À son réveil le lendemain, Oriane réalise qu'elle s'était endormie par terre, roulée en boule non loin de la fenêtre. Plus de trace de Witahé : il disparait toujours ainsi, tôt le matin, sans un mot, dès que sa compagne a les yeux fermés. "C'est le travail qui veut ça", comme il s'amuse à dire.
La tête de la jeune femme bourdonne, tourne un peu, comme une gueule de bois après une fête arrosée. Bourrée à la tristesse, droguée au désespoir : est-ce seulement possible comme état ? Visiblement oui, à la manière dont elle marche, tâtonne, grogne en se frottant l'arrière du crâne. Flou. Les souvenirs viennent indistincts ; remonte tant bien que mal l'écho de ses cris, de son appel, et des chuchotements de son compagnon tout contre elle qui ont enfin su l'apaiser.
Elle retrouve son téléphone sur le fauteuil de toile blanche près de la fenêtre, en face du canapé où autrefois, les deux amoureux avaient coutume de regarder la télévision ensemble, l'un, la tête sur l'épaule de l'autre. L'écran de verrouillage, celui mis par défaut avec les taches de peinture, affiche une dizaine de SMS non lus, et tout autant d'appels manqués. Tous viennent d'Alix.
"Tu m'as appelée il y a cinq minutes. J'essaye de te joindre mais tu réponds pas. Ça va ? "
" Il se passe quoi ? Tu vas bien ? "
" Je commence à vraiment paniquer, sérieux. Tu me fais une blague ou quoi ? C'est pas drôle ! "
" Réponds-moi !! "
Et ainsi de suite, avec toujours plus de points d'exclamation et d'interrogation, car point de compréhension et surtout quête d'explications.
Puis finalement un dernier message :
" J'arrive dans deux minutes. "
Alix est donc passée la voir dans la nuit ? Hélas, aucun souvenir ne vient à Oriane en ce qui concerne la visite de sa meilleure amie. Cette amnésie la rend nerveuse, trop apeurée d'avoir, l'esprit ainsi embrumé, révélé la vérité, ou du moins dit des choses qui mettraient l'autre sur une piste.
Mais quelle conne, sérieux ! se maudit la jeune femme en se dirigeant vers la cuisine.
D'un geste rageur, elle y attrape son paquet de céréales habituelles et, réprimant l'envie de l'écraser entre ses doigts, en verse un peu dans son bol.
Pendant ce temps, le soleil se lève difficilement sur Laffiera. Le torrent de la nuit précédente n'a laissé derrière lui des rues humides et des nuages gris. Ceux-ci, pareils à de gigantesques dragons ternes paraissent dévorer l'azur du ciel, croyant peut-être pouvoir ainsi lui voler sa belle couleur...
Voilà l'une des innombrables métaphores qu'auraient pu inspirer ce spectacle à un rêveur ou tout autre coeur un tant soit peu sensible de cette espèce. Hélas, ce matin, trop préoccupée par ses inquiétudes et son irritation, Oriane ne se sent pas vraiment l'âme poétique. Elle se doute à peine de ce qui s'anime à l'horizon. Pas plus qu'elle ne se doute que sous ce paysage, au coin d'une rue au quartier des Gritants, un cadavre, une fois de plus, pourrit...
***
« Mon Dieu, Oriane, j'étais si inquiète ! accourt Alix dès qu'elle aperçoit son amie. Tu vas mieux ?
Ne prenant même pas la peine de lui répondre, l'autre se contente de demander d'une voix dure que l'angoisse trahit :
— Je t'ai raconté quoi hier soir ?
Une telle approche, une réponse si soudaine, déstabilise la blonde. Celle-ci ne parvient qu'à bredouiller devant pareille agressivité :
— Bah... Pas grand-chose, en fait : tu dormais. Tu avais oublié de fermer la porte, du coup j'ai quand même pu rentrer, histoire de voir si tout allait bien...

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Mauvais Rêves
Mystery / ThrillerLorsqu'un vieux romancier croise un soir une jeune inconnue en pleurs, il ne lui en faut pas plus pour lui inspirer une histoire. Tout d'abord, l'histoire de Laffiera, ville industrielle où la misère et la démesure se croisent, où règne en maître un...