- Le douze décembre -

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Depuis que j'ai posé un pied au sol, je flotte sur un nuage, un cirus transparent qui étend ses fines plumes blanches dans le ciel bleu de ma vie. Cette nuit, j'ai mieux dormi qu'une marmotte et ce matin mon ami cotonneux m'enchante, la vie est belle. Mon nuage m'accompagne devant mon café, sous la douche et dans la rue. Il m'escorte jusqu'à mon travail. Je pense à Ronald, à l'intérêt qu'il me porte, à l'importance qu'il m'accorde et je me sens bien.

Je franchis la porte de la brasserie toujours enveloppée dans mon cocon duveteux. Plus motivée que jamais pour satisfaire les clients matinaux, je traverse rapidement la petite salle du restaurant jusqu'aux vestiaires. La journée s'annonce radieuse, même la perspective de partager le service avec ma collègue ne me répugne pas. Au contraire, je vais faire un effort pour être sympa avec elle. La nouvelle fenêtre de mon calendrier sera consacrée à redonner sa chance à Julia.

A l'entrée des vestiaires, je me fige. Ma collègue assise sur le banc, parle à une femme que je reconnais immédiatement. Il s'agit de la vegan casse couille que j'ai mise à la porte du restaurant il y a deux jours. Benjamin, le chef du restaurant est aussi présent. Adossé au mur, il regarde une vidéo sur son téléphone. Ça ne sent pas bon. Mon cirus s'envole immédiatement remplacé par un cumulonimbus. Un énorme cumulus se forme au dessus de ma tête, porteur d'orage et de grêle, mais il est trop tard pour fuir.

- Madame Pilo, nous vous attendions, me dit mon patron.

Je lui accorde toute mon attention et le regarde intensément attendant qu'il parle. Il se trémousse, gêné et muet. Des gouttes de sueurs perlent sur son front. La situation ne lui est pas agréable. Elle le dépasse. La responsabilité qui lui incombe l'écrase. En d'autres circonstances, j'aurais pu avoir pitié de lui, mais là j'ai du mal à être empathique. Je suis pressée qu'il s'exprime. S'il doit me virer, qu'il le fasse proprement et rapidement. Le pauvre rassemble ses forces et se lance, je m'attend à tout :

- Madame Pilo, ce que je viens de voir est inacceptable. Votre comportement désastreux porte gravement préjudice à la réputation de notre établissement,commence t-il avant que je ne l'interrompe.

- Je ne sais pas exactement ce qui vous a été rapporté, monsieur.  J'ai effectivement fait remarquer à cette dame que la carte de notre brasserie n'est pas très adaptée pour répondre aux attentes du veganisme, dit je en désignant la végétarienne, mais je suis toujours restée polie.

- C'est faux ! Vous avez été insultante, me coupe la femme en me fusillant du regard.

C'est sur que je n'est pas été très aimable mais insultante, c'est tout de même un peu fort pour décrire mon attitude. Elle exagère. D'ailleurs son sourire satisfait, signifiant « je vous avais prévenu, je vais vous détruire » le confirme. Sa perversité n'est pas à démontrer , mais si je veux garder mon emploie, je dois faire preuve d'humilité. Je me tourne face à elle, cueille ses yeux et lui offre les excuses qu'elle souhaite.

- Je suis vraiment navrée, si je vous ai blessée. J'ai effectivement manqué de tact avec vous. Je vous présente mes plus plates excuses. Je regrette sincèrement mon comportement. Je peux peut être vous offrir notre meilleur café biologique et une viennoiserie pour me faire pardonner ?

Ma proposition et ma contrition la séduisent, elle se déride et arbore même un air ravi. Je savais qu'elle était achetable. Voilà un problème solutionné d'une main de maître. 

Jolie performance Sandra, me congratule-je silencieusement.

 J'invite madame vegan a s'installer en salle, accompagnée par le ouf de soulagement de Benjamin qui craignait une esclandre. Je m'approche de mon porte-manteau pour  me mettre à l'aise. C'est sans compter sur ma collègue qui me barre la route.

- Qu'est ce que tu fous Julia ? m'enquiers-je.

- Tu ne crois pas que tu vas t'en tirer à si bon compte ? Persifle t'elle.

Elle alpague Benjamin qui est toujours dans le vestiaire et commence a cracher son venin sur moi. A deux pas d'eux, j'entends toute leur conversation.

- C'est une traînée ! J'ai la preuve qu'elle s'est faite lécher par un client au travail. Vous voulez voir la vidéo ? Bave t'elle.

Je me raidie. Comment est elle au courant de cet événement ?  En plus elle ment, j'avais finis mon service. Je ferme les yeux et essaie de me calmer. Ma bonne résolution du calendrier s'évapore au même rythme que ses diffamations parviennent à mes oreilles.

- Je ne devrais pas vous le dire mais elle pratique des expériences sexuelles perverses. Cuir, cravaches et douleur si vous voyez ce que je veux dire, continue t'elle. Croyez moi elle nuit à notre réputation. Il faut s'en débarrasser, ajoute t'elle.

Non mais de quoi elle se mêle. Elle va se la fermer sinon c'est moi qui vais la faire taire et ça ne va pas être agréable pour elle. Ce que je fais de mon temps libre ne regarde que moi. Elle connaît beaucoup trop ma vie, cette vipère.

- Il y a même une vidéo où on la voit à poil sur la glace à la patinoire. Elle ne porte jamais de culotte. Elle est malsaine, continue elle sur le ton de la confidence.

Ça en est trop pour moi. Je claque la porte de mon casier et me rue sur cette peste. Je lui attrape la tignasse à deux mains et je tire sur de toutes mes forces. Je lui en arrache une touffe, puis recommence de plus belle. Elle hurle,  se débat et me donne des coups de pieds dans les tibias. Ça devrais me faire mal mais je ne ressens rien. Je pense seulement à la blesser.

Elle me mord le biceps jusqu'au sang, me forçant à lâcher ses cheveux. J'agrippe alors ses boucles d'oreille et agrandis son percing. Je rends coups pour coups à cette charogne. On se bat tant et si bien qu'on finis par s'écrouler sur le sol. Baffes, gifles et tartes pleuvent de tout les côtés. Chacune de nous accompagne ses coups d'insultes.

Nos hurlements ameutent les clients qui forment un cercle autours de nous. Peut-importe on continue à se frapper mettant dans notre castagne toute l'amertume et l'animosité qui nous rongent depuis longtemps. Les non-dits éclatent au grand jour.

Benjamin tente de nous séparer, mais ses atermoiements l'empêchent d'être crédible. Il manque de conviction, pour nous convaincre d'arrêter. Il trépigne à côté de nous sans savoir la conduite à adopter. Quand enfin on se sépare Julia et moi, il se glisse entre nous.

Ma lèvre saigne, mes cheveux sont en vrac et je me réveillerais sûrement avec de nombreux bleus, mais que c'est bon. Je sais bien que j'aurais du me contenir, ne pas attaquer physiquement cette garce. J'aurais pu la démolir par les mots, mais c'est trop tard.

Mon patron me regarde, sa mine est fermée et sombre. Lui qui ne sait jamais comment agir d'ordinaire, arrive parfaitement à trouver les mots pour me congédier.

- Madame Pilo, quittez immédiatement cet établissement ! Vous êtes mise à pieds jusqu'à nouvel ordre. Votre sort ne dépend plus de moi, je vais en référé aux actionnaires, hurle t'il en me montrant la sortie.

Je récupère mon sac et rentre chez moi, accompagnée par un nuage gris. Sur moi plane l'ombre d'un licenciement. J'aime mon travail, je l'ai toujours fait avec passion. Je suis une super serveuse. Putain, c'est totalement injuste. Si je me fais renvoyer, je peux faire une croix pour dégoter une place dans un autre restaurant. Le monde de la gastronomie est petit, assez petit pour qu'on me colle une étiquette néfaste.

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