Les mondes se sont croisés

Jadwiga /I/

La pièce dans laquelle se trouvait Jadwiga Przezcilia était irréellement grande. L'impression de son immensité était renforcée par le fait que de l'extérieur, elle ressemblait à une vieille cabine téléphonique de police bleue, un peu comme celles qu'on pouvait trouver à Londres dans les années 1960.

L'éclairage était étrange : on avait l'impression que la lumière vacillait, comme si elle allait s'éteindre d'une minute à l'autre. Jadwiga n'était pas très sensible aux émotions des autres et n'avait pas non plus l'âme d'une romantique, mais son instinct lui disait que cette pièce, cette boîte téléphonique, était vivante, et qu'elle souffrait, comme si elle était malade.

Après une grande salle aux décorations impressionnantes et grandioses, que le Maître avait appelée « Salle des commandes », Jadwiga et les autres avaient pénétré dans la « Salle de réunion », cette immense pièce pratiquement vide à l'exception de chaises et de ce que les Moldus appelaient avec émerveillement « Projection d'écran holographique », et qui rappelait aux sorciers un peu la surface transparente et bleutée d'un sort de protection.

Le Maître, qui les avait guidé jusque là, leur avait dit de s'installer et, se tenant debout à côté de son épouse, une belle blonde souriante, était sur le point d'entamer la Réunion des Progressistes (c'était ainsi qu'il appelait ses alliés, considérant qu'ils oeuvraient pour le progrès de la Terre).

« Bienvenue, chers amis, commença-t-il avec une voix agréable et fluide, nous sommes réunis ce jour afin de marquer l'histoire de ce monde à jamais. Parmi nous se trouvent des êtres et des personnes très différents les uns des autres : je suis ravi d'accueillir dans mes rangs des représentants humains de la communauté secrète des sorciers, de grands dirigeants d'organismes à l'échelle mondiale de commerce et de services divers, des membres de l'élite intellectuelle de la Terre, les banquiers sans égal que sont les gobelins, les semi-humains que sont les vampires et les loup-garous et même un membre d'une espèce que je n'aurais jamais cru croiser ailleurs que sur un champ de bataille en raison de l'inimitié éternelle qui lie nos deux races, un dieu de la mort. »

Il s'interrompit pendant un moment, parcourant l'assemblée des yeux et s'arrêtant sur Ryuk. Jadwiga ne pouvait bien sûr pas voir son visage, puisqu'il lui apparaissait comme un Détraqueur, mais le dieu de la mort, aux dernières paroles du Maître, avait sensiblement élargi son sourire ironique sur ses lèvres. Il s'amusait bien, lui, à faire ce qu'aucun dieu de la mort n'avait fait avant lui : créer un pacte avec un seigneur du temps. Pour sûr, cette situation inédite le détournait de son éternel ennui.

« J'ai plusieurs choses à vous dire, reprit le Maître. Premièrement, je voudrais vous parler plus en détail de mon grand projet pour cette planète : vous n'êtes pas sans savoir que ce que nous voulons tous, c'est le pouvoir. C'est d'ailleurs pour ce pouvoir que vous vous êtes joints à moi. En m'aidant à accomplir mes désirs, vous serez plus tard grassement récompensés, que ce soit en titres, en postes de dirigeants ou de conseillers ou tout simplement en or. Lorsque j'aurai pris le pouvoir, vous ferez partie de l'élite la plus privilégiée, et tous vos projets pourront sans aucun problème être mis en œuvre.

Je vous avais dit que, pour le progrès, j'apporterai sur Terre une technologie d'un futur très lointain par rapport à votre époque, si lointain qu'aucun d'entre vous ne pourrait imaginer la quantité de siècles qui vous en sépare. Vous avez été nombreux à me questionner à propos de cette technologie révolutionnaire : avec mon épouse, nous avons décidé de vous la montrer enfin, aujourd'hui. »

Le Maître et sa femme se regardèrent les yeux pleins d'amour, puis le Maître appuya sur un petit bouton sur une machine qui tenait dans la paume de sa main. A l'éblouissement de tous, une vive lumière les aveugla et une sphère en métal noir de la taille d'une tête apparut.