A fleur de peau [SM]

Chapitre 34 - Laisser gagner les ténèbres

Assis au bord de la scène, j'accorde ma guitare sous les regards curieux des passants. Derrière moi, le reste du groupe installe et règle eux aussi leurs instruments. Depuis la phrase choque que j'aie lancé au restaurant, un silence pesant plane entre nous. Avianna n'ose même plus affronter mon regard, elle fuit sans cesse lorsque j'essaie d'attirer son attention. Je comptais écouter les conseils de ma mère et lâcher prise, offrir mon cœur à la belle rousse qui a su le conquérir, mais elle ne semble plus disposée à le recevoir. Mes paroles ont dû la blesser, elle doit certainement croire que je veux à nouveau m'éloigner d'elle. Cependant elle se trompe, c'est tout le contraire, mais je ne sais pas comment le lui faire comprendre.

Je n'ose pas lui avouer que j'aimerais que l'on me remarque. Cela ferait trop prétentieux, trop imbu de ma personne alors que j'en suis l'exacte opposé. Je ne veux pas qu'elle est cette fausse image de moi. Toutefois, en ne lui révélant pas mes raisons de préférer chanter seul, je ne lui montre pas une meilleure facette. Quoi que je puisse faire ou dire, le résultat reste le même. Je fais du mal à une personne que j'aime.

Peut-être ne suis-je bon qu'à cela ? Causer du tort aux seules femmes qui ont su déceler ma beauté. Je ne suis qu'un sombre idiot, je ne mériterais même pas qu'un public me regarde, je n'en vaux pas le coup. Ma place n'est pas sous le feu des projecteurs, je n'ai rien à faire sur le devant de la scène. Les monstres ne sont bons qu'à être enfermés, cachés dans la pénombre de la nuit afin d'épargner le reste du monde de leur hideuse apparence. Je n'ai rien à faire ici.

— Shawn, où est-ce que tu vas ? m'interpelle Grant alors que je m'éloigne de la scène, ma guitare sous le bras.

Je ne lui réponds pas et continue ma route, abandonnant mes amis à quelques minutes du concert. Je me dis que je ne suis qu'un lâche de les laisser en plan, mais cette pensée est bien vite chassée par mes démons qui tentent à nouveau de noircir mon cœur. Je m'en veux d'avoir été aussi horrible avec Avianna, elle mérite tellement mieux qu'un garçon comme moi. Elle, elle a su changer, tirer un trait sur son sombre passé. Moi, j'ai cru avancer alors que je ne suis pas parvenu à franchir la ligne de départ.

Rien n'a évolué. Je suis toujours le même, mon visage est aussi laid que mes mots, que mes pensées. Le Shawn ayant causé du tort à sa mère est train de réitérer l'expérience avec Avianna. Seulement cette fois est encore pire que la première, car je n'ai même pas conscience du mal que j'inflige. Je ne m'en rends compte qu'après, une fois que le poignard a déjà été lancé et qu'il est impossible d'arrêter sa course.

Je me réfugie dans le seul endroit où je me sens bien : le camping-car. Je m'empresse de regagner mon lit afin d'observer le plafond blanc qui m'est familier. J'essaie désespérément de me concentrer sur cette couleur soi-disant rattachée à ce qui est bon, au paradis. Je m'y accroche alors que tout s'assombrit autour de moi. Je veux garder la tête dans les nuages, ne pas me faire happer par les entrailles lugubres de la terre. Seulement aujourd'hui, je ne parviens pas à me battre. Avoir fait du mal à Avianna me donne la nausée, j'ai envie de vomir la part de tarte ingurgitée un peu plus tôt.

A la hâte, je quitte les hauteurs de mon lit pour gagner la poubelle se trouvant à côté du lavabo. Mon estomac se vide dans le sac plastique, un goût acide me brûlant la gorge. J'allume le robinet afin de me nettoyer la bouche, mais ne fais pas attention à la chaleur de l'eau. La personne, s'en ayant servi la dernière, l'a laissé sur le tiède. Il n'en faut pas plus pour que le liquide me paraisse aussi chaud qu'une casserole en ébullition. Un cri de douleur retentit dans l'habitacle lorsque l'eau s'abat sur ma bouche, je me recule si rapidement que j'en viens à basculer en arrière. Assis sur le sol du camping-car, au son de l'eau coulant toujours dans l'évier, je n'ai plus que mes yeux pour pleurer.