Les mondes se sont croisés

Saphira /II/

La dragonne battit trois fois de ses grandes ailes bleues pour s'élever. Elle contemplait à présent la petite chaine de montagnes quasiment dans son ensemble. Le lieu semblait sauvage et inhabité - pour quelqu'un qui n'aurait pas été au courant des innombrables galeries façonnées par les nains au cœur de la roche.

Saphira tourna son regard vers l'ouest. Comme à son habitude depuis les dix jours qu'ils se trouvaient là, elle aperçut au loin, grâce à son regard aiguisé, une montage se dressant haute et solitaire dans la brume environnante. Sans savoir pourquoi, quelque chose l'attirait vers ce pic abandonné, comme une forme de magie, puissante et mystérieuse, une magie qu'elle n'avait jamais ressenti en terre d'Alagaësia auparavant...

《Saphira ? Où es-tu ?》 fit une voix bien familière dans son esprit.

La dragonne soupira mentalement, un peu vexée d'avoir à redescendre de sa hauteur vertigineuse. Elle détourna néanmoins son regard de la montagne qui la fascinait tant, et plongea en piquée. 

《J'arrive, petit homme !》

Lorsqu'elle l'eût rejoint, quelques centaines de mètres plus bas, elle aperçut l'autre humain en sa compagnie, celui qu'ils avaient recueilli mourant dans le désert. C'était la première fois depuis son réveil qu'il sortait. Il se tenait à côté d'Eragon, le corps un peu recroquevillé, sur une saillie rocheuse à près de mille mètres d'altitude, humant l'air froid de la montagne avec curiosité. 

"Bonjour Saphira !" s'exprima-t-il dans le langage de l'Alagaësia, un léger sourire aux lèvres.

Il avait un très léger accent, mais la dragonne était tout de même impressionnée : ça faisait à peine plus d'une semaine qu'il avait commencé à apprendre leur langue, et il y arrivait à présent presque couramment, à en juger d'après quelques unes de ses pensées qu'elle saisissait à la surface de son esprit. 

Elle voulut lui répondre par télépathie.

《Non, Saphira》 intervint Eragon dans sa tête. 《Il m'a demandé à ce qu'on évite si possible de lire dans ses pensées, pour l'instant. J'avais déjà essayé, mais il m'a violemment rejeté... je ne savais même pas qu'un simple humain pouvait déployer une telle force mentale.》

Saphira s'étonna : pourquoi son Dragonnier ne lui en avait-il pas fait part avant ? Il était vrai qu'ils n'avaient que très peu communiqué, ces derniers jours : tandis que la dragonne avait survolé la région, histoire d'explorer un peu les alentours, son ami était resté dans les galeries des nains et en compagnie du nouveau venu aux yeux sombres et aux cheveux noirs. Mais tout de même...

"Vous êtes un très beau dragon, je trouve !" fit alors l'inconnu, à l'agréable surprise de Saphira, qui ne se lassait jamais d'être complimentée. 

《Dis-lui que je le remercie》ronronna mentalement l'intéressée à l'intention d'Eragon.

Et, pour impressionner encore davantage l'homme, elle fit gonfler ses écailles comme des plumes et battit élégamment des ailes.

Un large sourire naquit sur le visage du petit nouveau, les yeux brillants d'admiration. Il ressemblait à un enfant face à un immense tas de bonbons !

Eragon éclata de rire devant cette scène.

《Franchement, tu dépasses les limites de la coquetterie, là ! Encore un peu, et il va finir par te prendre pour une déesse !》

《Où serait le mal à cela ?》 se défendit-elle. 《Ma beauté est si éblouissante qu'elle mérite un culte en son nom !》

《Pffff...》

《Serais-tu en train de me contredire ? Ne crains-tu donc pas ma colère dévatatrice ?!》

《..... sérieusement ?》

L, pendant ce temps, assistait à ce dialogue muet les yeux grands ouverts d'incompréhension.

Un peu plus tard dans la journée, Saphira s'enfonçait aussi silencieusement qu'elle le pouvait dans les plus larges des couloirs nains, à la suite d'Eragon et du nouveau venu. Ces derniers discutaient.

"J'ai exploré ces grottes pendant que tu étais inconscient. J'ai réussi à trouver une salle au trésor, mais quasiment vide, mis à part quelques pièces d'argenterie et du parchemin brûlé sur les bords.

- Un morceau de parchemin ? Et que disait-il ?

- Je n'en sais rien, je n'ai jamais vu cette écriture avant. Tu le sais, je te l'avais dit : nous ne venons pas de ce continent, Saphira et moi. On a voyagé longtemps, survolé la mer et le désert, avant d'arriver ici.

- Oui je sais. Mais on ne sait jamais : il aurait pu être possible que le langage soit semblable, ici ainsi que là d'où vous venez."

Les bruits de leurs pas comblèrent le temps de silence.

"Mais d'ailleurs, puisqu'on en parle : pourriez-vous m'apprendre la lecture et l'écriture dans votre langue, Eragon, je vous prie ?"

Étant donné la vitesse fulgurante que cet inconnu avait montré lors de l'apprentissage oral du langage, pensa Saphira, il ne faisait aucun doute que, d'ici un jour ou deux, il saurait également lire et écrire. Bien qu'elle n'ait pas tenté de pénétree son esprit, la dragonne pressentait son intelligence hors normes, comme une aura puissante tout autour de lui.

《L'as-tu questionné sur son identité, petit homme ?》 interrogea-t-elle mentalement son ami.

《Il ne désire pas en parler, malheureusement. Mais ça ne fait rien : je pense qu'il a bon fond, et qu'on peut lui faire confiance !》

Saphira émit un piaffement suspicieux. Elle espérait qu'Eragon ne se montrait pas trop imprudent, dans cette affaire...

Elle immergea sa conscience dans celle de son maître, tout de même curieuse. Elle ressentait en lui quelque chose d'un peu inhabituel, vis-à-vis de ce petit étranger humain. Il fallait qu'elle en ait le cœur net...

《Eh ! Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ? 》 s'aperçut Eragon de sa prēsence indésirée. 《Sors de là, je ne veux pas que tu fouilles mon cerveau comme si c'était une vieille armoire à chaussettes ! Allez, du balais !》

Vexée, la dragonne dut néanmoins cesser son intrusion mentale. Hmm... en ça, en tous cas, il n'avait pas changé ! Ses barrières étaient toujours tout aussi efficaces qu'avant.

"Mais donc, il n'y a pas d'habitants, ici ? Nulle part ? intervint alors soudainement L, qui n'avait pas pu suivre ce qui venait de se passer entre le Dragonnier et son dragon. Pourtant, quelqu'un a bien dû construire ces tunnels !

- Oui, en effet. On dirait un travail d'ouvriers nains. 

- Des nains ?

- Tu ne sais pas ce que sont les nains ?

- Euh... si, plus ou moins, oui... disons que là d'où je viens, ce sont plutôt des créatures légendaires..."

Saphira et Eragon se regardèrent, surpris : les nains avaient beau être rares, par endroit, mais nulle part ils n'étaient vus comme des créatures mythologiques ! 

D'où pouvait bien provenir ce petit inconnu ramassé dans le désert ?