Partenaires Particuliers

onze.

Paris, c'est beau.

C'était exactement ce à quoi je m'attendais. Une ville qui brille de mille feux, rien que pour nous.

On a beaucoup marché, on s'est perdus dans des petites ruelles, on est entrés dans toutes les boutiques qui nous interpellaient, même les plus louches. On a mangé n'importe quoi. Mais j'étais content, parce qu'il mangeait un peu. Je l'ai traîné jusqu'en haut de la tour Eiffel et je l'ai embrassé, là, devant tous les touristes : on était les plus gros clichés du vingtième siècle. Le soir, on s'est retrouvés dans une boîte latino. Je ne m'attendais pas à ce qu'il sache danser la lambada, mais Louis est plein de surprise. Ça ne m'avait même pas dérangé qu'il l'ait dansée avec une fille. Sa jupe virevoltait avec ses mouvements, lui il la rattrapait adroitement, chaque deux temps. Il s'amusait trop et le voir heureux me rendait heureux. Sans compter que moi aussi, j'ai dansé avec une fille. Ce n'était rien, on changeait de partenaire comme on change de chemise, et c'était ce qu'il y avait de plus beau. Je restais toujours son partenaire particulier, et lui, le mien, et c'était vers moi qu'il revenait, à la fin.

  À une heure du matin, on n'était toujours pas rentrés. On traînait dans les rues, complètement bourrés, on rigolait, on courait, on dansait dans les ruelles sombres. Le ciel était noir, parsemé d'étoiles, il ventait, dans mes cheveux, dans les siens. On chantait Aznavour, nos voix résonnaient dans les rues de Paris et on emmerdait les gens à coup d'Emmenez-moi au bout de la terre, au pays des merveilles, parce qu'il nous semblait que la misère serait moins pénible au soleil.

    On passait d'un métro à l'autre sans trop savoir où on allait. On s'est retrouvés dans le quartier de la Défense, dans une gigantesque aire ouverte devant le centre commercial des Quatre Temps, tout illuminé, là où le vent soufflait si fort qu'on aurait pu s'envoler. Il n'y avait absolument personne. On dansait comme des débiles, sans musique, on fredonnait ce qui nous venait en tête. Il m'a sauté au cou comme s'il était sûr que je n'allais pas tomber à la renverse sous son poids. J'ai passé mes mains sous ses cuisses pour le maintenir là. Je le maintenais un peu en hauteur, et pour la première fois, il était plus grand que moi. Ses pieds étaient croisés contre le bas de mon dos et son front était contre le mien. J'ai essayé de danser, il m'a dit d'arrêter parce que j'allais le faire tomber. Il riait, et c'était mon rire préféré, celui qui fait plisser ses yeux. Alors je n'avais pas eu le choix, c'est sorti tout seul.

« Je t'aime. »

   Ça lui a pris un moment pour traiter l'information. Ça lui a fait perdre son sourire, petit à petit, jusqu'à ce qu'il disparaisse complètement. Il me regardait d'un air grave. Et tout à coup, je suis redevenu conscient du monde qui nous entourait. Du vent, du bruit, des voitures sur la route au loin. J'ai compris que j'avais fait une erreur et j'ai cru qu'il allait me sortir la pire réplique de l'histoire des répliques. Mais non. Il s'est contenté de dégager toutes les mèches qui m'entravaient la vue, il m'a embrassé et il m'a dit qu'on devrait rentrer avant qu'on nous arrête pour ivresse publique et manifeste. C'est ce qu'on a fait. On a repris le métro, nettement plus calmes. Il occupait deux places, les pieds contre le siège voisin, le regard perdu vers la fenêtre d'où on ne voit rien. Il n'avait pas envie de parler.

   À l'hôtel, là où on avait laissé traîner nos valiseset nos vêtements un peu partout, j'ai pris une douche. J'en suis sortiseulement avec un caleçon et mes cheveux trempés. Il était sur le lit, je suis venu m'allonger près de lui. Je l'ai embrassé, il s'est laissé faire un moment puis il s'est défait de mon étreinte.

« Je vais prendre une douche. » Il a annoncé en quittant le lit. « Tu dors pas, hein ? Faut que je te parle, à propos de tout à l'heure. »

« Promis. » Je me suis enfoui sous la couette et je l'ai regardé. « Sur ma vie, je vais pas dormir. Promis. »