Chapitre 25

98 17 75
                                    

Encore des heures difficiles pour les deux amants, peuplées de sentiments contradictoires. Ils passent la journée dans un silence plutôt tendu, chacun s'efforçant de fuir la maison et la présence de l'autre. Ikare prétexte du travail à faire pour l'Organisation, tandis qu'Oriane aligne les verres vides au Roi de Pique. Par moments ils veulent se réconcilier, trop effrayés par leurs solitudes respectives, mais quelque chose les en empêche à chaque fois.

Ainsi s'écoule la journée, jusqu'au lendemain matin. Un grand jour, vu l'excitation que présente Ikare dès le réveil. Pareil à un enfant sorti de sa bouderie à la vue d'une friandise, cette matinée semble éclipser la maussaderie de la veille. Le revoilà euphorique, triomphant de ses remords d'hier, de nouveau prêt à illuminer la scène. Et Oriane, incapable de résister, s'adoucit devant sa bonne humeur.

C'est dans cet état qu'à l'heure dictée par Cthul, le couple accueille leur conductrice. Dans sa fourgonnette noire, sur la banquette arrière, se trouve une mallette remplie de seringues et d'armes diverses dont la vue semble réjouir Ikare.

Sans surprise, il semble avoir l'habitude de ce genre d'opérations. Déjà il examine chaque liquide et chaque objet avec une attention d'expert, expliquant de temps à autre à l'intention d'Oriane l'usage de tel ou tel poison. Ses yeux brillent. Un tel enthousiasme finit par envahir à son tour sa compagne, excitée d'un crime dont elle ignore encore tout. Et pendant ce temps le véhicule continue tranquillement, pour ne pas dire innocemment, sa route dans les rues de Laffiera.

« Tu as pensé à nos tenues, Marbre ? lance tout à coup le blond à la chauffeuse devant.

La dénommée Marbre, une sexagénaire bourrue dont les cheveux gris dépassent à peine de sa casquette, répond sans quitter des yeux la route, d'un grognement d'ours aussi chaleureux qu'un iceberg :

- Derrière. Avec les kalach'.

- Tu es parfaite, » sourit-il, pas même refroidi par l'intonation de son interlocutrice.

Il se retourne pour fouiller le coffre et y trouve une boîte épaisse et noire. Des combinaisons de la même couleur y sont rangées, surmontées d'une capuche et agrémentées de poches diverses. Sans oublier des gants et des bottes, eux aussi sombres. Ikare les enfile prestement, vite imité par Oriane. Puis, d'un geste sûr, évoquant celui d'un comédien qui enfile son costume de scène, il extirpe deux fausses ailes blanches pour ensuite les attacher dans son dos. Ce sont des plumes immaculées, collées à du carton, un peu ridicules, tout juste dignes d'une kermesse.

Décidément, ce surnom lui colle à la peau.

Le jeune blond, une fois ainsi revêtu, sort un masque avant de le tendre à Oriane. Celle-ci y jette un regard, un peu intriguée par ce faciès grimaçant d'homme dessiné sur le plastique. Pourquoi devrait-elle le mettre ? Il lui suffit de repenser à Cthul et ses extravagances pour trouver la réponse, en trois mots, sans appel : caprice du boss. Alors elle l'installe sur son visage.

« On y est, annonce soudain Marbre avec l'immense sympathie qui semble la caractériser. Je reviens dans une demi-heure sans faute. »

Elle les laisse descendre du véhicule et repart aussitôt.

La rue étroite où ils se trouvent ne semble pas abriter âme qui vive. Rien d'autre que des commerces pour la plupart à vendre et des maisons aux volets fermés. Il doit être autour de dix heures et pourtant, si habitants il y a, nul ne semble habiter cet endroit. Seule la rumeur lointaine de quartiers plus animés rappelle que la vie existe, là-bas.

Après s'être assuré que personne ne les voit ainsi armés et qu'aucune caméra ne surveille la zone, Ikare, brandissant son fusil, et pénètre dans le lieu indiqué par Cthul.

Mauvais RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant