Avril 1933 - Höher

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Avec : De curieux drapeaux rouges — Un petit moustachu qui deviendra grand — Un poème ou une fessée — Le général Markolfe Hundekopf et son meilleur soldat — et l'avion dans l'arbre


       C'était un matin d'avril ensoleillé, avec une chaleur prometteuse mais une brise fraîche qui souffle doucement. Les fenêtres étaient ouvertes et les rideaux en dentelle gonflaient au gré du vent, flottant en direction de la rue. En grands titres dans le Berliner Morgenpost, Karla lut que le parti nazi, avec pour leader le chancelier du Reich, Adolf Hitler, avait obtenu plus de 42 % des suffrages au Reichstag. Les députés lui avaient accordé les pleins pouvoirs pour quatre ans. Depuis son élection en janvier, ils ne recevaient que mauvaises nouvelles sur mauvaises nouvelles. L'idéologie de cet homme était singulière et pourtant, elle n'avait pas manqué de faire l'unanimité chez la quasi-totalité des Allemands.
     Karla referma le journal qu'elle déposa sur la table du petit-déjeuner et offrit un minuscule sourire à Harry, assis en face d'elle, qui la dévisageait en mâchouillant sa tranche de pain à la confiture sans grande conviction. Même lui, qui pourtant ne s'attardait pas sur ce genre de chose, avait pu remarquer que son sourire était forcé. Il avait neuf ans, maintenant, et plus rien ne lui échappait.

     Il désigna le journal d'un mouvement de tête.

— Je peux lire ?

— Bien sûr, mon chéri.

     Harry attrapa le journal qu'il ouvrit ; ses petits bras étaient étendus au maximum pour écarter les grandes pages du journal. Karla se mit à sourire mais n'osa pas faire de remarque. Harry n'avait jamais vraiment grandi ; ses jambes se balançaient encore au-dessus du sol même s'il était assis. Ses yeux se déplaçaient de gauche à droite, lisant attentivement une colonne tout en essayant de comprendre ce qui y était dit. Il aimait lire le journal le matin, pour se donner un air important, même s'il ne comprenait pas grand-chose aux termes difficiles qu'ils y employaient, comme par exemple « remilitarisation » ou « chancellerie».

— Qu'est-ce que c'est, NSDAP ?

— Oh, c'est...

        Karla fut interrompue par la porte de l'appartement qui s'ouvre et se referme brusquement.

Ariel ? appela Karla.

      S'ensuivit alors une ribambelle d'insultes provenant de l'entrée. Ariel, son mari, entra en trombe dans la cuisine puis laissa sa mallette de travail s'écraser sur le comptoir avec un bruit sourd. Harry et Karla demeurèrent immobiles et Ariel passa une main anxieuse dans ses cheveux bouclés tout en faisant les cent pas dans l'espace restreint de la salle à manger. Karla tenta une approche douce pour ne pas l'énerver :

— Was ist los, Liebling ?

— Ce qui se passe ? Je vais te dire ce qui se passe, ouais. Ils m'ont renvoyé. Voilà ce qu'ils ont fait.

— Quoi ? Ils n'ont pas le droit, si ?

— Ah, si. Si, ils ont tout à fait le droit. Scheisskerle. D'abord ce Schwein en tête de son misérable parti de droite, puis les boycotts des magasins et maintenant ça ! Ils renvoient tous les Juifs des fonctions publiques. C'est vraiment la totale, cette fois.

— Ariel, insista Karla. Les insultes, s'il te plaît, pas devant lui, supplia-t-elle à voix basse.

     C'était inutile, de toute manière. Harry observait leur échange en finissant sa tartine, ses yeux intrigués suivant chacun de leurs mouvements comme s'il regardait un match de tennis. Ariel passa une main le long de son visage, la laissant plaquée contre sa bouche en signe de profond désarroi et d'exaspération extrême.
      Harry ne comprenait pas l'ampleur ni les dessous du problème, mais savait que son papa était certainement très en colère d'avoir été destitué de son poste d'administrateur civil au ministère.

Plus Haut (if they could fly)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant