- Le seize décembre -

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Je lisse ma jupe devant le miroir. Mon ensemble, bien coupé paraît taillé sur mesure. Il sublime ma silhouette sans vulgarité. J'ai enfilé un tailleur noir qui descend sous le genoux, une chemise blanche et un blazer cintré. Mes cheveux sont rassemblés dans un énorme chignon sophistiqué. Seule une petite mèche libre casse le côté strict de ma tenue.
Je vaporise un peu de parfum dans mon cou et au creux de mon poignet. Je m'enivre de la fragrance. Je suis prête.

J'observe une dernière fois mon reflet. Ce dernier me renvoie l'image d'une femme professionnelle, droite et appliquée. Satisfaite, je complète mon habillement par un carré de soie savamment noué et une paire d'escarpins. Je transfert les essentiels de mon sac à main : porte-feuille, clés, carnet et stylos dans une pochette de cuir que je coince sous mon bras. Je quitte mon appartement, enfermant Ronald à l'intérieur.

— Je reviens vite. Sois sage et garde la maison, lui recommande je avant de mettre un pied dehors.

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Roseville est un immense domaine situé dans les banlieues chics. Vingts hectares de verdure arborés et paysagés servent d'écrin à un golf, un hôtel cinq étoile, un restaurant gastronomique et un SPA. Lorsque je franchie le portail avec la Renault Zoé que j'ai loué pour l'occasion je me sens en complet décalage avec les Ferraris, Porsche et autres grosses bagnoles qui garnissent le parking.

Je me gare sur un emplacement avec recharge électrique et branche ma petite voiture. Je m'avance impressionnée vers le grand édifice sans savoir réellement où aller, traverse une vaste cour décorée avec goût pour les fêtes et m'approche des panneaux d'indication. Il y a un encadré avec les tarifs des chambres. La nuitée la moins chère s'élève à trois cent euros et il faut compter cinq mille euros pour une suite familiale indépendante. L'accueil est indiqué à l'ouest du bâtiment si j'en crois mon sens de l'orientation.

Je me laisse guider par les flèches et atterrit au guichet de réception. Une dame, me sourit et m'accueille avec égard.

— J'ai rendez-vous avec Monsieur Carré à onze heure, explique je.

— Biensur, je vais le prévenir de votre arrivée. Vous êtes madame ?

— Pilo, j' épelle.

La femme prend son combiné et averti son patron de ma présence. Monsieur Carré le propriétaire de la brasserie où je travaille possède un éventail d'établissements de restauration, allant du petit bistrot au gastronomique étoilé dont le domaine de Roseville . Ancien rugbyman, il a fait fortune dans le sport avant d'investir dans les plaisirs de la bouche.

— Monsieur carré va vous recevoir au bar de la verrière, m'informe l'hôtelière, avant qu'un majordome m'invite à le suivre.

Nous traversons un petit salon agencé avec soin, regroupant des vases en porcelaine, des tableaux de maîtres et d'épais tapis . Nous empruntons un long couloir de marbre bordé de sculptures pour aboutir à une porte donnant sur l'extérieur. Je savoure chaque découverte, mesurant ma chance de pénétré ce monde luxueux. Tous les objets semblent posés à un endroit précis et millimétré, aucune place au hasard, pas plus qu'à la poussière.

Nous arrivons sous une verrière. Un important comptoir en zinc trône au milieu de la pièce. Des fauteuils, des canapés et des coussins sont agencés en plusieurs endroits, créant différentes zones de détentes pour les clients. Un piano est installé le long du mur. Monsieur carré est déjà assis sur une chaise, attablé dans le coin bibliothèque. Il consulte des documents qui semblent l'amuser. Je me dit que c'est bon signe.

Je m'avance vers lui et me présente. Il se lève et son imposante carrure remplie le bar. Du haut de ses deux mètres et cent kilos, il m'observe avant de répondre à ma poignée de main. Sa prise est ferme mais il ne m'écrase pas les doigts. Il me fixe, me jauge et m'évalue. Je lis beaucoup de surprise dans son regard, comme si je lui rappelais quelque chose. Je lui souris cherchant à faire une première bonne impression, mais je me sens mise à nue et si petite sous son regard.

— Installez vous Madame Pilo, me demande t'il en me montrant la chaise en face de la sienne. Comme je vous l'ai signifié dans mon courrier, votre dossier est très lourd. Injures, coups et blessures, insubordination , trois motifs de licenciement. Néanmoins je tiens à vous laisser une chance de me convaincre en me donnant trois bonnes raisons de vous garder.

J'ai une poitrine plus généreuse que celle de la déesse de la fertilité, je suce mieux qu'un moustique assoiffé et aucune pratique sexuelle ne m'effraie, trois excellents motifs pour ne pas se séparer de moi, songe je le sourire aux lèvres faisant mine de réfléchir, mais je ne dévoile rien de mes pensées perverses. Il est important pour moi que mes compétences de serveuses soient reconnues à leur juste valeur. J'ai suivie une formation dans la célèbre école hôtelière Vatel. Je mets un point d'honneur à préserver mon poste sans promotion canapé.

Je n'ai pas a chercher bien longtemps les preuves de ma capacité de service.

— La raison numéro un pour laquelle vous devez me garder, c'est parce que je suis la reine des cocktails, annonce en sautant derrière le bar.

J'attrape un verre trumbler dessous le comptoir, sous l'œil surpris du barman. Je cherche du sucre que j'écrase directement dans le cristal avec un trait d'angostura amer et un gros glaçon, j'ajoute une dose de Bourbon nikka que je mélange à la cuillère, puis termine le mélange en zestant une orange dans la préparation. Je sers là boisson à mon patron.

— Appréciez ce bourbon old-fashioned, pour vous faire un avis, lui conseille je en me réinstallant en face de lui.

Monsieur Carré prend une gorgée, ferme les yeux et savoure mon cocktail. Son visage se détend, il semble apprécier ce qu'il boit. Je reste muette face à lui, attendant le verdict.

— Délicieux ! Un des meilleurs old-fashioned de ma vie. L'amer est parfaitement dosé. Très bon argument, dit il.

Je me déride et profite de son relâchement pour rebondir avec ma deuxième carte, pour cela je sors un feuillet de statistique que je lui mets sous les yeux.

— La raison numéro deux et non des moindres est purement comptable. Le bar back a vu son chiffre d'affaire augmenter de moitié depuis mon embauche. Les soirs où je travaille le nombre de consommations est toujours plus important que lorsque c'est  ma collègue Julia.

Satisfaite, Je le laisse déchiffrer les graphiques et les chiffres de comptabilité. Il paraît impressionné.

— Et bien, madame Pilo vous semblez être une employée modèle. Je suis curieux de connaître, votre dernier argument. S'il est aussi pertinent que les deux premiers, j'ai tout intérêt à vous garder et même à vous donner plus de responsabilités.

— Mon troisième et dernier argument relève de ma façon de concevoir  mon métier de serveuse. Je répond à une devise : « servir mais ne pas être  au service ». Malgré toute ma patience, la femme vegan que j'ai éconduite, m'a manqué de respect en me prenant pour une esclave. Je ne regrette aucun des mots que je lui ai dit, même si j'ai fait amende honorable en m'excusant auprès d'elle.

Mon patron sourit à ma remarque et me signifie son adhésion à ma philosophie par un hochement de tête. Je respire et me détend sous son air amusé. Il se met franchement à rire.

— une vegan au bar back, cherchez l'erreur, prononce t'il dans un éclat de rire.

Je le suis dans son hilarité, fière d'avoir assurée ce rendez-vous avec professionnalisme. J'accepte alors son invitation à dîner.  Un repas de chef, une promotion deux jolis cadeaux pour un nouveau jour de l'avent. Merci père noël.

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