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six.

Le jour de mon anniversaire, j'avais prévu de sortir.

Mon père a choisi ce jour-là pour mettre à l'appui son nouveau régime tyrannique qui ne s'applique qu'à moi. Je n'ai plus le droit de quitter la maison les jours de semaine, sauf pour aller en cours. C'est comme ça depuis qu'on a eu les résultats du bac blanc. Il a sollicité tout le personnel du lycée pour qu'on l'appelle à son travail dès que j'ai le moindre retard ou la moindre absence. Je n'ai pas vérifié, mais je crois qu'il campe devant la porte d'entrée pendant la nuit au cas où je fais le mur. Je viens de réaliser que la situation est grave, parce que maintenant je vis avec un véritable officier de la Gestapo, et maman. Maman qui ne sait toujours rien et qui commence à se douter que ma vie n'est pas exactement celle qu'elle imagine. Elle m'a demandé de qui parlait mon père quand il m'avait engueulé l'autre jour, dans la cuisine. Je lui ai dit que c'était un pote, qu'il venait passer la nuit quelques fois parce que ce n'est pas la joie chez lui (pour le coup je n'avais pas menti), et elle m'a demandé pourquoi je ne lui en parlais pas. Elle m'a dit qu'il n'y avait pas de problème, tant que je la prévienne à l'avance. Elle nous ramènerait même des pâtisseries le matin pour qu'on mange bien. J'ai eu envie de pleurer quand elle m'a dit ça, parce qu'elle ne mérite pas que je lui mente. Je lui ai dit que c'était inutile parce que papa ne voulait plus le voir, et elle m'a promis qu'elle essaierait de lui parler.

Elle m'a ramené un gâteau pour mes dix-huit ans, et on a célébré mon anniversaire, seulement elle et moi, vu que je ne pouvais pas sortir. Même maman trouve que c'est abusé. Elle m'a offert une montre, elle m'a demandé si j'aimais, je lui ai dit que c'était super joli. Papa n'était pas là, et Gemma est venue plus tard dans la soirée. Elle nous a acheté deux places pour voir The Cure à Wembley cette année et j'ai failli m'évanouir. Ça ne compense pas Live Aid. Rien au monde ne compensera Live Aid, auquel je ne suis pas allé, mais j'étais tellement content que je l'ai étouffée avec mon câlin.

J'ai monopolisé le téléphone toute la soirée ; les gens m'appelaient les uns après les autres pour me souhaiter joyeux anniversaire et me donner du courage. Cédric m'a demandé combien coûtait la caution à payer pour me faire sortir de prison. J'ai rigolé mais ce n'était pas drôle parce que c'était vrai. Maman m'aurait laissé sortir si elle n'avait pas peur que mon père lui fasse des reproches sur sa manière de m'éduquer, comme si je n'étais pas son fils, à elle aussi, bref, ils ont des vies compliquées, les adultes.

Papa ne me déteste pas, il est juste désespéré. J'ai trouvé son cadeau d'anniversaire pour moi. C'était les annales du bac L (l'intégrale) des cinq dernières années, avec un Post-It qui dit « Mets-toi au travail. Joyeux Anniversaire ».

Louis m'a téléphoné vers 21 heures, on a parlé pendant une vingtaine de minutes, tant et si bien que j'avais oublié que je n'étais pas dans ma chambre et que le téléphone fixe se trouvait dans le salon. Lui, il aura dix-neuf ans cette année, en août. Il m'a chanté joyeux anniversaire et je souriais comme un con en enroulant le câble du téléphone autour de mon doigt. J'ai eu envie de me l'enrouler autour du cou et de m'étrangler avec; je ne me reconnais plus. Maman et Gemma discutaient dans la salle à manger, plus loin, mais après un moment elles ont arrêté de parler et je sais que c'était pour m'écouter. Alors j'ai dit au revoir à Louis et je les ai rejointes.

J'ai embrassé maman sur la joue et j'ai repris une part de gâteau.

« À qui tu parlais comme ça ? »

« Hein ? »

« Florence? » Maman a souri, mais pas moi.

« Euh... Oui. »

« Vous êtes mignons, vraiment. J'aimerais bien la revoir. »

J'ai évité de croiser le regard de Gemma. Elle était devenue silencieuse, et je ne m'inquiète pas parce que je sais qu'elle ne parlera pas à ma place. Même si ça me prenait mille ans pour trouver le courage de parler, elle ne me trahirait pas.