pas souvent. Il a d'autres amis, tu sais. ». Peut-être leur petit jeu était-il définitivement terminé. D'ailleurs, ses soucis concernant l'orientation sexuelle de Harry se dissipaient peu à peu. Elle le voyait par la fenêtre quand il sortait fumer — un prétexte pour passer du temps avec Nora, une jeune fille qui souriait tout le temps et qui plaisait beaucoup à Karla. Mais tout comme le sujet de Louis, Harry évitait de parler d'elle. Karla avait beau essayer d'emmener le sujet sur le tapis, mais un simple « Comment va Nora ?» était reçu par un « Bien. Je peux aider pour le dîner ? ».

    Ariel rentra au même instant, déposa un chaste baiser sur les lèvres de Karla et s'arrêta lorsqu'il vit son fils dans un tel dépit. Il murmura, assez bas pour ne pas qu'il l'entende :

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