Chapitre 2

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L'appartement n'a pas changé depuis les rénovations que Witahé et Oriane avaient faites il y a deux ans.

Toujours ces murs blancs, ce plancher en chêne vernis, cette petite étagère immaculée croulant sous les livres de science-fiction - mais cela concerne plutôt Witahé, Oriane n'étant guère lectrice - , ce papier peint aux motifs de flocons dans la chambre. Et puis, il y a ce tableau, dans le salon, fait par la mère de Witahé : un bel oiseau bleu aux reflets argentés, qui tient dans son bec une étoile. Le tout tracé à l'aquarelle. Ce cadeau date d'il y a trois ans, pendant des vacances dans la maison familiale du compagnon d'Oriane. Un beau souvenir...

C'était une belle semaine de juillet, dans un petit village en contre-bas des montagnes. Tous les soirs on jouait aux cartes avec les voisins, on riait et on chantait un peu. Pour chanter, Witahé était d'ailleurs le meilleur d'entre tous. Sa voix avait quelque chose que les autres n'avaient pas, des intonations presque féminines qui donnaient des frissons quand il montait dans les aigus. Il ne se donnait pas de style : il en avait un naturellement, et cette sincérité ne le rendait que plus splendide encore.

Alors évidemment, sa voix de ténor avait vite fait l'unanimité chez ses auditeurs, au point qu'on l'a bientôt obligé à chanter à chaque soirée, accompagné ou non à la guitare par son oncle. Oriane ne se lassait jamais de l'écouter : à chaque fois qu'elle entendait de telles merveilles jaillir de sa gorge, cela avait toujours la force de la première fois...

À ces rappels du passé, elle soupire soudain, prise d'une nostalgie qu'elle ne préfère pas expliquer. Elle est seule ce matin, occupée à engloutir ses céréales en songeant aux réunions qu'elle a aujourd'hui - du moins, c'est ce sur quoi elle essaye de concentrer son esprit.

Une fois le petit-déjeuner avalé, la jeune femme délaisse son pyjama pour une tenue plus appropriée à la journée qui débute à Laffiera : un blazer violet sombre - Oriane a toujours eu un penchant pour les blazers, allez savoir pourquoi - , un chemisier et un simple jean. Bien qu'elle apprécie les tenues confortables, hors de question de manquer d'élégance. Et tant pis si elle devra bientôt recouvrir ses habits d'une grossière combinaison de travail.

Elle attrape d'une main sa sacoche, elle aussi violette, remet un peu d'ordre dans ses cheveux même si elle vient de les coiffer à l'instant dans sa salle de bains, puis enfin quitte son logis, non sans avoir au préalable jeté un ultime regard au salon. Lui vient alors un léger pincement au coeur, accompagné d'une pensée amère, difficile à effacer totalement de sa mémoire : il manque quelque chose à cet appartement.

Serrant un instant la mâchoire pour réprimer la tristesse qui l'envahit, Oriane descend dans les rues de Laffiera. Gênnille, le quartier le plus étendu de la ville, bourdonne déjà d'activité en cette matinée. Il doit être aux alentours de sept heures, peut-être sept heures et demie, et le soleil de septembre, de moins en moins lève-tôt, vient de dévoiler ses rayons encore orangés.

Pareils à des fourmis en activité, les travailleurs, qu'ils soient cadres, ouvriers, médecins ou commerçants, avancent d'un pas rapide, sûrs d'eux au moins en apparence. On dirait de véritables petits soldats bien entraînés, sachant précisément où ils doivent aller et quelle ligne de bus ils doivent emprunter.

Ils sont tous les engrenages de cette grande machine qu'est Gênnille l'ouvrière, celle qui se lève tôt le matin pour travailler au service de Laffiera, finit ses journées dans un café en se plaignant de la vie ici, mais retournera quand même travailler le lendemain parce que "pas l'choix".

Pour le moment le quartier débute la journée en s'agitant, grouillant, déversant sa modeste population dans cette arène de bitume et d'immeubles. Les vieux commerces sont souvent fermés par des rideaux de fer qu'on a maquillé de graffitis, les lotissements neufs paraissaient jaillis de terre comme des champignons. Et au milieu de tous ces bâtiments modestes, de tous ces gens allant du vieux médecin chauve au jeune délinquant blond platine, Oriane se fraye peu à peu une place et se mêle à la quotidienne valse populaire.

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