Eragon /II/

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L'homme, encore jeune, remua dans son sommeil en grommelant quelques paroles incompréhensibles. Près de lui, une forme imposante bougea également, lentement, comme pour ne pas réveiller l'humain.

Cette précaution fut cependant inutile : le jeune homme se réveilla en sursaut.

Le jour n'était pas encore levé. On n'y voyait quasiment rien. L'homme regarda à droite puis à gauche : ses yeux perçants étaient capables de discerner tout ce qui l'entourait. Il s'attarda un peu sur la grande forme pâle qui avait remué à côté de lui. Celle-ci releva la tête. Une grande tête de dragon, d'une magnifique couleur azurée.

Aucune parole ne fut prononçée, pourtant les deux êtres s'étaient parfaitement compris : le dragon s'accroupit, laissant l'humain sauter lestement sur son dos. Il battit ensuite des ailes, et décolla.

Le jour s'était à présent quasiment levé. On pouvait distinguer les traits de l'homme. À vrai dire, il ressemblait davantage à un elfe : une peau pâle et lisse, un visage aux traits nets et anguleux, des yeux en amande comme ceux d'un chat et des oreilles effilées. Ses cheveux et ses yeux étaient de couleur marron et sa silhouette mince et musclée. 

Le dragon, quant à lui, était particulier de par sa couleur flamboyante : le bleu du ciel paraissait bien terne en sa comparaison. Il n'était pas excessivement grand, et avait une forme très aérodynamique, grâce à laquelle il fendait l'air avec une facilité déconcertante. Ses immenses yeux saphirs scrutaient le paysage qui défilait sous son ventre avec curiosité.

Plusieurs heures s'écoulèrent ainsi, le Dragonnier et son dragon filant en ligne droite par les airs. Ils n'émettaient aucun son, pourtant, la scène donnait l'étrange impression qu'ils débattaient avec ferveur par un moyen de communication mystérieux.

L'heure la plus chaude de la journée arriva. La température devait avoisiner les 40°C sous le soleil. Le paysage, au fur et à mesure que les deux avançaient, devenait de moins en moins boisé, de plus en plus désertique et hostile. Il n'y avait pas encore de sable, mais la végétation se limitait à présent à des arbustes rabougris et des buissons épineux. 

Les deux voyageurs semblèrent abandonner leur discussion, et le dragon plongea vers le sol, vers un petit ruisseau qui sinuait avec difficulté entre la végétation sèche et les pierres chaudes couvertes de lézards. 

L'immense reptile volant s'accroupit pour pouvoir lapper l'eau qui défilait devant lui, mais l'humain elfique, malgré la chaleur étouffante, partit un peu à l'écart, comme pour se promener. 

Il avait senti quelque chose d'anormal dans cette région désolée : une présence humaine.

En effet, Eragon (car tel était son nom) avait la capacité de ressentir l'énergie vitale de tout ce qui l'entourait, et au besoin, de pomper dans cette énergie. Là, alors qu'il voulait simplement se redonner des forces en utilisant la vitalité des lézards et autres bestioles qui l'entouraient, il était tombé sur une source bien plus puissante : un humain, sans aucun doute.

Il se dirigea à pas rapides vers cette source. D'après ce qu'il avait vaguement pu ressentir, l'humain ne semblait pas vraiment en forme... Il espérait ne pas arriver trop tard. 

À pas feutrés, Eragon dépassa les quelques arbustes et buissons rabougris qui peuplaient ce morne paysage. Sa vue acérée lui permettait déjà d'apercevoir une silhouette alongée sur le sol, à aux moins trois cent mètres devant lui.

C'était effectivement un humain, un homme, presque encore un adolescent. Il avait une touffe de cheveux noirs et portait des vêtements étranges, dont la matière était inconnue au Dragonnier.

Quelques secondes plus tard, ce dernier se tenait accroupi face à ce corps évanoui. Heureusement, l'humain n'avait pas l'air particulièrement blessé, juste à bout de forces. Eragon ignorait totalement à quel peuple l'homme pouvait bien appartenir, mais ce qui était sûr, c'est qu'il ne venait certainement pas d'Alagaësia.

《On ne peut pas le laisser ici, Saphira.》

《J'étais sûre que tu allais dire ça... mais tu te rends quand même compte que JE vais devoir le porter sur MON dos, et avec cette chaleur !》

《Saphira... 》

《Oui, bon d'accord, on le prend avec nous... Mais qui sait de qui il s'agit ? Si ça se trouve, c'est un dangereux kidnappeur qui voudra te voler et te vendre !》

《Ce serait plutôt un dragon qu'il volerait s'il voulait se faire de l'argent...》

《Moi ? Mais il m'aura jamais, voyons !》

À ce moment là, l'humain sortit de son état inconscient et entre-ouvrit les yeux avec difficulté. Il balaya du regard ce qui se passait devant lui, tenta de parler sans toutefois parvenir à émettre le moindre son à cause de sa gorge désséchée. 

《Que t'est-il arrivé, petit homme ?》 interrogea Saphira par télépathie.

"Vous allez bien ?!" demanda Eragon avec inquiétude.

L'inconnu ne parvint cependant pas à parler, et s'évanouit à nouveau. 


Environ deux heures avaient passé. Le dragon fendait rapidement les airs, en ligne droite, au-dessus des terres désertiques. Eragon, sur son dos, quant à lui, tentait de maintenir en vie l'étranger qu'ils avaient recueilli : il pompait pour lui l'énergie vitale des quelques cactus et bestioles qu'ils survolaient. L'état de santé de l'humain s'était à peu près stabilisé, mais il demeurait évanoui, comme si quelque chose drainait toutes ses forces. 

《C'est étrange, fit Eragon à l'encontre de son amie, on dirait qu'il a pratiqué un sort d'une puissance phénoménale... sauf qu'au lieu que ça ne le tue tout de suite, il rend la puissance qu'il a dû utiliser au fur et à mesure.》

《Personne ne peut faire ça ! On ne demande pas à la magie de nous faire un prêt pour qu'on le rembourse plus tard !》

《Je sais bien ! Mais c'est la seule explication possible...》


Cette situation dura pendant trois jours. Le quatrième jour, cependant, Eragon, grâce à sa vue améliorée par les elfes, vit au loin une chaine de montagnes.

Les mondes se sont croisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant