Chapitre 2

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Ce n'est pas vrai. Je ne peux pas y croire.

Pourtant, le réel me rattrape et me force à accepter la dure vérité : j'ai raté mon coup... Je suis là, sur mon lit, suspendu dans mon mouvement comme un pantin suspendu à ses fils, la bouche ouverte en plus. Je suis figé. Quelle horreur ! Moi qui n'ai jamais raté un lancer depuis le quinze du mois !

"Oswald !! Tes chaussettes !!",me houspille ma mère.

Tout est de sa faute. C'est elle qui m'a interrompue à deux pas de la gloire éternelle, au moment le plus crucial de mon mouvement ! Ah, ça ! Ça je ne le permettait pas ! Qu'on me prive d'une renommée mondiale pour une histoire de chaussette, ah ça ! C'était trop fort ! Comme un diable jaillissant de sa boîte, je décolle de mon lit et me rue a l'étage d'en dessous. Ça ne va pas se passer comme ça ! Où est elle ? Où est ma mère ?
Je passe en trombe dans toutes les pièces de la maison. Je croise Maman dans la salle de bain, mais je vais trop vite et je ne réalise qu'après qu'elle était là. Je me stoppe, reviens en arrière comme dans film qu'on rembobine, et me pose dans l'encadrement de la porte, les poings sur les hanches, la mèche en vrac et le souffle court. Ma mère, qui est par terre en train de trier le linge, lève le nez et recommence à me parler de ces stupides chaussettes.

" Ah ! C'est pas trop tôt ! râle-t-elle, ça fait au moins dix minutes que je t'appelle !

- Est ce que tu te rends comptes de ce que tu as fais ? je m'emporte, tu as privé ton fils d'une gloire qui se voulait éternelle ! "

Elle s'arrête, me regarde avec un air complètement perdu et lâche un " Heeeiiiin ??" à mi-chemin entre l'ours qui s'étire et la chèvre qui hurle. Je lève les yeux au ciel. Ce qu'elle peut m'énerver quand elle fait ça ! Entrant dans la salle d'eau, foulant au pied les blancs carreaux en céramique sur lesquels la ménagère s'échine à classer les vêtements par couleur, je me met à pester.

" Oui ! La gloire ! Parfaitement ! Un lancer historique ! Un exploit mémorable ! Moi ! J'allais devenir une légende, que dis-je une légende ? Un mythe ! Eh oui !

- Rien que ça ..., soupire ma mère d'un air blasé,

- Mais tu as brisé le rêve de toute une vie ... et tout ça pour quoi ?! Pour des chaussettes qui traînent ?! De stupides chaussettes !!

- Oui parfaitement, Oswald Mcmorlann ! Des chaussettes ! TES chaussettes, que tu laisses traîner partout. Ça n'est pas la peine de les semer, tu sais ? Ça ne pousse pas..."

Plus je lui parle et plus elle m'énerve. Son air bête me fait penser à celui du mannequin sur la bouteille de shampoing, qui trône à demi ouverte et en équilibre sur le robinet d'allumage de notre douche à l'italienne. Il m'est souvent arrivé, plus jeune, d'avoir envie d'étrangler ma mère aussi fort que je le mimais avec mon canard en plastique jaune dans une baignoire émaillée d'eau chaude et mousseuse. Heureusement que ces envies ne s'étaient jamais muées en actes véritables. Après de pareille réflexions, sortant du bain, je me regardais de haut en bas dans le miroir qui faisait face à la baignoire et je me disais toujours " Tu es un incompris, Oswald. Laisse donc ces ignorants. Un jour, tu leur prouveras que tu es quelqu'un d'important" . Et ma haine finissait tout simplement par s'envoler.

Mais aujourd'hui c'est une autre histoire. J'ai vraiment envie de l'étrangler. Mais pour autant je ne le ferrais pas. C'est ma mère et je ne peux pas lui faire de mal. Résigné, je décide de couper court à cette histoire ridicule afin de pouvoir noyer mon chagrin de légende avortée dans la confiture de groseille.

"Bon ! OK ! Où sont-elles, ces foutues chaussettes ?

- Puisque tu ne bougeais pas, je les ai ramassées moi même. Elles sont dans le panier à linge sale maintenant."

[REWRITE] Oswald - La Confrérie des changeurs de TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant