Septembre 1941 - Sternenstadt

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— Une ville étoilée —

Avec : Des vêtements ruinés  — Un combat: Harry Steckelberg VS Hugo Rosemann — Un arbre gravé  — Un soldat pas très futé.



En 1941, Harry eut dix-sept ans. En septembre de la même année, Berlin se transforma en une sorte de ciel d'été. Ce genre de paysage que l'on peut apercevoir la nuit lorsqu'on sort des grandes villes, qu'on s'assoit dans l'herbe fraîche de la campagne et qu'on lève les yeux, attentifs.

Des milliers d'étoiles.

Cousues.

Tissu jaune sur robes, chemises et vestons. Dix pfennigs l'unité, arborant le mot « JUDE » tel une insulte.

Si cela n'avait pas été  un moyen de se faire facilement repérer dans la rue avec ces étiquettes, Harry ne se serait jamais plaint. L'étoile jaune cousue contre son cœur l'avait dissuadé de sortir de la maison.

Naturellement, la maison, comme il aimait l'appeler, n'était plus un endroit sûr. Rien n'empêchait les SS d'entrer, de jeter les meubles des Steckelberg par la fenêtre, de traiter Karla de petite pute de juif, et de repartir.

Karla n'était même pas juive.

Harry ne pouvait plus la regarder dans les yeux tant il avait honte, tant il se sentait comme un fardeau. Ariel et lui étaient les principales victimes du régime, mais Karla souffrait de voir sa famille subir de tels traitements.

D'autre part, et sur une note plus légère et agréable, Harry avait grandi pour devenir un très bel homme, sans moins, avec ses cheveux sombres et joliment bouclés, et son regard vert qui fuit quiconque ose le croiser; doux, craintif et même un peu apaisant.

Avant l'instauration de l'étoile jaune, il attirait l'attention de nombreuses jolies demoiselles, et, avec Louis, avait instauré un petit jeu, une compétition pour savoir qui d'entre eux attirait le plus de filles. Louis ne laissait personne indifférent non plus ; il avait bientôt dix-huit ans et savait jouer de ses charmes. Évidemment, ce jeu n'aboutissait jamais à grand-chose. Ils flirtaient à droite à gauche, complices de crime, parfois même ils approchaient une fille à deux, avec leurs mains liées derrière leur dos, mais ils finissaient toujours par repousser les filles à la dernière minute et se retrouvaient ensemble tous les deux, cachés dans les fins fonds du Tiergarten à s'embrasser sans plus aucune gêne ni retenue.

Maintenant qu'il y avait les étoiles, Harry ne valait rien de plus qu'un rat qui longe les trottoirs.

Quand Louis n'était pas là, Harry discutait avec la petite Lotte, qui n'était plus si petite. Elle avait bien grandi, avec ses joues fraîches et rebondies, ses jolies boucles blondes, ses robes ravissantes et ses rubans dans ses cheveux. Elle n'avait que dix ans, mais s'exprimait comme une adulte et était de très bon conseil. Leur amitié fut de courte durée. Frau Teller, pour faire honneur à son mari, avait commencé à mépriser les porteurs d'étoiles en public, et les avait rapidement séparés. Elle ne voulait plus que Harry s'approche de ses filles, mais savait pertinemment qu'elle avait déjà perdu le contrôle sur son fils et lui. Petit, Harry ne représentait pas une menace. En grandissant, il en était devenu une. Après tout, c'était le nom des Teller, leur réputation et leur rang qui étaient en jeu. Tout cela était très important et un inconvénient de cette taille faisait tache -- c'était un véritable sacrilège que le fils des honorables Teller soit vu aussi souvent avec un sale Juif.

Ce soudain changement de vision naquit évidemment de tout l'engouement qu'elle ressentait face à la nouvelle position de son mari. Cela lui avait d'ailleurs valu une dispute du tonnerre avec Karla, qui avait mis un terme définitif à leur longue amitié.

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