Chapitre 9

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SI jamais je m'étais imaginé un cours instant que j'allais pouvoir, tout en respectant les ordres de la demoiselle, admirer le monde comme il l'était à la fin du XXème siècle, autant dire j'ai été déçu.

Le commissariat se trouve sur une place tout ce qu'il y a de plus banale. Si je ne savais pas que j'avais voyagé dans le temps, je pourrais aisément dire que je suis toujours en 2018 mais dans une ville qui a connu un retard dans sa modernisation. Il est assez difficile de donner une description exhaustive de la place qui ne soit pas affreusement ennuyeuse tant elle ressemble à ce que je connais dans mon environnement quotidien. La seule chose qui m'amuse un peu dans ce décor tristement peu année 60 est le facteur qui passe sans s'arrêter, sacoche débordante de lettres et plis divers, juché sur une bicyclette rudimentaire, et des vélos comme ça, on en trouve guère plus à mon époque. Ça me fait tout drôle d'utiliser cette expression ... " A mon époque" ... Comme si je n'avais plus d'âge et que je débarquais tout droit du temps des dinosaures. Je n'ai pas le loisir de continuer l'examen de mon environnement, pour voir si je ne trouve pas d'autres signes de l'ancienneté de ce temps, car la blondinette me tire par la manche en me faisant les gros yeux, l'air de dire " qu'est ce que je viens de te dire ? ". Oui, oui, je sais ... Je ne dois pas me laisser distraire par ce que je vois autour de moi. Elle en a de bonnes, elle ... C'est pas tous les jours que l'on a la chance, ou la malchance, tout dépend, d'être projeté cinquante-cinq ans en arrière, alors laissez moi un peu en profiter tout de même. Mais elle ne l'entend pas de cette oreille.

Je la vois s'éloigner dans une petite ruelle adjacente au commissariat. Je me lance immédiatement à sa suite car je n'ai aucune envie de me retrouvé perdu dans une époque et un lieu que je ne connais pas. Plus le temps passe, plus elle semble mal en point, à un tel stade que cela en devient presque inquiétant : Elle avance doucement, légèrement courbée en deux, un bras passé autour du ventre, le gauche pour être précis, et la tête basse, comme si la gravité est trop forte pour elle. Elle que j'ai vu si dynamique, si guerrière, agitée et combattante pour m'extraire de ma prison et me secouer, tel un barman son shaker, je la trouve maintenant de plus en plus faible et fragile. Est-ce vraiment possible qu'une personne puisse passer d'un état à un autre en si peu de temps ? Je peux bien concevoir que l'affrontement avec les forces de l'ordre, match aller et retour coup sur coup, avec une mi-temps passée à agiter la carcasse d'une légende qui n'a rien demandé, soit un exercice fatiguant, mais à ce stade ... J'entreprend donc de la rattraper, au moins pour être là au cas où elle s'évanouisse, et surtout pour ne pas la perdre de vue, elle qui est mon seul repère à peu près fiable dans ce monde dont je ne connais pas grand chose. Lorsque je la rejoint, je lui propose mon aide, voyant qu'elle a même des difficultés à marcher : 

"Vous n'avez pas l'air de vous sentir bien, je lui glisse, est ce que vous voulez que je vous aide ?"

Je me fais vertement recevoir. Cela commence à devenir une habitude mais tout de même, je n'aime pas beaucoup ça : 

" Je n'ai pas besoin d'aide et surtout pas de la tienne ...

- Oh ben moi vous savez ... je dis ça, je dis rien hein ....

- Qu'est ce que c'est que cette expression ridicule ? demande-t-elle, plus pour me descendre une fois de plus que pour réellement poser la question, ça ne veut absolument rien dire ...

- C'est très utilisé en 2018, de là où je viens ... C'est pour dire qu'on dis quelque chose qui ... Oh et puis zut, laissez tomber ... "

Vexé de m'être ainsi fait envoyé sur les roses, je me contente de fermer la bouche et de suivre ma blondinette claudicante dans le dédale de ruelles. Elle semble exactement savoir où elle va et je ne pose pas de questions, de peur d'encore me faire envoyer promener ... J'entends que la respiration de mon guide devient de plus en plus sifflante. Et puis, subitement, je la vois s'écroulé à mes pieds. Tellement subitement que je manque lui marcher dessus. Elle m'aurait, à coup sûr, enguirlander, me demandant faiblement si je la prend pour un paillasson et me promettant que ça n'allait passe passer comme ça. Elle n'a qu'à prévenir quand elle décide de tomber des les vapes, elle aussi ... Plus qu'inquiet pour le coup, je m'agenouille auprès d'elle :

[REWRITE] Oswald - La Confrérie des changeurs de TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant