Chapitre 31 - Continuer d'essayer

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Le jour est déjà levé sur la ville de Cheyenne et ses environs. Un épais brouillard d'hiver englobe la capitale du Wyoming alors qu'elle se réveille doucement. Le gel, habitant immuable de la dernière saison de l'année, recouvre notre camping-car et tout véhicule ayant passé la nuit dehors. Les nuages gris flottant au-dessus de nos têtes indiquent que les premières neiges feront leur apparition soit aujourd'hui, soit dans les jours qui suivront.

Ce climat hostile me rappelle celui de mon pays et avoir appelé ma mère hier soir ne fait qu'augmenter mon sentiment de nostalgie. Je me revois dix ans en arrière avec elle, main dans la main sur le chemin de la patinoire. Afin d'être les premiers sur la glace, il fallait partir assez tôt et comme aujourd'hui, une brume épaisse noyait la ville. La CN Tower avait la tête dans les nuages, au sens propre du terme. J'ai cru pendant longtemps que le ciel l'avalait avant de la recracher dans la journée, lorsque le brouillard se dissipait. Ma mère n'a fait que nourrir cette drôle d'idée en allant dans mon sens, me confortant dans mes propos. Alors le jour où j'ai compris l'absurdité de mon imagination, je suis tombé des nus.

— Au lieu de sourire comme un idiot, viens plutôt m'aider à gratter ce putain de gel ! crie Juan au loin déjà attelé à la tâche.

J'enfile mes gants et ferme mon blouson, ressassant une dernière fois ce doux souvenir du passé. Je dois admettre qu'elle et mon père me manquent. Je pensais aller les voir pour Noël, mais je me suis rendu compte que ce ne sera malheureusement pas possible. Nous venons à peine d'entamer une folle aventure, abandonner mes compagnons de route n'est pas envisageable. C'est pour cette raison que j'ai téléphoné à ma mère hier soir, je devais lui annoncer mon absence pour les fêtes. La voix tremblante, je craignais de la décevoir. Je lui avais déjà bien assez causé de peine comme ça, il était hors de question de l'attrister à nouveau. Cette période sombre de ma vie était terminée.

A mon plus grand soulagement, elle s'est montrée très compréhensive. Son ton, habituellement doux et chaleureux, était agrémenté d'une pointe de fierté qui a fini par balayer tous mes doutes. Elle était heureuse parce que j'étais heureux et ça, c'était le plus beau cadeau de Noël qu'elle pouvait me faire.

Grattant toujours assidument le parebrise du camping-car, Juan me vocifère des ordres. Je quitte le porche et le rejoints, prenant soin de ne pas glisser sur les plaques de verglas. Il me tend un grattoir avec lequel je commence à enlever le gel sur la partie droite de la grande vitre. Plusieurs fois, je me fais rappeler à l'ordre alors qu'il me juge trop brusque avec son « bébé ».

— Une seule rayure et t'es un homme mort !

— Si t'as tant peur, pourquoi tu me demandes de t'aider ?

— T'as vu la taille du parebrise ? On y est encore demain si je le fais tout seul !

Il essaie d'accélérer la cadence, ses mains devenues rouges par le froid ne tiendront pas longtemps dans ce climat hivernal. Je retire mes gants et les lui tends. Pour ma part, la température ne me dérange absolument pas, au contraire, son exquise caresse atténue tous mes mots. Je suis comme Bucky dans Avengers, mon comics préféré, un soldat de l'hiver mais dont le pouvoir est de résister aux plus basses températures.

— Je suis mexicain alors tu crois que je suis incapable de résister au froid ?

— Pas du tout, juste que tes mains sont rouges et que je ne voudrais pas qu'elles tombent.

— Mes parents n'avaient pas de quoi m'acheter des vêtements chauds alors le froid, je gère, tente-t-il de mettre un terme à notre discussion.

— Lorsqu'elles tiennent des baguettes, tes mains valent de l'or. Tu dois en prendre soin.

Le souffle bruyant qu'il échappe laisse une trace de buée sur la partie de parebrise dégivrée. Il se tourne dans ma direction, les sourcils froncés et les lèvres pincées. D'un geste rapide, il saisit mes gants et me fourre en échange son grattoir. Visiblement agacé, il les enfile sous mon air amusé. Nos conversations sont toujours aussi compliquées, mais dès qu'il s'agit de musique, Juan est beaucoup moins farouche. Nous nous accordons au moins sur un point.

A fleur de peau [SM]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant