Septième Passage

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Il est dix heures, Alix, et tu dors encore. Tu ronfles un peu, comme une lionne qui ronronne, la crinière en désordre et de la bave au coin des lèvres. Aujourd'hui étant dimanche, tes employeurs te pardonneront sans aucun doute cette grasse matinée. Pour ma part, je ne sais pas comment tu as trouvé le sommeil, avec tout ce qui se passe autour. En revanche, je sais de quoi sont peuplés tes rêves.

Les paroles de Verano Pessadya résonnent sans doute encore ton crâne, répétées comme des échos infinis. Sur le grand écran de tes songes, c'est toujours ce même film qui passe, n'est-ce pas ?

Tu as vu celle que tu aimes partir avec un autre. Tu l'as vue s'évanouir comme un fantôme, sans même avoir eu le temps de la retenir dans tes bras.

Et maintenant, un homme, le père de cette femme, vient te voir et te révèle d'une voix tremblante mille secrets. Elle n'est pas celle que tu croyais connaître. Et ton interlocuteur, lui pensait sa fille en sécurité aux côtés de Witahé, découvre que la première a disparu et que le second est mort. Alors dans son angoisse, il te raconte tout :

Il t'annonce qu'elle était battue par sa mère.

Il t'annonce qu'elle avait des crises de violence incontrôlables.

Il t'annonce qu'elle était seule, instable, harcelée, humiliée.

Et à demi-mot, tu comprends que pendant tout ce temps où tu la côtoyais, elle avait mal. Derrière son sourire parfois voilé, il y avait ses blessures passées. Elle te le cachait comme elle te cachait toute sa jeunesse, toutes les souffrances qu'elle avait connues avant Witahé. Car c'est lui, ce fameux Witahé, qui, selon Verano Pessadya, a sorti Oriane de cet abominable cercle vicieux. Certes, la vie un peu près stable offerte était bâtie sur le mensonge et les tranquillisants, mais n'était-ce pas mieux que rien ?

Tout ce fragile équilibre s'est brisé comme un château de cartes, d'un simple vent glacé d'automne. Devant cette chute, tu ne pouvais que voir les dégâts, impuissante. Tu as as cru que c'était la lâcheté qui t'avait retenue d'agir. Maintenant tu le sais : la coupable s'appelait en réalité l'ignorance.

Mais aujourd'hui encore, tu n'as pas toutes les pièces de l'immonde puzzle. Oriane sombre encore un peu plus dans la violence en ce matin-même, et tu ne le sais pas. Humiliée et asservie par un homme au pouvoir illégitime...

Et puis il y a ta nièce, ma pauvre Alix ; il y a ta nièce morte cette nuit. Tu n'as pas encore vu tous les messages que Fanny a laissés désespérément sur ton répondeur, tous ses appels comme autant de cris de désespoir. Bientôt les hurlements retentiront à ton oreille, et tu ne pourras oublier l'horrible vérité : un enfant est mort cette nuit. Tué par celle que tu aimes...

Ainsi, par tous ces mots que je te dis, vois comme ton monde s'effondre chaque jour un peu plus, Alix. Et pourtant je le sais, tu auras toujours le courage de le rebâtir. Alors devant ton courage, femme-flamme, je m'incline et je m'interroge :

Comment fais-tu pour être si forte ? Comment parviens-tu à garder la tête haute malgré tout ce qui t'arrive ? Comment fais-tu pour encaisser tant de nouvelles et de douloureuses révélations ?

Je devine d'avance ta réponse, courageuse reine : l'amour. Chez toi il est plus fort que tout, magnifique et éclatant comme la lumière du Soleil. Il te tire vers le haut, te donne envie de tendre vers le beau, t'encourage à faire le bien là où d'autres préféreraient sombrer dans la haine. A l'amour violent et cannibale d'Ikare, tu opposes l'amour pur, platonique, celui qui restera à jamais enfoui mais te rendra meilleure.

Si tu savais comme j'aimerais te ressembler, fière lionne... Hélas, contrairement à ce que je voudrais affirmer, je ne suis pas ton alter-ego. Je n'ai pas la beauté du prince charmant, ni la bravoure du chevalier servant. Au contraire, moi j'ai brisé ce que j'avais de plus cher. Oh, Alix, si tu savais ce que j'ai commis sous le coup de la colère...

Mais l'heure n'est pas aux aveux. Pas encore.

Mauvais RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant