Les mondes se sont croisés

Ryuk /I/

Le dieu de la mort descendit à une centaine de mètres au-dessus de la ville de Katmandu. Les effluves du pouvoir de son deuxième Death Note s'échappaient du centre de la cité du Népal. Le nouveau Kira s'y trouvait.

Tout en flottant lentement au-dessus des petites maisons serrées entre lesquelles fourmillaient des centaines de passants, Ryuk pensait à la bizarrerie de l'esprit humain. Light Yagami, qu'il avait côtoyé pendant quelques temps, voulait éradiquer le crime du monde, mais pourtant, ce faisant, il devenait lui-même un meurtrier. De même, L, le détective chargé d'enquêter sur son cas, n'hésitait pourtant pas à commettre des actes foncièrement immoraux, alors qu'il était censé représenter l'ordre et la loi. Ryuk se demanda si le jeune génie était au courant de la trente-cinquième règle du Death Note:

"Si le Death Note est volé et le propriétaire tué par le voleur, le droit de propriété est automatiquement transmis au voleur."

L avait volé le Death Note et avait tué Light en y écrivant son nom. 

Ryuk était tenu de rencontrer le nouveau propriétaire.

Et c'est pour cela qu'il était là, au-dessus de la ville où le détective s'était réfugié.

Il avait cependant un assez mauvais pressentiment. Tout d'abord, il n'avait pas vu L prendre l'avion, ni aller à l'aéroport. Mais dans ce cas, comment avait-il pu quitter le Japon et se retrouver au Népal en à peine une journée ? 

Deuxièmement, de la ville ne s'échappaient pas seulement les effluves du pouvoir du Death Note. Il y avait autre chose, de moins perceptible pour Ryuk, mais tout de même bien présent. Comme un type de magie ne se nourrissant que de l'énergie cosmique contenue dans l'univers, un type de magie très primitif et fondamental, et pourtant très mystérieux et particulier, surtout pour un dieu de la mort...

Ryuk planait de plus en plus près du sol. Il se trouvait à présent à une trentaine de mètres du toit des maisons... quand soudain, il se rendit compte qu'il ne pouvait plus avancer plus loin. Une puissance qui lui était étrangère lui bloquait le passage.

Profondément surpris, Ryuk voulu reculer, mais à son grand désarroi, il sentit que cela lui était également impossible. 

Il comprit qu'il était piégé, là, à quelques dizaines de mètres du sol.

Le monde autour de lui sembla alors changer, se modifier, devenir différent. Il eut l'impression qu'on venait de l'enfermer dans une dimension à part, d'où non seulement ses actes ou sa magie n'affecteraient personne, mais en plus de laquelle il ne saurait s'échapper.

Il ignorait combien de temps il resta là, en suspens dans l'air de cette prison inconnue.

Le fait est qu'à un moment donné, il sentit une présence derrière lui. Il se retourna.

Le Trouble-fête planait là, avec sa traditionnelle tunique jaune dorée et son crâne de mortelle traditionnellement rasé. Et elle le fixait de ses yeux froids et haineux.

Ryuk avait peur, bien évidemment : le Trouble-fête, malgré son apparence de simple mortel, avait des pouvoirs immenses. De nombreux dieux de la morts avaient été éjectés du monde, ou même pire, emprisonnés à jamais, par l'ordre de ces protecteurs de la Terre, que dirigeait le Trouble-fête. Le cas le plus horrible avait été l'enchainement d'un ancien puissant dieu de la mort, le grand Cthulhu : ce shinigami ambitieux avait pratiquement réussi à lui tout seul à vaincre les seigneurs du temps, durant la grande guerre qui avait opposé leurs deux races. Il avait réussi à s'emparer de la Terre, qui avait toujours été sous la protection des Gallifreyains, et à y instaurer la loi de la Mort. Mais les humains qui se trouvaient alors là avaient résisté, se faisant aider des maitres du temps, et avaient fini par vaincre l'armée des dieux de la mort et emprisonner leur chef avec quelques lieutenants dans des profondeurs obscures. Puis, ils avaient fondé un ordre chargé de protéger la Terre des invasions extraterrestres magiques, à la tête duquel siégait le Trouble-fête, comme l'appelaient les dieux de la mort.

Mais Ryuk, ne laissant rien paraître, lança une pique à son interlocutrice :

"Le jaune vous va très mal, madame. Je vous conseillerais de changer de tunique, à l'avenir... et aussi de vous laisser pousser les cheveux, ça fera plus joli.

- Dieu de la mort, clama celle-ci sans se laisser désarçonner. Que faites-vous dans le monde des mortels, vous et votre Instrument des Ténèbres ?

- Bah, vous savez, on s'ennuie, chez nous. Toute la journée, on ne fait que jouer aux osselets... avec de vrais os... et ça devient vite assez répétitif.

- Vous n'avez rien à faire là, Créature Immonde. Reprenez votre Death Note et repartez d'où vous venez.

-J'aimerais beaucoup vous obéir, cependant, cela m'est impossible...

- Comment cela ?"

Ryuk élargit son sourire, satisfait d'avoir réussi à étonner son interlocutrice.

" Vous n'avez donc pas lu les règles ? Je les avais pourtant si soigneusement inscrites dans le Death Note...

- Je refuse le moindre contact avec cette souillure abominable que représente ce cahier...

- Dommage pour vous. Vous auriez pu apprendre que L Lawliet est désormais le nouveau propriétaire du Death Note."

Un silence s'abattit entre eux. L'Ancien (car c'était ainsi que l'appelaient les humains) ne laissait rien transparaitre, mais le shinigami voyait bien qu'elle était en plein conflit intérieur. 

Visiblement, elle ne savait pas qu'il suffisait de demander au dieu de la mort pour se débarrasser de son droit de propriété sur le Death Note. Et Ryuk n'allait certainement pas le lui révéler.

" Je suis tenu d'apparaitre devant L dans les trente-neuf prochains jours, lui dit-il encore. 

- Vous pourriez retarder au plus tard possible votre venue ? ne put s'empêcher de le prier la magicienne. Enfin, je veux dire, je vous empêcherai le plus longtemps possible...

- Oui oui, je sais. Vous avez peur pour ce petit humain, pour sa santé mentale, les remords, la conscience, toutes ces futilités de mortels. Soit, je viendrai le dernier jour de votre délai.

- De toutes manières, vous êtes sous mon emprise, Chose Ignoble. 

- Mais vous ne pouvez tenir cette dimension éternellement, fit remarquer Ryuk. Il y a des limites à votre pouvoir... comme à tout, d'ailleurs.

- Je peux néanmoins vous empêcher de vous approcher de la ville !

- Je m'y tiendrai, pas d'inquiétudes."

Après un dernier regard suspicieux, la femme au crâne rasé exécuta quelques gestes complexes de la main, fit apparaitre un portail dimensionnel et s'en alla.

"Sympa, la petite discussion !" lui lança encore Ryuk alors qu'elle partait.

Le portail se referma dans un crépitement d'étincelles, et le dieu de la mort sentit qu'il était revenu dans la dimension normale et qu'il avait retrouvé sa liberté de mouvements. Alors, jetant un regard aux maisons en-dessous de lui, il se retourna et s'envola.

L ne perdait rien pour attendre...