Beauté Empoisonnée

VIII

        Depuis l'annonce de la mort d'Ema, Hanna avait l'impression de vivre un véritable cauchemar, le pire qu'il soit. Elle espérait pouvoir se réveiller et que tout serait revenu à la normale. Mais elle avait beau se pincer très fort, cogner dans des objets en espérant que la douleur physique la réveillerait de force, cela n'avait aucun effet, si ce n'est laisser des marques sur son corps. Elle espérait en vain...

Un rassemblement avait été organisé afin de réunir la famille, les amis, les collègues et tous ceux qui avaient connu Ema pour lui rendre hommage. C'était le dernier endroit au monde où Hanna souhaitait être, mais elle se devait d'y aller. Tout le monde s'attendrait à l'y voir : cela sonnait comme une évidence, Hanna ayant été sa meilleure amie et celle qui aurait dû être sa demoiselle d'honneur et son témoin à son mariage. Parler au passé de celle qui était comme une sœur pour elle la rendait malade. Quelques jours auparavant, elle était là, pleine de vie, et aujourd'hui on utilisait le passé pour parler d'elle...

Elle s'y rendit avec Karina, le visage bouffi par le torrent de larmes qui s'échappait de ses yeux. Cela lui faisait « du bien » (si l'on peut dire dans de pareilles circonstances) d'être avec quelqu'un qui comprenait ce qu'elle ressentait. Karina dont le visage était masqué par des lunettes de soleil opaques lui tendit une paire afin qu'elle en fasse de même. Hanna s'exécuta, sans dire mot. Karina et elle se tenaient par la main, comme pour signaler à l'autre qu'elle n'était pas seule dans cette épreuve. En entrant dans la pièce de la maison où tout le monde s'était réuni, elles aperçurent Rayan, soutenu par sa petite amie. Elles se dirigèrent directement vers lui et lui tombèrent dans les bras, en pleurs. Ils restèrent ainsi, enlacés, sans rien dire, durant de longues minutes. Puis Rayan murmura d'une voix à peine audible et dans laquelle on notait toute la tristesse du monde : « elle vous aimait ». Hanna ne pouvait parler, elle ne s'en sentait pas la force ni le courage. Karina exprima en quelques mots à quel point Ema aimait également plus que tout son frère. À cet instant précis, Hanna se disait que la vie était injuste. Rayan avait déjà subi une tragédie en perdant ses parents, et là il venait de perdre le seul membre de sa famille qu'il lui restait, et qui plus est, qu'il avait vu naitre et grandir. La peine qu'elle ressentait devait être si peu de chose en comparaison à celle de Rayan. Pourtant, la sienne était déjà immense et profonde. Elle lui déchirait le cœur et l'âme.

Karina lui tapota l'épaule pour attirer son attention et signala un coin de la pièce. Quand son regard se tourna vers le coin en question, elle sentit son cœur se serrer très fort. Lucas était assis sur une chaise, le regard dans le vide. Sur son visage, on pouvait lire la douleur, la détresse, le désespoir... L'expression qu'il arborait vous serrait la gorge : il semblait comme mort de l'intérieur. Ne le serait-on pas à sa place ? Il avait perdu celle qu'il avait toujours décrite comme étant l'amour de sa vie, celle qui d'ici peu devait devenir son épouse, la mère de ses enfants, avec qui il avait fait plein de projets d'avenir. Elle se remémora la demande en mariage surprise et si romantique qu'il avait faite à Ema... Jusqu'à ce que la mort vous sépare... Cette dernière les avait séparés avant qu'ils aient pu se jurer fidélité et se promettre de vieillir ensemble. Comme il devait souffrir... Hanna ne se sentait pas la force de lui faire face, elle ne pourrait le faire sans craquer, sans s'effondrer. C'est pourquoi elle tourna les talons et se dirigea dans le coin opposé, tout en trainant Karina dont elle serrait toujours la main.

L'ambiance était plus que morose. Tout aussi morose que les tenues qu'arboraient les gens présents. Et il y avait foule. Des visages tristes, qui communiquaient à voix basse ou en chuchotant, comme par peur de réveiller quelqu'un qui sommeillait. Ema aurait détesté tout ça. Comment pouvait-on vouloir rendre hommage à une personne comme elle, dont la personnalité était si pétillante, de cette manière ? Une femme s'approcha d'Hanna et Karina pour leur présenter ses condoléances.