Juin 1937 - Blau auf grün

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— Bleu sur Vert —

Avec : L'homme à la cicatrice — Un été en Bavière — Une histoire de poutres les mésaventures de Jack l'Éventreur — et Elsa La Maladroite.


     Il y avait quelque chose à propos des inconnus dans les trains qui intriguait particulièrement Harry : c'est qu'ils semblaient tous avoir une histoire. Il ne se serait jamais douté qu'il en deviendrait un, dans un futur plus ou moins proche.
    Des trains, il en connaîtrait.
    Des voyages aussi.
    Certains plus inattendus que d'autres.


***
    L'été de ses treize ans, Harry subit cette impressionnante poussée de croissance. Louis et lui faisaient la même taille désormais, au centimètre près. Sa voix s'était aggravée, si bien qu'il avait presque honte de parler. Celle de Louis n'avait pour ainsi dire pas évolué en profondeur, mais elle sonnait différemment ; plus enraillée, un peu comme du cristal. Il arrivait qu'elle craque à la fin de ses phrases, ce qui était toujours un peu gênant. Malgré quelques changements inévitables, Louis était toujours aussi beau garçon et Harry se surprenait à l'admirer en silence lorsqu'ils se retrouvaient tous les deux et lorsqu'il ne le remarquait pas. Louis était l'incarnation même du Soleil, et Harry n'avait pas peur de se brûler les yeux. Il se posait beaucoup de questions; il n'avait pas spécialement envie de développer ces nouveaux sentiments envers son meilleur ami. Alors il se contenait, et tâchait d'agir comme si Louis ne l'attirait pas fortement.

    Et ce qui n'arrangerait certainement pas les choses, c'était ces vacances en dehors de Berlin, dans l'ancienne maison du grand-père de Louis, en plein cœur du paysage bavarois, entourée d'herbe et de montagnes. D'après Louis, qui y passait ses vacances chaque année, la maison était grande, remplie de cachettes et de recoins, et se situait près d'un petit étang sur la propriété. En somme, un endroit charmant où passer l'été. Harry y avait été traîné par la force et Karla avait longtemps hésité à le laisser partir. Il n'avait jamais été aussi loin de la maison. Frieda lui promit qu'il serait en parfaite sécurité et que l'air pur lui ferait beaucoup de bien.

    Dans le train, Lotte et Elsa s'amusaient dans leur compartiment et dans les couloirs, jouant à chat autour de leur mère qui les suppliait de rester tranquilles. Frieda était encore enceinte et Louis espérait de tout cœur que ce soit un garçon. Il mourait d'envie d'avoir un petit frère et plaisantait souvent en disant qu'il quitterait la maison si c'était une autre fille. Il aimait et chérissait ses petites sœurs, mais un nouveau garçon dans la famille ne serait pas de refus.

— J'ai acheté à manger.

    Louis revint dans le compartiment qu'il partageait avec Harry et un vieil homme qui somnolait. Il avait empilé la nourriture sur le creux que formait son tee-shirt lorsqu'il soulevait le bas. Il laissa tout tomber sur la banquette et Harry se saisit d'une tablette de chocolat.

— Je peux ?

— Non, tout est pour moi.... Mais oui, Dummkopf, sers-toi.

    Louis s'installa à ses côtés et replaça délicatement sa propre frange d'un geste subtil et délicat, presque féminin. Depuis quelques temps, ses cheveux étaient devenus beaucoup trop longs. Il n'avait jamais autant ressemblé au Soleil.
    Par la fenêtre, on pouvait déjà apercevoir les paysages familiers de la campagne ; de grandes étendues d'herbe et de champs, de pâturages et de bétail qui broute. Louis colla un doigt contre la vitre et désigna une vache au loin :

— Ma prof de maths.

— Puéril.

— Ah ouais. Je peux faire mieux, attends.

    Ils passèrent bientôt devant un troupeau de moutons et Louis se mit à sourire.

— Toi quand tes cheveux sèchent après la douche.

— Respecte-moi, je te prie.

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