Chapitre 37 - Une leçon d'amitié

343 50 51
                                    


Un calme religieux règne en maitre sur le parc national de Yellowstone alors que le soleil est sur le point de se réveiller. En ce vingt-quatre décembre, la neige a recouvert de blanc le paysage que je contemple depuis l'immense balcon principal de l'hôtel.

Assis confortablement sur un rockingchair, je laisse la nature apaiser mon appréhension. Ce soir, nous avons été choisis pour animer le repas de noël du Old Faithful Lodge. En échange, nous sommes nourris et logés dans cet imposant hôtel fait de bois et de grosses cheminées en pierre, imitant le style des chalets traditionnels de montagne. Cette incroyable opportunité nous a été offerte par le directeur en personne de ce lieux magique, ce dernier vivant dans la dernière petite ville où nous avons fait une représentation.

Depuis ma bourde où j'ai lamentablement abandonné mes amis, les jours sont passés à une vitesse folle. Sans m'en rendre compte, bien trop occupé à me faire pardonner tout en enchainant les concerts dans les petites fêtes de village, Noël est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Mes relations avec les membres du groupe ont beau s'être améliorées, aujourd'hui je ne me sens pas très bien. Ne pas pouvoir passer les fêtes en compagnie de ma famille me rend plus triste que je ne voudrais l'admettre. Cela va faire plus de quatre mois que je n'ai pas vu mes parents et ils me manquent terriblement. Je n'ai jamais été séparé d'eux aussi longtemps.

— Wow, qu'est-ce qu'il fait froid, dit une petite voix que je reconnais immédiatement.

Je ris alors que Karlie frotte énergiquement son corps dans l'espoir de se réchauffer. Emmitouflée sous une épaisse couche de vêtements, elle parvient tout de même à grelotter, son nez étant déjà rouge alors qu'elle vient à peine de me rejoindre. Bien trop frigorifiée, elle ne s'assoie pas et préfère marcher afin de rester en perpétuel mouvement.

— Comment tu fais pour ne pas être complètement congelé ?

— L'habitude je dirais, réponds-je sans être véritablement convaincu. Mais tu n'es pas venue dans ce froid simplement pour me poser cette question, non ?

— En effet, souffle-t-elle, laissant apparaitre un voile de fumée devant son visage.

— Je t'écoute dans ce cas.

— Tu promets de ne pas t'énerver ?

— Évidemment, la rassuré-je, légèrement inquiet de ce qu'elle va m'annoncer.

— Ces derniers jours je t'avoue que je ne sais plus très bien qui tu es.

Un pincement au cœur me fait me redresser sur ma chaise. Depuis que j'ai embrassé Avianna pour la première fois j'ai bien conscience que je ne suis plus exactement la personne qu'ils ont rencontré dans le parc de l'université. Je me sens beaucoup plus libre, épanoui, alors je m'octrois davantage de liberté que je n'aurais jamais osé avant cela. C'est la première fois depuis longtemps que je me sens aussi bien, mais j'ai l'impression que ce « moi amélioré » bouleverse un peu trop mes amis.

— Je suis désolé, murmuré-je sans savoir quoi dire d'autre.

— Oh non, ne le sois pas ! Je ne voulais pas dire que je ne te reconnaissais plus, tu es toujours un formidable ami, c'est juste que te voir plus ouvert à la vie me perturbe. Avant, tu étais un peu comme moi, c'est pour ça que je me suis directement bien entendu avec toi. Mais maintenant, tu es plus comme eux.

— Comme eux ? l'interrogé-je, perdu.

— Avianna, Grant et Juan. Tu ne te caches pas, tu t'acceptes et tu es beaucoup plus avenant. J'aimerais bien être comme vous.

— Karlie, chuchoté-je, attendri par son aveu. Je ne suis ni Grant, ni Avianna, ni Juan. Je suis juste Shawn.

Mes mots ne semblent pas l'avoir convaincu à en juger par sa moue qui me soupçonne de ne pas tout lui révéler. Pourtant, je suis sincère. Je n'ai rien à voir avec eux, ni avec elle d'ailleurs. Jamais je ne garderais un flegme en toute circonstance comme Grant. Jamais je ne ferais du mot « putain » le principal de mon vocabulaire comme Juan. Jamais je n'irai voir un étranger et ferais une blague sur son physique comme Avianna. Jamais je ne cacherais mes chansons aux autres comme Karlie. En revanche, il m'arrive encore de détourner le regard en apercevant mon reflet, d'avoir du mal à être un bon ami ou bien oublier que dans les douches communes des campings je ne suis pas seul et qu'on m'entend chanter un peu trop fort. Comme Shawn, comme moi.

A fleur de peau [SM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant