A fleur de peau [SM]

Chapitre 3 - Un dernier au revoir

Le plafond de ma chambre, bien que blanc et inintéressant, va me manquer. J'ai pensé et réfléchi à tellement d'éléments de ma vie en le regardant. Dans un sens, nous avons vécu des choses tous les deux et bien qu'il ne soit pas vivant, le quitter me rend nostalgique. Mais je dois partir, dire adieu à l'adolescent détruit qui est resté enfermé dans cette chambre bien trop longtemps.

— Shawn, dépêche-toi ! On doit aller à l'aéroport je te rappelle ! me crie ma mère en bas des escaliers.

— J'arrive !

Un dernier coup d'œil à ma chambre, histoire de l'imprimer dans ma mémoire pour m'en souvenir si jamais le mal du pays me gagne, et referme la porte en bois. Derrière elle se trouve désormais mon passé. Je dois parvenir à laisser ici mes souffrances, mes incertitudes, mes peurs, et partir le cœur léger vers un horizon plus radieux.

Mes parents, tous les deux réunis en bas du grand escalier en colimaçon donnant sur le hall d'entrée, me regardent descendre les marches une à une. Leur sourire ne trompe pas, ils sont heureux de me voir revivre. Malgré la tristesse de mon départ, du manque que je vais créer dans cette grande maison, je sais qu'au fond ils sont soulagés. J'ai finalement pris conscience il y a peu que se morfondre ne servait à rien. J'ai la chance de pouvoir vivre normalement alors pourquoi me priver de ce plaisir ? Pour le regard d'abrutis finis ? Plus jamais je ne me laisserai influencer par les paroles ou les jugements de ces personnes avec un petit pois à la place du cerveau.

Plus jeune, j'aimais faire des rencontres, parler aux autres. Ce qui me plaisait chez mes semblables était leur diversité. Chacun avait quelque chose de différent à offrir. Et puis est arrivé ce stupide accident qui m'a fait réaliser que l'être humain n'avait en fait que de la haine et de la souffrance à partager. J'ai eu la malchance de découvrir le côté sombre de la société, me dégoutant des autres de mon espèce durant de longues années. Il m'a fallu des heures interminables de réflexion, d'acceptation, et un soupçon de relativité pour comprendre que, finalement, les autres n'avaient pas changé. C'était moi.

— Regardez-moi ça ! Mon fils qui s'en va à l'université ! s'enthousiasme mon père.

— Papa, c'est bon, pas besoin d'en faire tout un plat.

— Tu rigoles ?! C'est un moment historique dans la vie d'un jeune garçon.

— Ton père à raison, laisse-moi te prendre en photo ! renchérit ma mère.

Face à leur motivation pour rendre ce départ exceptionnel, je capitule et pose ma valise. Je fourre mes mains dans les poches de ma veste et tente un timide sourire.

— Un petit effort, chéri, je veux de la joie sur cette photo !

— Tu sais que je déteste les photos, maman !

— Promis juste une !

Je souffle et obtempère. Je veux simplement finir ce shooting au plus vite et que nous n'en parlons plus. S'il y a bien une chose que je n'aie toujours pas accepté, c'est de me voir. Que cela soit sur un cliché ou simplement dans le miroir, je n'arrive pas encore à me regarder. C'est comme si la réalité me sautait au visage à chaque fois. Qu'elle était un petit monstre s'accrochant à mes épaules et me rappelant sans cesse : « eh oui, tu es moche maintenant ! ». C'est trop dur pour le moment.

— Voilà ! Elle est parfaite celle-là !

— Si tu le dis. Bon allez on va être en retard sinon !

J'attrape mes affaires et me dirige vers l'extérieur. Un taxi nous attend, ma mère et moi, au bout de l'allée. Malgré toutes mes paroles rassurantes, elle a tenu à m'accompagner jusqu'à Denver afin de s'assurer de ma bonne installation. Etant donné que ce sont mes parents qui me paient le logement ainsi que tous les frais annexes, je ne peux pas les mettre de côté. Heureusement, ayant reçu de l'université de Denver une bourse couvrant la totalité du prix de mes études, j'ai pu m'éviter celle de Toronto que mes parents avaient soigneusement choisi. Sans elle, j'aurais été dans l'obligation d'aller là où ils auraient voulu me payer les frais de scolarité. Autrement dit, rester près d'eux.