neuf.

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En avril, je suis tombé malade.

   J'avais de la fièvre, une migraine constante, je toussais matin, midi et soir, une toux sèche, brutale, qui brûle de l'intérieur. J'ai passé deux jours au lit. Ma mère a pensé que c'était la grippe mais elle était inquiète parce que j'avais des sueurs froides et que je tremblais, et mon père a eu le culot de penser que je jouais la comédie pour ne pas aller en cours.

  Quand Gemma est passée à la maison et qu'elle m'a vu dans cet état, toutes les couleurs ont disparu de son visage. Ma mère lui a demandé pourquoi elle paniquait comme ça, Gemma n'a pas répondu. Elle m'a dit qu'elle m'emmenait à la clinique encore, et je n'ai même pas pu protester parce que j'étais trop fatigué. Là-bas, on m'a posé une tonne de questions et j'essayais d'éviter le regard de Gemma parce qu'on pensait tous les deux à la même chose. Je savais qu'elle allait m'engueuler à la première occasion, me hurler dessus en me disant qu'elle m'avait prévenu, que je n'avais pas assez fait attention. Elle ne l'a pas fait. Elle m'a pris un rendez-vous à l'hôpital pour faire des radios. Ils  m'ont fait des prises de sang, une bronchoscopie, un dépistage pour le VIH. Le médecin m'a annoncé que j'avais une bronchopneumonie et que j'allais devoir prendre des antibiotiques pendant un bout de temps, mais que les symptômes allaient disparaitre après environ deux jours. Il m'a dit qu'il fallait arrêter de fumer, je lui ai dit que j'avais arrêté depuis février.


  Mais je ne lui ai pas dit que je savais exactement comment j'avais attrapé l'infection. 

   Je ne l'ai pas dit à Louis, non plus. Il aurait pris peur. Il m'aurait dit : Harry, on arrête tout. Il lui en faut tellement peu pour trouver une raison de s'en sortir que ça en devient blessant. Il m'a demandé pourquoi je n'étais pas venu en cours pendant une semaine. Je lui ai dit que j'avais la grippe. Il m'a demandé si ça allait, si c'était de sa faute. Je lui ai assuré que ça n'avait rien à voir avec lui, même si on avait eu les mêmes symptômes et les mêmes médicaments (la différence, c'est que moi, j'ai guéri rapidement et lui non). Il m'a dit de faire un dépistage pour être sûr. Je lui ai promis que j'en ferai un. Je lui montrerai celui que j'ai fait en mars, qui atteste que je suis séronégatif, et je cacherai la date. C'est quand j'étais en train de recouvrir le 15 mars 1987 avec du blanc que j'ai réalisé que j'étais devenu un menteur pathologique. Je ne peux pas m'en empêcher, ça me sauve de tellement de merde. Si je peux vivre une vie relativement tranquille aux yeux de mes parents et si je peux continuer de voir Louis, alors je mentirai jusqu'au bout. Je crois que si le nouveau test est positif, je ne le dirai même pas à Louis.

   Je me rassure en me disant que je n'ai pas de mauvaises intentions.
Mais moi, dans tout ça, je suis terrifié. Je ne dors plus la nuit, j'ai encore des sueurs froides. J'ai passé six jours à attendre les résultats du test. Gemma appelait tous les soirs pour savoir s'ils étaient arrivés. Le weekend, elle m'a conduit jusqu'à l'hôpital.

  Elle a soufflé quand elle a lu les résultats de la sérologie et qu'ils confirmaient que j'étais séronégatif.

   Elle est sortie de la salle après les avoir vus, sans m'adresser la parole. Je l'ai vue errer dans les couloirs pour se ressaisir, les bras croisés. Elle a essuyé des larmes de soulagement. Je crois qu'on ne s'est plus parlés pendant un long moment, après ça.

***

   Il y avait un reportage à la télé. Je révisais dans le salon même si c'était une mauvaise idée, mais j'ai tout fermé dès que j'ai aperçu un drapeau gay. J'ai augmenté le volume et j'ai recommencé à manger mes pâtes qui refroidissaient, sans quitter l'écran des yeux. Ça parlait des émeutes de Stonewall à New York, de Marsha P. Johnson et de la première gay Pride en 1970. Quand le reportage a montré la première Pride à Paris il y a cinq ans, mon père est venu et il a éteint. Il m'a regardé, mais je n'ai rien dit. Il m'a dit de me mettre au travail, alors j'ai obéi. J'ai vu ma mère, plus loin, qui nettoyait un verre à pied. Elle aussi, elle me regardait.

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